Université de Franche-Comté

Solutions techniques pour transition énergétique

Le coût environnemental et financier de la production et de la consommation d’énergie est tel qu’il contraint à revoir les habitudes et à modifier les pratiques. De l’ingénierie à l’intelligence artificielle, les chercheurs déploient leurs compétences pour proposer des solutions technologiques qui façonneront une nouvelle donne énergétique.

 

 

La face cachée du numérique

Photo Etadly – Pixabay

Consommer moins pour avoir besoin de moins d’énergie et moins polluer la planète… si la proposition paraît frappée au coin du bon sens, elle se heurte à des réticences personnelles et collectives quand elle suggère le renoncement, l’adaptation, voire le retour en arrière. Malgré tout, baisser le chauffage ou éteindre scrupuleusement les lumières sont des réflexes qui commencent à faire leur chemin au quotidien.

Cependant la prise de conscience semble s’arrêter à une frontière, celle du numérique. Il n’en est guère question dans les discours sur le bouleversement climatique, pourtant sa part de consommation de l’énergie mondiale est plus que notable, et croît de façon quasi exponentielle. Les chiffres et les constats rappelés lors du congrès 2022 de la ROADEF, la Société française de recherche opérationnelle et d’aide à la décision en France, sont éloquents. Le numérique représente 5 à 6 % des émissions de carbone dans le monde, un chiffre qui augmente de 6 à 9 % tous les ans (période considérée : 2015-2019).

En France, le numérique produit autant de carbone que l’aviation civile, et à très court terme en produira autant que l’ensemble du transport routier. Cela ne veut pas dire qu’il faut renoncer aux visioconférences et prendre à nouveau sa voiture ou un avion pour participer à une réunion… Mais il est important de savoir que la vidéo représente 80 % du trafic mondial des données sur le net. Autre usage très répandu, les requêtes adressées à Google : on en compte près de 7 milliards tous les jours, chacune produisant 5 g de CO­₂. Tous moteurs de recherche confondus, ces demandes consomment quasiment la moitié de l’énergie utilisée par l’ensemble des data centers de la planète. Les équipements connectés connaissent quant à eux une véritable explosion ; aujourd’hui, en moyenne dans le monde, chaque personne possède 3­,­6 équipements connectés, un chiffre dont les spécialistes estiment qu’il sera multiplié par 3 d’ici 2030. 80 % de ces équipements entrent dans le registre du confort, c’est par exemple la possibilité de consulter de loin le contenu de son frigo quand on fait ses courses, d’actionner ses volets à distance ou d’interroger vocalement son enceinte Alexa.

 

Calculs sous le soleil

Photo Firmbee.com – Unsplash

Freiner un tant soit peu cette course à la consommation numérique suppose que l’on ait connaissance de ce qui se cache derrière. L’empreinte carbone du numérique provient pour 37 % de la production des appareils, comme les smartphones ou les ordinateurs, et pour 63 % de son usage : consommation électrique des terminaux utilisateurs, des réseaux et des data centers. Ces « usines » de traitement des données représentent 14 % de la consommation du secteur du numérique.

Les membres du projet de recherche DATAZERO1, financé par l’Agence nationale de la recherche depuis 2015 dans deux volets successifs, travaillent à élaborer des solutions pour que les data centers soient alimentés par des énergies renouvelables, en toute autonomie. Jean-Marc Nicod, enseignant-chercheur à Supmicrotech-ENSMM et coordinateur du projet pour l’Institut FEMTO-ST, rappelle que « les deux tiers des serveurs fonctionnent uniquement pour absorber les pics d’usage du numérique ». À l’image de la consommation électrique, la consommation du numérique est très inégale.

Avec DATAZERO, les chercheurs font un double pari : gérer ces fluctuations en fonction des besoins et alimenter les serveurs avec des énergies elles-mêmes sujettes à variation, comme l’éolien ou le solaire. Nourris de multiples informations, notamment météorologiques, les algorithmes mis au point forment une « boîte à outils logicielle » permettant à chaque data center d’adapter son process en fonction de la demande en traitement de données et des conditions climatiques du territoire sur lequel il est installé. « L’une des ambitions à terme serait que les data centers de la planète collaborent entre eux, explique Jean-Marc Nicod. Les calculs opérés par les serveurs pourraient suivre la course du soleil d’un hémisphère à l’autre, même sur une journée, pour bénéficier d’une alimentation électrique produite au maximum par le soleil. L’idée est d’être le plus possible synchrone avec l’intermittence des énergies renouvelables ».

Si le numérique ne connait pas de frontière, cela pourrait être à ce titre également. D’autant qu’on peut imaginer qu’accéder à internet devienne un jour payant, avec des tarifs horaires variables selon la demande, de la même façon que l’électricité. « Les habitudes sont prises d’un accès gratuit, on voit aujourd’hui que c’est loin d’être anodin. Accepter de décaler les usages, faire preuve de flexibilité sont des leviers sur lesquels nous aurons tout intérêt à jouer. » Jean-Marc Nicod fait valoir l’intérêt de bousculer les pratiques par une simple équation : « En baissant le nombre de requêtes sur internet de seulement 1 %, on éliminerait les pics de consommation de façon tellement importante que cela permettrait de réduire le nombre de serveurs de 20 % ».

 

Industrie : produire autrement

Dans l’industrie aussi, on cherche des solutions pour économiser l’énergie. À la Haute Ecole Arc, sous la direction de Nabil Ouerhani, responsable R­&­D, les équipes travaillent à rendre les équipements et les processus de fabrication moins gourmands en électricité, selon un « concept de frugalité » qui se décline de la création de nouveaux modes de production à l’adaptation de l’existant.

La micro-usine – www.he-arc.ch

La désormais célèbre Micro 5, qui depuis son premier proto­type de laboratoire a su gagner la production industrielle en quelques années, est une illustration très parlante de la possibilité de réinventer les parcs machines. La Micro 5 est une station d’usinage à même de produire des microcomposants aussi bien que les équipements traditionnels. Ses dimensions réduites et son poids plume autorisent une division par 5 de l’énergie consommée par les mastodontes industriels, pesant jusqu’à plusieurs tonnes pour produire des pièces de quelques centaines de grammes… Claude Jeannerat, qui est l’un de ses inventeurs, rappelait lors de la sortie du premier prototype en 2016, « qu’on estime entre 1 et 5 % seulement le besoin réel du procédé d’usinage d’une machine pour produire une pièce ».

La micro-usine développée au sein du MicroLean Lab de la Haute Ecole Arc est un prolongement du concept : en combinant des moyens de production modulables dans un volume réduit, elle dessine de nouveaux contours à ce que sera l’industrie demain. Plus agile et flexible en termes de production, elle s’inscrit aussi pleinement dans une démarche durable avec les économies d’énergie qu’elle permet de réaliser.

 

 

Revoir les cycles d’activité des machines-outils

Développer de nouveaux concepts de production n’empêche cependant pas les chercheurs de s’intéresser aux équipements existants. Pour mettre au point les solutions qui les rendront moins énergivores, ils effectuent des mesures sur des machines-outils pour estimer la consommation de chacun de leurs composants, dont l’air comprimé, les pompes hydrauliques et les liquides de refroidissement s’avèrent les plus grands gourmands en énergie. Nabil Ouerhani et ses équipes parviennent à obtenir une réduction de la consommation d’énergie des installations visées atteignant jusqu’à 30 %, en contrôlant la consommation de ces postes et d’autres encore, et en agissant sur le fonctionnement des chaînes de fabrication.

Photo Skitterphoto – Pixabay

La gestion des cycles d’activité des machines est revue et optimisée en fonction des plans de production pour éviter les démarrages, arrêts, et périodes de stand by, dont la succession demande beaucoup d’énergie. La correction de position des outils d’usinage est un moyen efficace de s’affranchir des fluctuations de température d’un équipement : « La stabilisation thermique d’une machine est une condition en principe essentielle pour garantir une bonne qualité d’usinage, mais elle peut demander jusqu’à 5 à 6 heures de chauffe à vide de la machine. C’est un enjeu capital de pouvoir se soustraire à cette obligation », explique Nabil Ouerhani. En contrôlant les paramètres de coupe, il est possible d’obtenir une « compensation thermique » qui change complètement les données du problème.

Le procédé a récemment fait l’objet d’un projet partenarial avec un industriel de l’Arc jurassien, une innovation protégée par la propriété intellectuelle, mais qui fait son chemin auprès d’autres entrepreneurs réunis au sein de l’Association de recherche communautaire des moyens de production microtechniques, ArcM. « Les procédés sont par­tagés, mais le code source de l’application que nous avons mise au point avec l’entreprise reste protégé. » Nabil Ouerhani et les chercheurs de la HE-Arc Ingénierie poursuivent leurs travaux en allant vers toujours plus d’exigence.

Un de leurs objectifs est d’explorer toute la chaîne de fabrication d’un produit dans une démarche de « manufacturing durable », en vue de la création d’un label suisse valorisant de nouvelles pratiques. « Les matériaux utilisés, les procédés de fabrication, le transport, la commercialisation…, toutes les étapes de la production sont concernées par la démarche ; se concentrer sur le produit seul n’a aucun sens. » Pour illustrer ce propos, une étude récemment menée par l’ingénieur David Weber selon ce modèle global a ainsi mis en évidence que la fabrication d’un verre saphir pour équiper une montre mécanique représente à lui seul plus de 60 % de la consommation énergétique que demande la fabrication totale du boîtier, dont ce composant ne représente que 7 % du poids2.

 

Intelligence énergétique : priorité au tertiaire

Le site Techn’Hom à Belfort (©Jean-François Lami).

En France, comme ailleurs sans aucun doute, les collectivités et les entreprises sont en demande de bâtiments moins énergivores, une tendance qui s’accélère avec la formidable augmentation des coûts de l’énergie ces derniers mois. L’UTBM est engagée dans le projet Belfort e-start 3, dont l’ambition est de créer une communauté d’énergie renouvelable (CER) : au vu du montage du projet et d’un budget annoncé à dix millions d’euros, elle sera la plus grande de France et la première dans le domaine tertiaire. Techn’hom est ainsi pressenti pour devenir un site pilote de la ville durable, avec une production énergétique essentiellement issue du photovoltaïque et un stockage sous forme de batteries ou d’hydrogène vert, pour son autoconsommation.

Directeur du pôle Énergie et informatique à l’UTBM et chercheur en intelligence artificielle au CIAD, Nicolas Gaud pilote ce projet d’envergure. « La rénovation énergétique des bâtiments est la première mesure à prendre avant d’envisager d’aller plus loin. Il nous faut réduire notre consommation électrique et calorifique pour pouvoir parler de production locale et d’autoconsommation. » L’UTBM répond favorablement à cette volonté avec la rénovation de deux de ses bâtiments, dont le premier est en cours de travaux. Les premiers panneaux solaires devraient ainsi équiper le toit du bâtiment A à l’automne prochain. « Cette rénovation est un test, elle ne peut être considérée comme un prototype. Chaque cas de rénovation est unique, et le modèle que nous développons doit pouvoir se décliner selon le contexte. »

Un contexte dépassant les frontières du Nord Franche-Comté, qui concerne aussi la construction neuve, et qui prévoit par exemple l’utilisation de différents matériaux biosourcés en fonction des ressources disponibles sur un territoire donné, ici le béton de chanvre, là la paille ou la terre. Une fois passée l’étape préalable du bâti, s’ouvre le volet de la production et de la gestion de l’énergie. Au rang des solutions prévues, l’installation de panneaux photovoltaïques ou la récupération de la chaleur générée par les piles à combustibles (PAC) hydrogène : la puissance énergétique de la chaleur induite est en effet équivalente à celle de l’électricité produite.

Les solutions de stockage se combinent entre des batteries qui assurent le meilleur rendement énergétique et l’hydrogène qui s’avère idéal pour le long terme. « Même un véhicule électrique peut à l’occasion être considéré comme une solution complémentaire. L’idée est de recourir à cette énergie disponible lors d’un pic de consommation, lorsque le véhicule n’est pas utilisé. » Ces différents éléments et paramètres entrent dans une chaîne globale conditionnant des flux d’énergie dont la gestion, primordiale, fait appel aux solutions logicielles et à l’intelligence artificielle. « Nous disposons des différentes briques technologiques nécessaires, raconte Nicolas Gaud. Il n’y a plus de verrou scientifique majeur, la difficulté aujourd’hui réside davantage à tout orchestrer dans un même projet ».

 

L’archipel polynésien confronté à son futur énergétique

Sa mise en service est prévue pour les prochaines semaines : RECIF est un démonstrateur de système énergétique fondé sur l’utilisation de l’hydrogène, adapté aux conditions météorologiques et aux spécificités territoriales de la Polynésie française. Il a été mis au point à Belfort, dans un projet mené en collaboration entre l’Institut FEMTO-ST, UBFC, la start-up H2SYS et les universités de Perpignan et de Polynésie française.

Financé par l’Agence nationale de la recherche depuis 2019 et prenant fin en juin 2023, ce programme entre dans le cadre du plan gouvernemental pour le futur énergétique des îles polynésiennes. « La con­figuration de l’archipel, avec ses îles, îlots et atolls dont certains ne comptent que quelques centaines d’habitants, justifie la mise en place de systèmes indépendants pour couvrir les besoins. L’idée est surtout que des solutions comme RECIF se substituent, du moins en partie, aux centrales à fioul qui assurent actuellement la fourniture en électricité de la Polynésie », explique Daniel Hissel, professeur en génie électrique et systèmes pile à combustible à l’université de Franche-Comté, responsable de l’équipe SHARPAC au département Énergie de FEMTO-ST, et membre senior de l’Institut universitaire de France.

Après sa mise en service et un retour d’expérience grandeur nature, le démonstrateur servira de modèle pour la construction d’autres exemplaires à implanter sur l’archipel. L’hydrogène apparaît comme une solution particulièrement bien adaptée à la Polynésie, pour assurer le stockage d’une énergie apportée par un soleil généreux. Le principe ? L’énergie solaire est captée par des panneaux photovoltaïques qui produisent de l’électricité, dont les surplus servent à fabriquer de l’hydrogène à partir d’électrolyse de l’eau ; cet hydrogène dit « vert », puisqu’il est obtenu par l’exploitation d’une source d’énergie renouvelable, sert de variable d’ajustement : les jours de pluie, la nuit, en cas de forte demande, l’hydrogène en stock pourra être reconverti en électricité selon un procédé inverse, cette fois grâce à une pile à combustible (PAC).

Photo Pixabay

Avec un bonus qui en dit long sur la technologie dont bénéficie RECIF : lorsqu’elle entre en fonctionnement pour produire de l’électricité, une PAC génère naturellement de la chaleur ; celle qui équipe RECIF présente la particularité de pouvoir à l’inverse fournir du froid, une option totalement inédite pour un générateur hydrogène. C’est un système thermochimique intégré, une sorte de « pompe à chaleur chimique », qui assure la transformation des 90­°­C dégagés par la PAC en froid, une source de fraîcheur permettant d’aider à la régulation de la température des bâtiments sous ces chaudes latitudes.

Le démonstrateur RECIF est aujourd’hui opérationnel, dans un contexte contraignant lié à la situation de l’archipel, et qui pose ses limites pour l’avenir : l’insuffisance de tissu industriel local, la distance géographique pour l’approvisionnement en pièces détachées, et le manque de ressources humaines pour assurer la maintenance des équipements et le développement de nouveaux projets. Concernant ce dernier point, la création du master 2 Gestion des énergies en milieu insulaire et tropical, cohabilité par les universités de Franche-Comté et de Polynésie française, est une solution pour favoriser sur place des compétences de haut niveau.

 

Un master 2 pour développer les compétences sur place

Le master 2 Gestion des énergies en milieu insulaire et tropical (GEMIT) est accessible aux étudiants engagés dans le parcours « Énergie électrique » du Master Énergie cohabilité entre les universités de Franche-Comté et de Polynésie française. Une première année de master suivie à l’uFC à Belfort donne la possibilité de suivre le master 2 GEMIT à Tahiti, où il est proposé depuis quatre ans à l’université de Polynésie française. Un diplôme également accessible aux titulaires d’un master Électronique, énergie électrique et automatique, et par ailleurs ouvert à la formation continue.

GEMIT promet de former des responsables aux enjeux des micro-réseaux électriques intelligents, autour des objectifs énoncés dans sa plaquette de présentation : « concevoir et dimensionner un microréseau électrique complet économiquement viable ; optimiser les flux dans l’habitat ou l’industrie pour valoriser les énergies renouvelables et leurs stockages ; intégrer les problématiques techniques, économiques, sociales et environnementales de demain ; avoir une vision la plus exhaustive possible de toutes les technologies de production et de stockage d’énergie ». Dispensée conjointement par les deux universités, la formation est adossée à la recherche et en prise avec les réalités du terrain : les étudiants bénéficient des dernières avancées scientifiques dans le domaine qu’ils ont choisi, en même temps qu’ils s’investissent dans des projets et stages en lien avec des entreprises locales.

Pour tout renseignement : pascal.ortega@upf.pf

 

Trois îles et de multiples scénarios à étudier

Photo Sébastien Fraysse – outremers360.com

Si elles affichent chacune des caractéristiques bien particulières, la Polynésie française, La Réunion et la Corse ont en commun de présenter une forte dépendance au pétrole pour couvrir leurs besoins énergétiques. Dans la lignée de RECIF, mais considérant les problématiques de façon plus globale, le projet HyLES s’intéresse à l’apport des solutions hydrogène comme alternative durable pour ces territoires.

Coordonné par l’Institut FEMTO-ST / UBFC, il est mené en collaboration avec chacune des universités des trois îles concernées. « Le projet n’est pas seulement technique, il comporte une dimension socio­-économique qui fait appel aux compétences de l’équipe RECITS à FEMTO-ST, et intègre des aspects d’ordre environnemental », précise Robin Roche, enseignant-chercheur à l’UTBM, directeur du département Énergie de l’Institut FEMTO-ST, et responsable du projet. « Il s’agit autant d’identifier les verrous socio-économiques susceptibles de contrarier le déploiement d’énergies renouvelables comme l’éolien ou l’hydrogène, que d’en estimer les impacts sur l’emploi, ou encore d’élaborer des projections intégrant les évolutions locales du climat prévues pour les prochaines décennies. »

La modélisation des systèmes énergétiques des trois îles est un travail préparatoire pour envisager la façon dont de nouveaux dispositifs peuvent être inclus et développés en fonction des contextes. Ne comptant pas moins d’une centaine d’îles dont certaines très isolées, et dont plus de la moitié sont habitées, l’archipel polynésien s’étend sur une surface comparable à celle de l’Union européenne : une contrainte de taille, qui fait définitivement oublier la tentation de solutions simples.

La Réunion est une grande île au relief accidenté, densément peuplée avec ses 860 000 habitants, qui ne dispose d’aucun réseau ferroviaire. Sous d’autres latitudes, la Corse bénéficie d’un climat assez tempéré et connaît le froid en hiver ; elle est partiellement connectée au réseau électrique italien. De ces constats émergent des questionnements très ciblés. À La Réunion, une partie de la flotte de bus, qui constitue l’essentiel des transports en commun, pourrait être alimentée par hydrogène : quelles en seraient les conséquences pour la production électrique locale ? En Corse, les ferries à quai laissent tourner leurs moteurs pendant des heures, jusqu’à deux jours même, avant de reprendre la mer : est-il envisageable de les alimenter électriquement par des piles à combustible quand ils sont immobilisés dans les ports pour réduire leurs émissions polluantes ? En Polynésie enfin, les grands hôtels ont de très importants besoins en climatisation : des générateurs tels que RECIF sont-ils une option viable et suffisante pour y répondre ?

Malgré la diversité des contextes et des problématiques, dans tous les cas se posent les questions inhérentes à une production d’énergie bas carbone. L’électricité en l’état ne se stocke pas, et les batteries qui la convertissent en énergie chimique ne sont adaptées qu’à de courtes durées. La convertir en hydrogène est une solution potentielle pour un stockage sur de longues périodes ; l’opération nécessite cependant des installations d’envergure pour produire l’hydrogène par électrolyse, et surtout, pour assurer le stockage du gaz à long terme.

Le projet HyLES mobilise des acteurs politiques, économiques et scientifiques autour d’enjeux financiers et territoriaux d’importance. Débuté en 2021, il devrait produire, en complément de publications scientifiques, un bilan de situation et des recommandations d’ordre technique, économique et social dans un livre blanc à destination des décideurs des trois territoires à la fin de l’année 2024.

 

Profiter de la chaleur du sous-sol

Parc de Yellowstone, USA. Photo leohan76 – Pixabay

Les rayons du soleil procurent de l’énergie, la chaleur de la terre aussi, qui est utilisée depuis des temps ancestraux. Sous le nom de géothermie, la science qui étudie aujourd’hui cette chaleur fournie naturellement s’intéresse à son utilisation directe comme à sa transformation possible en électricité. L’exploitation des profondeurs du sous-sol jurassien présente des caractéristiques particulières, avec des calcaires potentiellement karstifiés reposant sur un socle cristallin mal connu, mais ses atouts sont avérés.

Les chercheurs du CHYN, le Centre d’hydrogéologie et de géothermie de Neuchâtel, partie prenante de l’université, étudient les caractéristiques et les contraintes du sous-sol, la circulation des flux, l’emplacement des réservoirs, les particularités des fractures…, autant de données nécessaires pour nourrir les simulations numériques qui permettront d’élaborer les scénarios d’exploitation des ressources.

Relativement peu profonds, les systèmes hydrothermaux sont aussi les plus perméables et les plus faciles d’accès. Mais pour trouver les températures supérieures aux 100­°­C nécessaires à une transformation de la chaleur en électricité, il faut descendre à 4 ou 5 kilomètres en sous-sol, des profondeurs où la roche est majoritairement très peu perméable. Des fissures sont alors créées artificiellement par injection d’eau à haute pression dans la roche, pour la mise en œuvre de systèmes pétrothermaux facilitant la circulation de l’eau et la récupération de la chaleur.

Les recherches menées au CHYN concernent l’ensemble de ces dispositifs et donnent lieu à différents projets collaboratifs avec des entreprises et des structures de décision locales et nationales. Ouvert depuis peu dans la région du Gotthard, le laboratoire souterrain du Val Bedretto (TI) est installé à 1 000 m sous les Alpes. « Dans le cadre du projet européen SPINE, ce laboratoire nous donne la possibilité de mesurer les contraintes et leur variabilité au cœur d’un massif montagneux, en vue de développer nos techniques de stimulation des réservoirs », explique Benoît Valley, spécialiste de géomécanique des réservoirs au CHYN. De telles mesures permettent notamment de déterminer une direction de forage la plus stable possible dans la roche et la plus propice pour développer un réservoir en profondeur.

Le projet HydroJuraTectonics vise, lui, à étudier les contraintes mécaniques subies par la croûte terrestre, des investigations combinant données sismiques et hydrogéologiques. « L’objectif est de mesurer, dans le massif du Jura, l’impact que peuvent avoir certains paramètres, comme les variations de pression ou de débit des sources karstiques, sur la stabilité des failles en profondeur. »

Retour progressif à la surface, avec le projet HEATSTORE qui vient de se terminer… en inversant les procédés. Il s’agit ici de récupérer la chaleur produite en excès par des usines d’incinération de déchets pour la stocker… sous terre ! La chaleur en excès en été est récupérée en sortie d’usine et envoyée dans des systèmes aquifères fracturés, où elle va se transmettre à la roche qui la conservera en stock, jusqu’à sa restitution en hiver lorsque la demande se fait sentir. Une exploitation intéressante du système d’échange eau-roche, pour une autre mise en application des ressources offertes par la géothermie…

 

 

1Le consortium réunit le laboratoire IRIT à Toulouse, les départements DISC, AS2M et ÉNERGIE de l’Institut FEMTO-ST, le FCLab, le laboratoire LAPLACE de Toulouse et la société américaine Eaton.
2 cf en direct n°301, juillet-août 2022.
3 En collaboration avec l’entreprise Enedis, la SEML Tandem, qui gère le parc Techn’hom, et la communauté d’agglomérations du Grand Belfort.
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