Université de Franche-Comté

Les Amérindiens kali’nas, vulnérables à l’érosion des côtes

Entretien avec un habitant de la communauté Kali’na.
Photo Emmanuel Garnier

En Guyane française, les Kali’nas vivent sur le littoral atlantique, aux abords immédiats de l’embouchure du fleuve Maroni. Ce sont quelque deux mille Amérindiens, dont les territoires sont menacés par l’érosion des côtes et les risques de submersion. Le peuple kali’na, habitué au cours des siècles à se déplacer pour assurer sa subsistance, protéger ses coutumes ou fuir le danger des prisonniers évadés du bagne, peine aujourd’hui à quitter les terres sur lesquelles il s’est établi pour échapper à la menace d’une catastrophe.

Pour apporter des éléments de connaissance et de réflexion à la problématique d’un éven­tuel repli de la population kali’na vers la forêt, l’historien Emmanuel Garnier est allé à la rencontre de ces Amérindiens. « Les Kali’nas sont un peuple de tradition orale, c’est en discutant avec eux qu’il est possible de mesurer la portée des héritages historiques et des croyances, d’étudier leur place par rapport aux autres ethnies autochtones, de cerner les enjeux politiques et les luttes d’influence, autant de dimensions qui impactent les décisions. » De mieux connaître ce peuple en définitive, et de sonder l’aptitude des Kali’nas à renouer avec l’esprit nomade qui pourrait les aider, comme par le passé, à reconstruire ailleurs des traditionnels carbets en bois ou des logements en dur, où certains d’entre eux ont pris l’habitude de vivre.

Dans les régions tropicales isolées, une étude de terrain prend vite des allures d’expédition. Déplacements en pirogue au voisinage des crocodiles et des serpents, expérience chamanique de la fête des tambours rythmée par le son hypnotique des sambulas, entretiens avec les habitants et les « capitaines », les chefs coutumiers des Kali’nas, sans compter l’accueil imprévu de l’ambassadeur de France au Suriname et au Guyana à la nouvelle station CNRS d’Awala-Yalimap où il était cet été le premier scientifique à travailler…, ces semaines hors du commun ont apporté à Emmanuel Garnier leur lot d’émotions et une moisson d’informations. « Les habitants ont conscience des risques encourus, mais ne veulent pas se déplacer. Les aînés tiennent à rester sur la terre de leurs ancêtres, et se déchargent de la prise de décision sur les jeunes générations. »

Photo Emmanuel Garnier

Depuis le XVIe siècle, le peuple kali’na a été confronté à divers remo­delages des traits de côte. Mais aujourd’hui, des palmiers sont déracinés sur les plages et des bancs de vase envahissent le littoral au point d’interdire par endroits tout accès à la mer. Et la reproduction des tortues est mise en péril. « Cette partie du littoral est l’une des régions les plus importantes au monde pour la nidification des tortues luth, vertes et olivâtres ; l’enjeu écologique est tel qu’il compte aussi pour faire émerger des solutions d’avenir. »

Les travaux d’Emmanuel Garnier seront relayés auprès des chercheurs de l’université de Guyane et des autorités locales ; ils aideront à préparer les habitants à l’éventualité d’un départ, et notamment les plus jeunes, qu’il semble déterminant de sensibiliser au cours de leur scolarité. « Réserver des terrains, prévoir des branchements électriques et des arrivées d’eau sont par ailleurs des options concrètes à retenir en cas de brutal retrait du trait de côte », estime l’historien spécialiste du climat et des catastrophes naturelles.

Le projet Kali’nas arrive à son terme. Il est intervenu en marge du programme RISCDIS, qui intègre l’étude de populations amérindiennes confrontées au dérèglement climatique (projet PEOPLE), et a fait l’objet d’un financement Chrysalide de l’université de Franche-Comté sur dix-huit mois.

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