Université de Franche-Comté

Synthétiques vs fibres naturelles

Au fil des siècles, les priorités se suivent mais ne se ressemblent pas… À l’ère de l’industrialisation, l’exploitation des ressources naturelles provoque des aléas de production dont on souhaite s’affranchir ; au XXI siècle, elle veut être synonyme de protection de l’environnement. En 1884, Hilaire de Chardonnet inventait la soie artificielle ; que réserve aujourd’hui la recherche sur les matériaux biosourcés ?

 

Textiles artificiellement soyeux

La route de la soie est longue de l’Asie à l’Europe, de la Chine où la technique de sa production est maîtrisée dès le troisième millénaire avant J.C., jusqu’à la France où sa fabrication ne débute qu’au XIII siècle de notre ère. Et c’est là que la soie artificielle est inventée au début des années 1880 par Hilaire de Chardonnet (1839-1924), qui trouve ainsi une parade à la maladie du ver à soie qui frappe l’industrie textile lyonnaise.

Hilaire de Chardonnet

En 1884, le Bisontin rédige un traité Sur une matière textile artificielle ressemblant à de la soie, aujourd’hui connue sous le nom de viscose. Ce savant fait ses premières armes à la faculté des sciences de Besançon, où il apprend la physique, la chimie et la mécanique, après avoir obtenu son baccalauréat… à 16 ans ! Il entre à l’École polytechnique en 1859, puis, prenant ses distances avec des engagements politiques qui le contraignent à l’exil, consacre son énergie à différentes recherches le menant des rayons chimiques aux verres optiques, des lois de la réflexion aux principes de la photographie.

Hilaire de Chardonnet revient s’installer à Besançon en 1883, où il présidera l’Académie des sciences, belles-lettres et arts, ainsi que la Société d’émulation du Doubs. Le scientifique se transforme en industriel lorsque, entreprenant de tisser son fil synthétique dans « le pays de son cœur », il fonde en 1892 la Société de soie Chardonnet. Le nouveau produit attire les critiques, notamment des industriels lyonnais qui dénoncent son caractère inflammable, mais il finira par s’imposer sur les marchés pour son coût bien inférieur à celui de la soie naturelle. Rachetée en 1954 par Rhône Poulenc, l’entreprise Chardonnet deviendra la célèbre Rhodiaceta. Les déboires industriels d’Hilaire de Chardonnet ne font pas oublier que son invention est une réussite scientifique ; il reçoit la consécration de ses pairs en devenant membre de l’Académie des sciences en 1919.

 

Chassez le naturel…

… et il revient en force ! Le recours aux fibres naturelles pour la mise au point de matériaux biosourcés constitue une réponse aux préoccupations environnementales qui pèsent aujourd’hui sur la planète. Le lin, le chanvre, l’ortie font partie des matières premières auxquelles s’intéressent de très près la recherche et l’industrie.

Le programme européen SSUCHY, dans lequel se sont investis des chercheurs de l’Institut FEMTO-ST, s’est achevé l’an dernier sur des résultats probants en démontrant l’intérêt du chanvre pour de nombreuses applications industrielles. Sa résistance mécanique, ses propriétés biochimiques et vibro-acoustiques, sa durabilité en font une plante d’intérêt majeur pour la fabrication de châssis de deux-roues aussi bien que de tables de violons, pour ne citer que ces exemples. Il est attendu que de nouvelles recherches prennent le relais de SSUCHY, dans un contexte propice à la structuration d’une filière chanvre, notamment dans les régions de production de la plante que sont l’Est et le Sud de la France.

Comme lui coordonné par Vincent Placet au département Mécanique appliquée de l’Institut FEMTO-ST, WOOFHI est pour sa part dédié à la mise au point de matériaux hybrides, dans lesquels le chanvre entre en combinaison avec le bois. « Le bois est plus intéressant que jamais, en premier lieu parce que c’est une ressource durable. Ses propriétés mécaniques sont bonnes, mais elles sont soumises à variation ; c’est ce que nous voulons corriger en créant un matériau composite, tout en privilégiant les essences locales. »

Photo Ethan Bodnar – Unsplash

Le bois présente une forte anisotropie mécanique, ce qui signifie que sa résistance est dépendante de ses différentes directions anatomiques. Restructurer des panneaux bois par l’ajout de fibres végétales permettrait d’obtenir un matériau aux propriétés plus homogènes. « On a eu par le passé recours aux fibres de verre, puis de carbone, mais ces solutions présentent un impact environnemental non négligeable et posent le problème du recyclage du bois », explique Vincent Placet.

Les fibres végétales comme le chanvre, ou le lin qui est également testé, pourraient avantageusement remplacer ces matériaux. Les résultats obtenus à mi-parcours du projet WOOFHI sont très encourageants pour les panneaux de second choix, qui présentent l’anisotropie la plus marquée. Dans des résineux tels que le douglas, ils montrent une amélioration jusqu’au double des performances mécaniques du bois hybridé, et une baisse de la variabilité de ses propriétés de l’ordre de 60 %.

Les chercheurs travaillent aussi à la mise au point d’une matrice polymère pour faire adhérer les différents constituants du composite, en même temps que souder les superpositions de bois des panneaux contreplaqués à la place des colles traditionnelles. Les études portent sur l’acide polylactique, ou PLA, dérivé du maïs, et sur le polypropylène recyclé, obtenu par exemple à partir de ficelles de bottes de foin.

Dans de telles recherches, la modélisation complète, voire se substitue largement à l’expérimentation. La tomo­graphie, qui permet de voir très finement et de manière non invasive la structure de la matière, les techniques de caractérisation des matériaux et la simulation numérique sont autant d’outils auxquels les chercheurs ont aujourd’hui recours pour tester leurs hypothèses et s’orienter de la façon la plus sûre et la plus rapide vers des solutions d’avenir.

 

Compréhension mutuelle

Photo LoggaWiggler – Pixabay

 

Spécialiste de la fabrication de composites pour les espaces publics, la construction, le design et la mobilité, la société NPSP basée à Amsterdam s’attache à développer des solutions biosourcées pour l’ensemble de ces applications. La PME néerlandaise est un partenaire industriel de premier plan dans des projets tels que SSUCHY et s’engage volontiers aux côtés des chercheurs de l’Institut FEMTO-ST, que Willem Böttger, son directeur, n’hésite pas à qualifier de « crème de la crème des instituts de recherche ».

Avec Vincent Placet, porteur du projet, les ambitions sont partagées et le professionnalisme est une valeur commune. « Nous avons réussi à développer une feuille de route et à faire les premiers pas vers un matériau de structure entièrement biodégradable, déclinable à un grand nombre d’applications, du scooter au haut-parleur en passant par des pièces de voiture. C’est la valeur-ajoutée que SSUCHY a apportée à NPSP et aux autres partenaires industriels. » Willem Böttger souligne l’intérêt qu’il y aurait à poursuivre l’aventure par un nouveau projet, pour monter en maturité technologique sur l’échelle TRL.

Pour le directeur de NPSP, « les mondes industriel et académique ne sont pas si éloignés l’un de l’autre. Si la science est bien faite, l’entreprise sera aussi plus proche d’une innovation structurelle de plus grande valeur ». Willem Böttger souligne également l’importance de la communication, facilitée lorsque « les bons scientifiques, comme ceux de l’Institut FEMTO-ST, réussissent à se mettre dans le rôle du partenaire industriel… »

Contact(s) :
Institut FEMTO-ST
UFC / UTBM / SUPMICROTECH ENSMM / CNRS
Vincent Placet
Tél. +33 (0)3 81 66 60 55

NPSP BV
Willem Böttger
Tél. +31 (0)6 5 2345 020
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