Université de Franche-Comté

Le ressenti des personnes âgées en photos

« Qu’est-ce qui est important pour vous ? » « À quoi tenez-vous le plus ? »… Ces questions ont été posées à des personnes âgées vivant en résidence autonomie, en EHPAD ou à leur domicile. Réponses en images avec des photos prises au gré de leur inspiration, chez elles ou à l’extérieur, des clichés de gens, d’animaux, de fleurs, d’objets… Cette démarche pour le moins inhabituelle est celle d’étudiants en master de philosophie, sociologie et psychologie, qui ont mené l’enquête sous la direction d’enseignants-chercheurs dans ces trois disciplines à l’université de Franche-Comté, un projet mené par Sarah Carvallo, spécialiste de la philosophie de terrain. Cette branche de la philosophie développée en France depuis une quinzaine d’années veut éprouver de manière concrète les concepts théoriques de la discipline. « Il s’agit d’analyser la représentation du monde, ici la vieillesse, telle qu’elle est vécue par les personnes concernées ; à partir de là, il devient possible de faire évoluer les concepts philosophiques, voire d’en inventer de nouveaux. »

Peu coutumiers de l’exercice, parfois réfractaires devant l’utilisation de l’appareil photo qu’on leur a proposé, une douzaine de personnes âgées se sont néanmoins prêtées au jeu. Ici, pas d’ambition statistique, pas de norme pour conduire les entretiens, mais une analyse au cas par cas des clichés et des commentaires recueillis, à partir de pistes thématiques avancées pour guider la réflexion des seniors : le rapport au temps, le rapport à l’environnement, la question de la dépendance, la problématique de la médicalisation, la famille. Certaines photos ont montré l’importance du temps naturel chez ces personnes, qui ont pris de la distance avec le temps social de la vie active, et découvrent de nouveaux rythmes et formes temporels ; le cycle de la vie devient la référence, avec ses âges qui sont autant d’étapes du temps naturel. Les petits-enfants, quand il y en a, sont d’une importance majeure et symbolisent le renouvellement du cycle. La famille de façon générale figure en bonne place dans les représentations, même si son architecture ne correspond pas toujours à celle de départ : la famille se définit par l’entourage proche de la personne âgée, cela peut être les enfants, mais aussi un neveu, une cousine ou une voisine qui gravitent autour d’elle.

Les photos montrent des endroits privilégiés et la façon dont on s’approprie ces endroits : dans les lieux de vie, c’est celle du fauteuil préféré ou de la cuisine que l’on investit beaucoup ; à l’autre extrême, un endroit visité une seule fois dans l’année fait aussi l’objet d’un cliché, car il représente un espace de liberté précieux ; un souvenir rappelant une vie passée ailleurs occupe une place importante. Le changement de domicile, tout comme la crainte d’avoir à connaître le déracinement, par exemple en quittant sa maison pour un EPHAD, sont également évoqués à travers les photos.

Des gens, des animaux, des fleurs, des objets… mais jamais leur propre visage : pas de selfie chez les personnes âgées. Mais contre toute attente, plusieurs ont souhaité prendre des photos des étudiants venus à leur rencontre, preuve de la valeur des relations qui se sont tissées au fil des entretiens. « Les personnes âgées vivent à la fois dans le temps très long, avec des images du passé, et dans l’immédiateté, avec ce qui leur tient à cœur sur le moment », souligne Sarah Carvallo. Les résultats de cette étude inspirée de la photo-élicitation, une méthode de recherche qualitative développée en sociologie notamment, feront l’objet d’une publication scientifique dans les prochains mois.

Crédit photo : © Tiago Muraro sur Unsplash
Contact(s) :
Laboratoire Logiques de l’agir
UFC
Sarah Carvallo
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