Université de Franche-Comté

Grand format
Actions mécaniques

Mécanique. Nom féminin. Science du mouvement et de l’équilibre des corps. Cette définition concise du Petit Robert pose les bases d’une discipline à la croisée de la physique et des mathématiques, et qui s’est enrichie au contact de champs comme l’électronique et l’informatique. Du matériau originel à l’objet fini en passant par la machine, la mécanique est la clé de voûte de nombre de réalisations techniques et sert quasiment tous les domaines scientifiques.

 

Les sciences mécaniques sont à l’honneur avec l’organisation de l’année de « la mécanique du futur » par l’INSIS, l’Institut des sciences de l’ingénierie et des systèmes du CNRS, en collaboration avec des acteurs du domaine tels que l’Association française de mécanique (AFM). Ancrée sur 2021 et 2022, cette mise en lumière se traduit par une série d’actions à visée scientifique et d’événements en direction du public. Un appel à projets spécifiquement destiné à soutenir des approches innovantes en mécanique ou en lien avec d’autres disciplines a été lancé en janvier 2021 sous le nom Projets exploratoires – premier soutien (PEPS).

Au Département mécanique appliquée (DMA) de l’Institut FEMTO-ST, une recherche proposée par Fabien Amiot, de l’équipe ECTO, figurait parmi les 27 projets retenus au titre du PEPS, pour une durée d’un an. « Lorsqu’un objet mécanique est suffisamment petit, on constate qu’on peut le déformer en modifiant sa chimie en surface. La recherche porte sur la compréhension des mécanismes qui commandent ce changement. » Un modèle théorique représente les termes de l’hypothèse de recherche : « La modification de la chimie sur un des côtés d’une poutre d’un micromètre d’épaisseur entraîne une déformation de l’objet telle qu’il diffracte des rayons lumineux dans une certaine longueur d’onde ». Des expériences concluantes ont été menées sur la base de ce modèle au Synchrotron SOLEIL à Gif-sur-Yvette (91), donnant aux chercheurs la satisfaction de percevoir les signaux lumineux attendus.

L’expérience combine de manière inédite manipulations mécaniques et optiques, en environnement ultravide. Le matériau utilisé est du nitrure de silicium, couramment employé en micro-électronique ; la modification chimique en surface est obtenue par la greffe d’une molécule qui change de forme lorsqu’elle est éclairée par des UV. Le programme PEPS a permis de donner corps aux intuitions de Fabien Amiot, qui espère poursuivre ces travaux prometteurs pour la mécanique des matériaux.

 

Le Département mécanique appliquée, en phase avec les problématiques de société

 

Le Département mécanique appliquée (DMA) est le prolongement, à l’Institut FEMTO-ST, du laboratoire éponyme créé en 1962 par Raymond Chaléat. Il est actuellement dirigé par Philippe Picart, professeur de mécanique à l’université de Franche-Comté, et compte cent dix membres. En 2021, le DMA a été réorganisé en six équipes, dont les axes de recherche sont liés aux défis sociétaux d’aujourd’hui : Matériaux pour la transition écologique (MAT’ÉCO) ; Biomécanique des tissus mous (BiomécaT) ; Mécano-chimie et tribologie (ECTO) ; Microtechniques intelligentes (MICRO) ; Procédés de fabrication et interactions surfaces et matériaux (PRISM) ; Dynamique des smart structures (D.SMART).

Les moyens technologiques de deux plateformes servent les besoins de la recherche et des partenariats avec l’industrie : AMETISTE, pour la caractérisation mécanique des matériaux, des surfaces et des structures dans une large gamme de dimensions et de fréquences, et MIFHySTO, qui regroupe des équipements de microfabrication mécanique, de fonctionnalisation de surface et d’hybridation avec des procédés de type salle blanche, pour la réalisation de composants à l’échelle submillimétrique.

 

Solutions de stockage hydrogène

Réservoir en fibres de carbone réalisé par la société MaHyTec selon le procédé de fabrication de l’enroulement filamentaire, une technologie et un savoir-faire transférés du DMA vers MaHyTec lors de la création de l’entreprise.

Le plan « France relance » annoncé en septembre 2020 par le Ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, lui, a été mis en place pour favoriser les collaborations entre le monde académique et l’entreprise. Les contrats partenariaux conclus dans ce cadre prévoient ainsi qu’un salarié puisse bénéficier des compétences et équipements d’un laboratoire de recherche, ou qu’un doctorant mène ses travaux sur le terrain de l’entreprise.

C’est au titre de ce programme que l’équipe MAT’ÉCO dirigée par Vincent Placet a obtenu le financement de deux projets, menés chacun sur 24 mois avec l’entreprise MaHyTec de Dole (39). Spécialisée dans la mise au point et la commercialisation de solutions de stockage pour l’hydrogène, acteur historique du domaine, MaHyTec tient ses origines de FEMTO-ST. Créée en 2008 par des chercheurs de l’institut comtois, elle a rejoint en 2021 le groupe allemand HENSOLDT. Elle entretenait des relations de partenariat depuis plusieurs années avec NEXEYA, la partie française du groupe.

Toujours très actives, les collaborations entre l’Institut FEMTO-ST et MaHyTec ont donné lieu, dans le cadre du plan national, à la mise en place du projet Allegro, sur l’allègement de réservoirs hydrogène en carbone pour l’avion du futur, et du projet Matriosca, sur l’utilisation de matériaux biosourcés dans des solutions de stockage pour le stationnaire. Gaz le plus léger qui soit, l’hydrogène doit être comprimé pour gagner en densité et baisser en encombrement. Dans ce cas, pour contenir la pression en toute sécurité et écarter le moindre risque de rupture du matériau, le réservoir est renforcé, et sa masse devient plus importante.

Les chercheurs et les industriels mobilisés sur le projet Allegro veulent trouver le meilleur compromis possible entre les variables pression du gaz, volume embarqué et masse du réservoir, en vue d’équiper de façon optimale les futurs avions à hydrogène. Actuellement, la masse d’hydrogène embarqué représente 6 % de la masse des réservoirs : l’ambition est au minimum de doubler ce chiffre. Les recherches s’orientent vers de nouvelles fibres de carbone très haute performance, qui seront testées et caractérisées pour éprouver la résistance qu’elles seront capables d’opposer à une pression minimale de 700 bars, soit trois cents fois celle d’un pneu de voiture. Le projet Allegro est porté par Frédéric Thiébaud et Dominique Perreux pour l’équipe MAT’ÉCO.

 

Réservoir vert

Si le carbone, réputé pour ses propriétés mécaniques alliées à une grande légèreté, est un matériau d’intérêt majeur pour les problématiques d’énergie embarquée, pour des applications stationnaires les chercheurs privilégient la piste des matériaux biosourcés : au sol, les réservoirs destinés à l’alimentation énergétique des bâtiments peuvent être de dimensions plus imposantes, et donc de plus basse pression, ce qui autorise d’autres options. Se tourner vers des matériaux et des procédés à faible impact environnemental est un axe de développement inscrit dans l’ADN de l’équipe MAT’ÉCO, pour laquelle le projet Matriosca représente un nouveau défi. Et pour l’entreprise MaHyTec, ce programme mené sur deux ans est une opportunité de développer ses activités dans une nouvelle direction.

« La paroi des réservoirs hydrogène de types III et IV est multicouche, elle comporte une partie interne métallique ou polymérique recouverte d’une enveloppe enroulée et constituée de matériaux composites », explique Vincent Placet, responsable du projet à MAT’ÉCO. « La paroi des réservoirs de type V sera faite d’un matériau composite monobloc. Dans le cadre de Matriosca, nous travaillons à la mise au point de cette enveloppe nouvelle génération à partir de polymères renforcés de fibres de lin. » Cette orientation implique en premier lieu de tester les performances des matériaux biosourcés lorsqu’ils sont placés dans les conditions extrêmes que représente le stockage d’hydrogène. Une première étape servant l’ambition des chercheurs et industriels de créer le premier réservoir « vert » pour les besoins du stationnaire.

 

Hydrogène et mécanique appliquée, une histoire de vingt ans

Le Département mécanique appliquée est un acteur de longue date de la recherche sur l’hydrogène en Franche-Comté, au même titre que le département ENERGIE, tous deux développant des projets autour de problématiques complémentaires à l’Institut FEMTO-ST depuis vingt ans. Les chercheurs du DMA concentrent leurs travaux dans deux directions : le stockage de l’hydrogène sous forme solide grâce à des hydrures métalliques, et le stockage haute pression, ou hyperbare, de l’hydrogène gazeux. Le DMA bénéficie de locaux dédiés à Besançon, comprenant notamment un banc de pression à 700 bars, un banc de perméation au gaz pour tester la diffusion de l’hydrogène dans les matériaux, et un banc de cavitation, ce dernier donnant la possibilité de vérifier le comportement des matériaux constitutifs du liner d’un réservoir hyperbare soumis à des variations de pression de l’hydrogène.

Stockage sous forme gazeuse ou solide, si chaque solution présente des caractéristiques propres, les recherches sont guidées par les mêmes impératifs : tester et caractériser des matériaux et des procédés pour gagner en fiabilité, en masse, en volume et en consommation énergétique, trouver les pistes prometteuses pour que la filière hydrogène puisse consolider son développement en termes de coût, de sécurité et d’impact sur l’environnement. C’est sur ce dernier aspect qu’insiste le projet national Hyperstock, coordonné par David Chapelle au DMA. Hyperstock est l’un des sept projets de R&D retenus au titre du Programme et équipement prioritaire de recherche sur l’hydrogène décarboné (PEPR-H2 piloté par le CEA et le CNRS), qui bénéficie d’une dotation globale de 80 millions d’euros. « Le DMA a toujours été engagé dans les actions et les organisations qui se sont succédé pour construire une communauté hydrogène en France.

Dans le contexte du PEPR, Hyperstock donne encore plus de visibilité à notre équipe ; c’est un coup de projecteur sur nos activités et une reconnaissance pour le travail déjà réalisé », commente David Chapelle. Doté d’un budget de 3­,­6 millions d’euros sur cinq ans (2022­-­2027), Hyperstock est piloté par l’université de Franche-Comté, financé par France 2030 et suivi par l’Agence nationale de la recherche (ANR).

 

Quelle consommation d’énergie pour la fabrication d’une montre mécanique ?

Dans une région de tradition horlogère et à une époque où le développement durable est devenu une priorité, cette question revêt une importance toute particulière. Elle s’est posée à David Weber, ingénieur en mécanique au département d’ingénierie horlogère de la HE-Arc, et aux étudiants IDE3-csm, dans le cadre du cours Analyse cycle de vie produit, qu’il a accompagnés lors d’une étude à ce sujet. « L’objectif était d’établir un bilan global de la consommation énergétique et de l’émission de CO2 de chacun des composants d’une montre mécanique, pour déterminer ensuite sur quelles étapes du cycle de vie du produit il est possible d’agir. »

L’analyse prenait en compte les matériaux utilisés pour la réalisation ainsi que les procédés de fabrication de base, mais sans décoration ni luxe particuliers. Platine, pont, rouages, lunette, cadran, aiguilles, verre… tous les composants du mouvement et de l’habillage ont été passés au crible du logiciel Granta EduPack, qui propose à des fins pédagogiques une base de données complète de matériaux et de processus. Les procédés de transformation de la matière, le type de production électrique d’un pays, le transport, les process de fabrication, le parc machine sont autant de paramètres intervenant dans le coût énergétique d’un objet manufacturé ; ils n’ont pas pu tous être considérés mais il a tout de même été possible d’établir un premier modèle correspondant de manière réaliste à des conditions de production standard en Suisse.

Les résultats de l’étude montrent que l’énergie totale requise pour la fabrication d’une montre est de 22­,­2 MJ, équivalents à l’énergie nécessaire pour chauffer 66 litres d’eau de 20­°­C à 100­°­C. Le CO2 total émis est de 1­,­5­2 kg, ce qui correspond à une distance de 12­,­9 km parcourue par un véhicule moderne émettant 1­1­8 grammes de CO2 par kilomètre. « Ces valeurs sont inférieures à ce qui pourrait être intuitivement attendu. Mais il est plus intéressant de comparer des proportions plutôt que des valeurs absolues. Notre analyse montre que 86 % de l’énergie requise est incorporée aux matériaux, plus exactement aux pièces brutes qui seront transformées pour la fabrication. » Le choix du matériau et de son origine revêtent donc une importance majeure. « À titre d’exemple, l’acier inoxydable recuit AISI 316L, non recyclé, a une énergie incorporée de 73­-­80,5 MJ­/­kg. Avec un taux de recyclage de l’acier d’environ 50 %, l’énergie incorporée baisse de 40 % », précise David Weber.

Autre enseignement de l’analyse : au stade de la production, 61 % de l’énergie sont utilisés pour la fabrication du verre saphir, alors que ce composant ne représente que 7 % du poids du boîtier. Ces conclusions ont d’ores et déjà retenu l’attention d’un industriel spécialisé, Scientific Visual, qui souhaite éprouver les options qu’il propose pour optimiser la découpe des verres, en sélectionnant par scanner les zones ne présentant aucun défaut dans des carottes de saphir.

Une telle étude peut aider à opérer certains choix pour produire différemment ou simplifier la fabrication de certaines pièces en vue de réduire l’empreinte écologique des process industriels. « Il est prévu que cette thématique soit poursuivie au sein du groupe Ingénierie horlogère, notamment en la complétant avec des mesures réelles, effectuées sur de vraies machines, pour prendre en compte les spécificités des fabricants et répondre le mieux possible à leurs problématiques », remarque David Weber.

Les résultats complets de l’étude sont disponibles sur le site de la Haute Ecole Arc : www.he-arc.ch. À noter que l’entreprise Scientific Visual s’est déjà basée sur cette étude pour démontrer l’attrait de la technologie de scannage de carottes saphir qu’elle développe, une thématique qu’elle présentera lors du Congrès international de chronométrie en septembre.

 

Petits formats, grandes ambitions

Dans le domaine microtechnique, les gains en énergie de fabrication sont hautement possibles, comme l’ont prouvé les idées novatrices des ingénieurs et chercheurs de l’école neuchâteloise.

La Micro­5 est l’exemple type d’une nouvelle façon d’envisager la production ; la station d’usinage aux dimensions d’une machine à café s’est transformée en succès commercial très vite après la présentation de son premier prototype en 2016 par Claude Jeannerat, Philippe Liscia et leur équipe. Construite sur cette pierre fondatrice sous l’impulsion de Philippe Grize, la micro-usine va encore plus loin et développe depuis 2018 un concept révolutionnaire de procédés industriels autonomes et interconnectés, dans les cases d’une sorte de très grande étagère représentant à elle seule un système de production complet.

Ces réalisations prévoient de ramener à des dimensions plus acceptables les machines certes très performantes, mais démesurées proportionnellement à la taille des pièces qu’elles produisent, que l’industrie emploie aujourd’hui. Certaines machines pèsent jusqu’à trois tonnes alors qu’elles usinent de minuscules composants horlogers ; leur consommation énergétique est en majeure partie consacrée à leur refroidissement, et à quelques pourcents seulement aux besoins de la production…

 

 

 

Le pari de la micromachine, aujourd’hui Micro5, était de limiter ses dimensions à cinq fois celle des composants qu’elle était chargée de produire. Dédiée elle aussi aux domaines des microtechniques, la micro-usine suit le même principe et se développe au cœur du MicroLean Lab, une plateforme d’expérimentation qui à la HE-Arc accueille une trentaine d’entreprises dans un partenariat public / privé. Outre son faible encombrement et sa consommation énergétique modeste, l’agilité et la digitalisation sont deux caractéristiques de l’appartenance de la micro-usine à l’industrie 4­.­0­.

La qualité prédictive des pièces, la maintenance prédictive des machines et l’optimisation des flux sont les trois axes de travail sur lesquels se concentre actuellement l’équipe chargée de développer ses fonctionnalités, ainsi que l’explique Nabil Ouerhani, directeur adjoint, responsable Ra&D et formation continue à la HE-Arc : « Des observations menées en continu permettent de corriger le positionnement des outils en fonction de leur usure ou des effets de la dilatation produite par des changements de température. Toutes les informations utiles sont relayées par des capteurs couplés à des algorithmes qui témoignent de la qualité d’usinage en temps réel. »

 

En raison des faibles dimensions des machines, mêmes les variations de consommation d’électricité sont un indicateur de comportement des outils et un marqueur de qualité des pièces en cours de fabrication. D’autres capteurs témoignent de l’état de fatigue des éléments composant les machines, des données utiles à la prédiction de leur durée optimale de fonctionnement. « Il est ainsi possible de planifier le remplacement de composants défectueux sans arrêter les machines et donc sans impacter la production. »

La micro-usine est un système connecté dans laquelle chaque fonction, impression 3­D, gravure, assemblage, soudure…, occupe une niche. Les liaisons par voies numérique et robotique entre ces différents postes, regroupées sous le terme de transitique, demandent une maîtrise à la fois mécanique et informatique des procédés. Les technologies et compétences convoquées garantissent un bon ordonnancement des ordres de fabrication, un transfert optimisé des pièces par navettes robotisées, un suivi de production instantané, une reconfiguration des niches en fonction des productions à mettre en œuvre. Autant de possibilités encore améliorées par les simulateurs que sont les jumeaux numériques.

 

Un jumeau numérique pour une fabrication zéro défaut

La création de jumeaux numériques industriels donne la possibilité de suivre le fonctionnement d’une machine sur un double virtuel qui reproduit ses caractéristiques, ses paramétrages et son environnement, pour mieux surveiller un process ou anticiper la survenue de pannes. Des jumeaux numériques peuvent de la même manière être créés pour dupliquer virtuellement une chaîne de travail, voire une entreprise entière.

L’avatar que l’équipe de Raphaël Montavon développe à la Haute Ecole Arc concerne la fabrication elle-même. De façon inédite, il permet d’aller beaucoup plus loin que les modèles CAO ou FAO habituellement utilisés en entreprise, en utilisant les potentialités de l’intelligence artificielle, notamment du machine learning. « La compréhension du métier et du fonctionnement de la machine est essentielle pour donner les bonnes informations au modèle. Il s’agit de mettre le savoir-faire du mécanicien dans la chaîne numérique. »

L’objectif est de rendre les machines autonomes et capables de produire des pièces sans défaut, du premier coup. De nombreuses perturbations sont susceptibles d’intervenir dans un process de fabrication et nécessitent l’intervention régulière d’un mécanicien. Efforts de coupe, rigidité de la machine, accélération et freinage de la commande numérique, usure des outils, vibrations, variations de température sont autant de paramètres que le modèle numérique prend en compte. La trajectoire d’un outil de coupe, par exemple, dépend de tous ces critères, et doit régulièrement être corrigée. Les données agrégées par le jumeau numérique permettent de prédire les perturbations quasiment en temps réel, d’intégrer les corrections à apporter au process et de modifier le code d’entrée informatique qui détermine le fonctionnement de la machine.

La Micro5 s’est prêtée à l’élaboration d’un prototype de jumeau numérique, dans un projet de recherche qui vient de se terminer et débouche sur la preuve de concept d’un procédé très novateur. L’étape suivante consistera à sortir du machine learning des lois et des formules directement applicables au process, pour réduire le volume des données à traiter à chaque mise en œuvre. Du côté de l’industrie, Dassault Systèmes figure dans les premières entreprises à suivre de près cette avancée technologique et soutient l’équipe de la Haute Ecole Arc, une marque d’intérêt de bon augure pour la valorisation future du procédé. Pour en savoir plus : https://microleanlab.ch

 

Mécanique appliquée aux tissus vivants

L’équipe BIOMÉCAT transfère aux tissus vivants les méthodes développées en mécanique sur les matériaux classiques, pour des applications en santé et en sécurité du travail. L’un de ses projets s’intéresse aux effets délétères des machines vibrantes, tenues ou guidées à la main, sur la santé de leurs utilisateurs.

Les ponceuses, visseuses et autres machines du même acabit fonctionnent à des fréquences supérieures à 50­Hz. L’exposition répétée aux vibrations générées par ces outils est susceptible de provoquer l’apparition du syndrome de Raynaud, plus connu sous le nom de « maladie des doigts blancs ». Cette affection du réseau périphérique se traduit à un stade avancé par des crises répétées et des lésions handicapantes, et peut conduire dans les cas extrêmes à une amputation des doigts. « En réponse aux vibrations, certaines cellules de la couche interne de l’artère digitale prolifèrent et provoquent un épaississement des tissus qui empêche la bonne irrigation du sang », explique Emmanuelle Jacquet, responsable de l’équipe BiomécaT.

La mise en évidence et la compréhension précise des interactions à l’origine du phénomène proviennent d’un modèle numérique fondé sur l’exploitation de données expérimentales : les expériences menées in vitro portent d’une part sur le comportement et l’environnement mécaniques de l’artère, d’autre part sur la cinétique des cellules, incluant leur prolifération, leurs migrations, et le processus d’apoptose qui provoque leur mort. Le modèle multi-agent élaboré tient ainsi compte des différents facteurs physiques et biologiques qui entrent en jeu dans la croissance tissulaire à l’intérieur des artères. « Il permet de comprendre et de quantifier des processus qui se combinent, et de connaître leur importance relative. »

Soumis au modèle, trois scénarios simulent sur dix ans l’évolution du remodelage de l’artère : en l’absence de vibrations, le nombre de cellules impliquées dans la croissance tissulaire interne de l’artère ne change pas ; l’exposition à des vibrations une heure par jour induit une légère baisse de surface de la lumière de l’artère, de l’ordre de 5 %, correspondant à une prolifération, également légère, des cellules ; avec un taux d’exposition aux vibrations de 4 heures par jour, la surface de la lumière chute de 30 %, prouvant l’obturation progressive de l’artère au fil du temps.

Des données expérimentales complémentaires viendront alimenter le modèle et produire de nouveaux résultats dans ce projet mené en collaboration avec l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS). L’objectif à terme est de mieux protéger les salariés contre le risque vibratoire vasculaire, en contribuant à l’amélioration des normes de mesurage de la dose vibratoire reçue par les travailleurs.

Un autre projet concerne les mécanismes de rupture du périnée pendant l’accouchement. Il est mené en partenariat avec le service de gynécologie-obstétrique du CHU de Besançon, qui est l’un de ceux qui, en France, pratiquent le moins l’épisiotomie et mettent en avant des techniques d’accouchement évitant ce geste chirurgical. Ainsi le recours à l’incision du périnée concerne-t-il moins de 1 % des accouchements pratiqués au CHU de Besançon, quand ce taux atteint 20 à 25 % dans certaines maternités. Là encore, l’élaboration d’un modèle numérique enrichi de données expérimentales est au centre du projet ; il fournira des arguments scientifiques aux cliniciens pour mieux valoriser et diffuser des pratiques par ailleurs éprouvées au quotidien.

« L’objectif de la recherche est d’anticiper au maximum la réponse des tissus pour établir des prédictions sur leurs déchirures possibles. Il s’agit en premier lieu de caractériser d’un point de vue mécanique les différentes couches de peau et de muscles qui composent le périnée. » Tiguida Kadiakhe et Marine Lallemant sont toutes deux doctorantes au DMA, leurs études se complètent pour comparer le comportement des tissus en dehors et lors de l’accouchement. « Le modèle animal retenu pour l’étude des tissus in vitro est celui du cochon, à partir d’échantillons prélevés sur des animaux passés à l’abattoir », explique Emmanuelle Jacquet. La caractérisation de ces tissus permettra de définir le seuil de sollicitation au-delà duquel un risque de rupture est avéré. « L’hypothèse de travail repose sur le modèle de l’hyperélasticité en mécanique, qui traduit le comportement non linéaire des tissus en grandes déformations. »

Les premiers résultats portant sur l’animal seront présentés au Congrès français de mécanique qui aura lieu fin août à Nantes. Complétant cette approche, des observations et mesures sur les tissus humains sont ensuite envisagées lors d’accouchements à la maternité du CHU de Besançon et dans le cadre d’un protocole validé par le comité de protection des personnes. Réalisées par caméra auprès de parturientes bien évidemment consentantes, ces mesures non invasives devraient permettre de constater et de quantifier les champs de déplacement des tissus à partir des modifications des marques naturelles présentes sur la peau du périnée lors de l’accouchement.

Du domaine de l’hydrogène à celui de la santé en passant par les microtechniques, de l’emploi de nouveaux matériaux à la définition de processus de fabrication innovants, ces focus donnent un aperçu de la variété et du dynamisme des recherches menées dans l’Arc jurassien en mécanique, une discipline au cœur des défis sociétaux de demain et à retrouver sur www.insis.cnrs.fr/fr/2021-2022-la-mecanique-du-futur.

retour