Université de Franche-Comté

Alimentation : le sens de l’équilibre

Elle influe sur la santé autant qu’elle révèle les identités culturelles, elle est tributaire des ressources qu’offre la planète et du travail des hommes : de l’environnement jusqu’à nos assiettes, l’alimentation est une affaire d’équilibre…

 

 

Enjeux alimentaires et planétaires

 

Photo Pixabay

Des semis de blé à la baguette du boulanger, des champs d’avocatiers du Mexique aux étals de nos marchés, de l’abeille au pot de miel, l’alimentation constitue l’une des composantes d’un large système environnemental, englobant bien d’autres dynamiques que celles qui la lient de manière évidente à l’agriculture. Ce point de vue est au cœur de « l’évaluation Nexus » commanditée par l’Ipbes­1 en 2021, qui a invité plus de 130 scientifiques du monde entier à se prononcer sur les liens entre biodiversité, eau, alimentation et santé dans le contexte du réchauffement climatique.

Chercheur en écologie au laboratoire Chrono-environnement, Patrick Giraudoux est l’un des rédacteurs principaux du chapitre d’ouverture d’un rapport qui promet d’être épais, et dont la publication est prévue pour décembre 2024. « Fidèle à la philosophie de l’Ipbes, l’expertise se fait en lien avec la société. L’évaluation se construit par étapes, donnant la possibilité aux citoyens du monde entier de participer à la réflexion, et plaçant les scientifiques dans l’obligation de répondre à chacun de leurs questionnements. » Plus de 800 commentaires apparaissent ainsi en marge du seul chapitre 1 dans sa première version !

En attendant la publication de l’évaluation qui fournira des outils aux décideurs d’une bonne partie de la planète, Patrick Giraudoux donne des exemples d’équilibres fragiles entre alimentation et environnement. Il rappelle que la culture intensive du maïs nécessite beaucoup d’eau : si la céréale fournit de la nourriture au bétail à la base de la production de viande de boucherie, elle capte des ressources en eau et en terres directement à déduire des disponibilités pour d’autres usages, pour d’autres productions alimentaires destinées à la consommation humaine directe ou pour le bon fonctionnement des écosystèmes, dans un contexte où l’eau commence à manquer.

Un exemple plus spécifique et local concerne le déficit de pollinisation du cassis, responsable d’une forte baisse de rendement des baies noires et de la production de leurs produits dérivés. « Le cassis est pollinisé principalement par de petites abeilles solitaires et des bourdons, dont le nombre accuse une chute vertigineuse, de l’ordre de 95 % dans les champs de Bourgogne entre 1981 et 2018. »­2

Des pollinisateurs décimés par les pesticides et en raison de la destruction de leurs habitats, un chiffre témoignant très concrètement de la sévérité de l’effondrement des populations d’insectes, et de ses conséquences directes sur nos capacités de production alimentaire. « Dans un système riche, un pollinisateur temporairement défaillant est susceptible d’être remplacé par un autre, dont les facultés sont à ce moment-là meilleures. La perte de diversité crée des systèmes de plus en plus instables et vulnérables, explique le chercheur. Pour réussir à nourrir la planète sans créer des déséquilibres qui seront à terme fatals, il est nécessaire de produire autrement. »

Patrick Giraudoux mise sur des démarches telles que l’agroécologie, qui fait peu à peu les preuves de sa pertinence grâce des méthodes comme le mélange des espèces ou la rotation des cultures, efficaces pour les rendements et à moindre préjudice pour l’environnement.

Photo Steve Buissinne – Pixabay

La question cruciale de la fertilisation fournit un exemple de réponse durable, élaborée par les scientifiques pour répondre à une situation relevée en Afrique. Au Sénégal, le barrage de Diama favorise l’irrigation et donc la productivité des cultures, qui bénéficient par ailleurs de l’apport d’engrais minéraux. Mais la fertilisation des sols crée une spirale écosystémique infernale, dont l’être humain est en définitive la victime. Drainés depuis les champs jusqu’aux points d’eau, les engrais favorisent aussi la croissance de la végétation aquatique, elle-même responsable du développement d’une petite faune dont deux espèces d’escargots sont les hôtes d’un parasite provoquant la bilharziose, responsable de graves infections intestinales et urinaires.

Complétant les analyses chimiques et biologiques expliquant les processus à l’œuvre, les études des scientifiques ont montré que la végétation aquatique proliférante, une fois compostée et traitée de façon appropriée, s’avère être une bonne source de nourriture pour les animaux. Une solution estimée 64 fois moins coûteuse que le recours à des fertilisants pour la production de fourrage, emportant l’adhésion des agriculteurs, qui en récoltant la végétation aquatique en vue de l’utiliser, assainissent les points d’eau sans altérer la biodiversité à une échelle plus large. Réunissant chercheurs, agronomes, agriculteurs, acteurs de santé publique et écologues autour de la problématique, le cercle vicieux se transforme en cercle vertueux…

 

1 Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques. Créée en 2012, l’Ipbes est un groupe international et pluridisciplinaire d’experts chargé d’assister les gouvernements sur les questions de biodiversité, sous l’égide de l’ONU. Réunissant 145 États membres, il est souvent qualifié de « GIEC de la biodiversité ».
2 Étude conduite en 2021 par Marie-Charlotte Anstett, du laboratoire Biogéosciences (Dijon). Voir l’article paru dans Bourgogne – Franche-Comté Nature n°29.

 

 

Production, consommation et expériences sociales parallèles

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À l’université de Neuchâtel, Jérémie Forney est enseignant-chercheur en anthropologie de l’environnement, dont l’approche qualitative permet d’étudier de petits groupes, de comprendre à partir de l’individu ce qui se joue à l’échelle d’un système. Spécialiste de la question agricole, il axe naturellement aussi ses recherches sur l’alimentation, et sur la relation entre production et consommation. Il a notamment participé au Programme de recherche national (PNR 69) portant sur « alimentation saine et production durable », dont les conclusions ont été rendues en 2020 au terme de plusieurs années d’investigation dans différentes disciplines.

Jérémie Forney note que le producteur et le consommateur sont des individus, et qu’entre eux prend place ce « grand système qu’est l’alimentation ». « Sur la question de la protection environnementale, l’agriculteur est fatigué d’être accusé de tous les maux et le consommateur se sent démuni devant l’ampleur de la tâche. Il faut arrêter de stigmatiser et de culpabiliser l’individu, en trouvant les moyens d’agir de façon collective. » Les pratiques alternatives autour de l’alimentation sont des réponses possibles, que questionnent l’anthropologue et son équipe.

L’exemple de la pandémie de Covid montre combien l’engouement pour les réseaux locaux alors mis en place s’est vite essoufflé au retour à la normale, victime d’un fonctionnement qui pousse toujours le consommateur à renouer avec ses habitudes. Mais le chercheur rappelle aussi que les expériences de systèmes parallèles sont nés dès le début des années 2000, certains même dès la fin du siècle précédent, et selon différents modèles : associations de producteurs, de consommateurs, création de coopératives pour la culture de terres communes, fédérations nationales regroupant différentes initiatives, comme l’Agriculture contractuelle de proximité (ACP) en Suisse ou les Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (AMAP) en France, qui lient dans un partenariat direct et un engagement à long terme, une année en général, les agriculteurs et les consommateurs. « Cette entente

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décharge les producteurs de certains risques, les consommateurs s’engageant à acheter ce qui peut être produit, que l’année soit bonne ou mauvaise pour telle ou telle variété. »

Du côté du consommateur, la satisfaction de pouvoir manger local et de participer à lutter contre le gaspillage alimentaire signifie aussi accepter de renoncer à certains choix individuels et de revenir aux mêmes aliments en période d’abondance. Jérémie Forney étudie comment ce type d’accord peut être vécu et quels sont les leviers qui lui permettront de s’inscrire dans la durée. « Ces expériences témoignent d’un engagement qui peut s’apparenter à du militantisme.

Cependant la proximité entre producteurs et consommateurs n’est pas aussi automatique qu’on pourrait l’imaginer, elle se limite parfois à la récupération d’un panier à un point de collecte. » Pour aller au-delà, les producteurs proposent des animations ou des dégustations à la ferme, invitant les membres de l’association à y participer. En matière d’alimentation, si les initiatives se multiplient et prennent des formes très diverses, elles restent à la marge d’un système sur lequel elles ne peuvent exercer de pression ; elles agissent cependant sur les prises de conscience, et en proposant des solutions concrètes sur le terrain, participent à faire de chacun de nous un « consommacteur ».

 

 

Vertus et limites de l’étiquetage Nutri-Score

L’information donne aussi des moyens de consommer de façon plus éclairée, dès l’emballage-produit. Adopté en France, Belgique, Allemagne, Luxembourg, Pays-Bas, Espagne et Suisse, l’étiquetage Nutri-Score indique la qualité nutritionnelle globale d’un produit alimentaire, grâce à une notation en cinq lettres inscrite sur un dégradé de couleurs explicite.

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En un clin d’œil, le consommateur pressé repère dans les rayons d’un supermarché si un aliment est réputé bon ou mauvais pour sa santé. L’appréciation est délivrée par un algorithme sur la base de la teneur en matières grasses, en sucres et en sel du produit. Si la démarche est vertueuse, et malgré des évolutions récentes de l’algorithme, elle montre des limites qui incitent à la polémique. Nutri-Score passe sous silence certains aspects de la qualité nutritionnelle du produit, une lacune que l’Espagne, l’Italie et la Grèce ont été les premières à pointer du doigt pour défendre l’un de leurs fleurons alimentaires, l’huile d’olive. Ce produit incontestablement gras présente des vertus pour la santé largement reconnues, sauf par Nutri-Score.

Également oubliées les vitamines A, D et E fournies par une noisette de beurre, dont la haute teneur en matières grasses aux 100 g le fait classer négativement par l’algorithme ; il n’est pourtant nullement nécessaire, ni habituel, d’ajouter la moitié de la plaquette à une assiette de haricots verts… L’échelle de valeurs ne tient pas non plus compte de la qualité de fabrication des produits. Sur la base de leur teneur respective en matières grasses, un fromage industriel peut ainsi être mieux noté qu’un fromage AOP. Un comble pour certains producteurs de terroir, et un enjeu de santé publique.

Car la fabrication, la transformation et la conservation des produits alimentaires industriels impliquent le recours à des additifs dont il est difficile d’estimer les effets à long terme sur la santé, surtout lorsqu’ils sont combinés. « Malgré son intérêt, le dispositif est fondé sur un algorithme utilisant des données basiques, ne prenant pas suffisamment de paramètres en compte », explique Christine Lebel, enseignante-chercheuse en droit privé au CRJFC, dont l’un des objectifs de recherche est de faire évoluer la réglementation autour des questions d’alimentation, et notamment de l’étiquetage Nutri-Score. Une démarche a été engagée avec des collègues de l’université de Pau, elle a donné lieu à un colloque scientifique, dont les actes 3 ont été publiés en 2023. « Notre souhait est d’agréger d’autres champs disciplinaires à notre réflexion pour considérer la problématique de manière large. »

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L’idée serait de faire converger les informations de type Nutri-Score et celles des Signes officiels de la qualité et de l’origine (SIQO), qui certifient l’exigence et le savoir-faire des producteurs par différents labels : l’appellation d’origine contrôlée (AOC) et son équivalent européen l’appellation d’origine protégée (AOP), le label rouge (LR), l’agriculture biologique (AB), l’indication géographique protégée (IGP) et la spécialité traditionnelle garantie (STG). « Il est nécessaire de renouveler notre vision de l’alimentation, de la replacer dans son contexte environnemental et sociétal. Dans les années 1960 et 1970, la volonté était de produire de manière à ce que son coût baisse, au point que ce poste devienne un « non-budget » pour les ménages. Il s’agit aujourd’hui de remettre l’alimentation au cœur des préoccupations et d’insister sur son importance en termes de santé, de plaisir et de sociabilité. »

 

3 Ch. Lebel, La pomme de la discorde entre Nutri-Score et les signes de l’origine et de la qualité : Dalloz IP/IT : droit de la propriété intellectuelle et du numérique, 2023, 01, pp.14

 

 

Faire le choix de nouvelles pratiques alimentaires

Pourquoi et comment choisit-on d’adopter de nouvelles pratiques alimentaires ? Et quel rôle le contexte social joue-t-il dans ces choix ? Pour préparer la thèse en psychologie socioculturelle qu’elle a soutenue à l’UniNE, Fabienne Gfeller a étudié, pendant cinq ans, les trajectoires de dix adultes ayant opté pour de nouveaux comportements, entre régimes végétarien, végan et omnivore. Si l’environnement et la santé sont des préoccupations sous-jacentes pour tous les participants à l’étude, on retrouve la santé aux côtés de la question de l’éthique animale comme raisons décisives pour passer d’un régime omnivore à un régime végétarien.

Ces deux motivations sont également des déclencheurs pour aller plus loin et adopter une pratique végane, à entendre ici comme un synonyme de végétalien, c’est-à-dire excluant tout aliment d’origine animale. La notion de plaisir, qu’il soit apporté par la nourriture elle-même ou par la prise de repas en commun, est une dimension également importante, souvent évoquée. Fabienne Gfeller souligne le fait que « l’alimentation est liée à des phénomènes sociaux comme la politesse ou la loyauté familiale, ce qui crée souvent des situations de tension ».

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Sept personnes sur dix témoignent d’un malaise pour assumer et défendre leurs choix. « L’un des participants à l’étude est pour cette raison revenu à un régime omnivore, après plusieurs années de végétarisme. Entre devoir justifier ses choix auprès d’un entourage peu sensible à la question ou à l’inverse auprès d’un cercle d’amis strictement vegans, la pression devenait trop forte. » Cette difficulté se ressent parfois aussi à titre individuel : les végétariens sont tiraillés entre le choix qu’ils ont adopté, sa mise en pratique et un idéal moral ambitieux, s’inquiétant d’être suffisamment cohérents dans leur démarche ou d’en faire assez.

De manière globale, cette recherche montre que les conceptions, les ressentis et l’engagement sont différents d’un individu à l’autre. Modifier son comportement alimentaire parce qu’on refuse la mort d’animaux pour se nourrir ne procède pas des mêmes motivations que si on s’élève contre certaines pratiques de l’élevage industriel. Dans la pratique, un végétarien fera plus volontiers des exceptions à la règle dans le second cas, dès lors qu’il a la certitude de consommer de la viande d’un animal élevé dans de bonnes conditions.

De la même façon, les individus motivés par des questions de santé s’autorisent plus facilement quelques entorses, estimant que leur organisme peut s’en accommoder. « Dans tous les cas, le discours qui domine est celui de la liberté individuelle. Même si elle est ressentie comme un enjeu important, la question de la responsabilité collective est en retrait. La question du lien entre le fait d’adopter, à titre individuel, un comportement qu’on juge responsable et une possible influence sur des questions de société aussi vastes que celle, par exemple, de la maltraitance animale, est rarement abordée explicitement ».

La thèse de Fabienne Gfeller bat en brèche les stéréotypes souvent attachés à la pratique d’une alimentation végétarienne. Étudiant, imprimeur, femme au foyer, dentiste, ouvrier du bâtiment, artiste…, le groupe concerne des profils sociaux très divers et compte presque autant d’hommes que de femmes ; âgés de 25 à 65 ans, ils n’ont pour la plupart pas un profil de militant et ne passent pas tous beaucoup de temps en cuisine.

 

 

Qui sait ce que mangeaient Adam et Ève ?

Alonge G., Christin O., Adam, Ève,
le Paradis, les légumes et la viande,
Éditions Anacharsis, 2023

C’est précisément aux origines du végétarisme que s’intéresse l’ouvrage Adam, Ève, le Paradis, les légumes et la viande. Écrit à quatre mains par Olivier Christin, spécialiste d’histoire politique et religieuse à l’université de Neuchâtel, et son collègue Guillaume Alonge, de l’université de Turin, cet essai retrace l’histoire d’une querelle presque aussi vieille que les premiers humains : Adam et Ève étaient-ils ou non végétariens ?

Si le propos des auteurs n’est pas de répondre à une question qui fait débat depuis des siècles, il montre comment la polémique enfle, puis change d’opposants au cours d’une page d’histoire de quelques décennies, à cheval sur les XVIIe et XVIIIsiècles.

À la fin du XVIIsiècle, la controverse est essentiellement religieuse, elle voit s’affronter les catholiques et les protestants autour de la question des interdits alimentaires imposés par les premiers et rejetés par les seconds, sur la base de leurs interprétations respectives des textes de la Genèse. C’est à cette époque que, motivées par des raisons diverses et variées, des dispenses de carême ou de jeûne sont accordées en nombre croissant, un signe annonciateur du recul de la foi chrétienne et de sa pratique. C’est aussi à cette époque qu’au sein des ordres religieux, le ton monte entre partisans d’une stricte observation des règles et défenseurs d’une adaptation des dogmes au monde moderne. « La querelle investit ensuite le domaine de la science. Les médecins, les anatomistes, les philosophes s’emparent de la question et formulent de nouvelles hypothèses », explique Olivier Christin.

Les expérimentations en anatomie comparée se multiplient, elles montrent par exemple que les dents de l’homme sont plates, contrairement à celles des animaux carnivores, ce qui pour certains constituerait une preuve de la nature herbivore de l’être humain. « La science ne s’est pas substituée d’un coup au religieux, mais a pris peu à peu place à ses côtés. Il a fallu des décennies avant que la science devienne le discours dominant, avant que la santé des corps l’emporte sur le salut de l’âme. » Des décennies pendant lesquelles les arguments se mêlent, se contredisent parfois ou sont prétexte à des reconstitutions fantaisistes. Les médecins, qui sont aussi de fervents catholiques, – les protestants n’ont pas le droit d’exercer la médecine depuis la révocation de l’édit de Nantes en 1685 –, défendent les vertus du jeûne et du végétarisme sur la base de leur foi ; les Jésuites, découvrant le régime végétarien des Brahmanes, se demandent si l’adoption de cette pratique ne signifierait pas que l’Inde, pourtant berceau millénaire de l’hindouisme, ait pu autrefois être une terre catholique : des exemples de ce genre foisonnent dans le corpus de textes constitué autour des quelque trois cents auteurs étudiés pour la rédaction de cet essai.

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Au commencement étaient Adam, Ève et le jardin d’Éden, où l’histoire du végétarisme puise ses racines. C’était avant que la Chute, puis le Déluge, ne rompent l’harmonie, apportant la maladie et la mort dans le monde, promettant aux hommes un dur labeur pour se nourrir. Les références au mythe originel continuent aujourd’hui encore à figurer au nombre des argumentations en faveur du végétarisme : sur des sites web américains par exemple, on peut acheter des compléments alimentaires « Adam et Ève » et suivre les recommandations du régime « Alléluia ». « De façon générale, même si elle n’apparaît souvent qu’en arrière-plan, la question religieuse est toujours présente dans les pratiques alimentaires », souligne Olivier Christin, pour qui la question de l’alimentation participe pleinement de l’histoire des sociétés.

Intrigant par son titre, séduisant par son propos en résonance avec des questions d’actualité, Adam, Ève, le Paradis, les légumes et la viande rencontre un franc succès ; l’ouvrage a été couronné par le prix Anthony Rowley 2023 4.

 

 

4 Le prix Anthony Rowley récompense un ouvrage portant sur « l’histoire de l’alimentation, la gastronomie, le vin, les arts de la table en France et dans le monde, pour l’originalité de son approche, sa rigueur scientifique et sa qualité d’écriture ».

 

 

Diplôme d’université en diététique et nutrition

Bien se nourrir pour être en bonne santé, c’est une philosophie partagée par deux disciplines parfaitement complémentaires, la diététique et la nutrition. La diététique s’apparente à l’hygiène de vie, elle considère l’alimentation comme partie prenante d’un tout, au même titre par exemple que les activités physiques. La nutrition s’intéresse au mode opératoire des nutriments et à leur action préventive ou thérapeutique dans l’organisme.

Photo Alexander Stein –
Pixabay

L’université de Franche-Comté propose un diplôme d’université (DU) dans ces domaines aux pharmaciens, préparateurs en pharmacie, médecins …, ainsi qu’aux professionnels que la question de l’alimentation concerne de près, comme les entraîneurs sportifs. La formation est dispensée principalement par des enseignants-chercheurs en pharmacie, sous la responsabilité pédagogique de Céline Demougeot et Sylvie Bobillier-Chaumont. Une formule pratique avec l’organisation d’une session par an répartie sur deux semaines 5, une notoriété acquise de longue date et une réputation qui ne s’est pas démentie au fil de 25 ans d’existence font de ce DU un diplôme connu et demandé au-delà même des frontières de l’Hexagone.

Intitulé « Diététique, nutrition préventive et micronutrition », il balaie un large spectre de la problématique alimentaire et s’intéresse à ses questionnements les plus actuels. C’est le cas des micronutriments, qui regroupent notamment les vitamines, les fibres, les oligo-éléments, les probiotiques et font beaucoup parler sur le net ou dans les magazines, avec plus ou moins de bonheur et surtout de légitimité scientifique. Sylvie Bobillier-Chaumont fait valoir que « c’est à l’officine du pharmacien ou dans le cabinet du médecin que les personnes qui cherchent à améliorer leur bien-être ou leur santé trouveront des réponses réellement fondées et adaptées ». Des praticiens au fait des dernières avancées scientifiques sur les aliments santé – les alicaments –, les perturbateurs endocriniens dans l’alimentation, la diététique de la femme enceinte ou encore sur la législation concernant les compléments alimentaires.

L’UFR Sciences de la santé de l’université accorde par ailleurs la part belle à la diététique et à la nutrition dans la maquette de ses enseignements en pharmacie, comme en témoignent quelques-unes des thématiques abordées cette année par les étudiants de 5e année : DMLA et nutrition, Les mycotoxines en nutrition, Intérêt et place de la canneberge dans les infections urinaires, Recommandations nutritionnelles pour les rhumatismes inflammatoires chroniques, Carence en micronutriments et aliments ultratransformés sont des sujets illustrant de manière éloquente les orientations prises par l’institution pour mettre en avant les liens entre alimentation et santé.

 

5 Pour l’année 2024 : du 11 au 15 mars et du 17 au 21 juin.

 

 

Limiter les aliments gras, salés, sucrés : une formule publicitaire ignorée… par la pub

6 543 : c’est à ce nombre incroyable de publicités que les enfants et jeunes adolescents ont été exposés sur les médias sociaux pendant les trois semaines d’une enquête marketing menée en Suisse. Une recherche assurée courant 2023 par la Haute école de gestion Arc sur mandat de l’OSAV, l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires, soucieux de connaître l’impact de la publicité numérique sur les jeunes générations dans un pays où près d’un quart des enfants de 5 à 9 ans sont concernés par le surpoids ou l’obésité (Promotion santé Suisse, 2021).

Photo Hans – Pixabay

Le monitoring, réalisé de façon continue avec la méthode CLICK de l’OMS sur les tablettes ou smartphones de 77 enfants âgés de 4 à 16 ans, montre que ce sont les 4­/­9 ans qui sont justement les plus fortement exposés à la publicité : 50 % des vues concernent cette tranche d’âge, contre 25 % respectivement pour les 10­/­12 ans et les 13­/­16 ans. L’alimentation et les boissons représentent 11­,74 % de l’ensemble des publicités capturées au cours de la période, ce qui ne représente pas moins de 768 publicités, dont près d’une sur quatre concerne les chocolats et sucreries.

92,5 % des publicités pour l’alimentation ont été capturées sur YouTube, loin devant Instagram (7,18 %), Snapchat et Twitter, chacun bien en-dessous de 1 %. « La prépondérance très marquée de YouTube s’explique en partie par le fait que c’est le réseau favori des plus jeunes, qui n’ont par ailleurs pas accès à Facebook », précise Julien Intartaglia, directeur de l’Institut de la communication et du marketing expérientiel à la HEG-Arc, et pilote de l’enquête.

Autre chiffre saisissant : 78 % de ces publicités sont considérées comme non autorisées pour les enfants, selon le modèle du profil nutritionnel de l’OMS ; elles assurent la promotion d’aliments à teneur élevée en graisses, sel et sucre, connus sous l’acronyme HFSS (High Fat Sugar Salt). Les paramètres se combinent donc de façon très défavorable pour l’alimentation et la santé des plus jeunes : « Avant 7 ans, les enfants sont à la recherche perpétuelle du plaisir et de la satisfaction immédiate. Cette quête hédoniste est renforcée par le fait que les réseaux sociaux sont des vecteurs de communication addictifs, ce que ne sont pas les médias classiques comme l’affichage par exemple.

Une exposition répétée à la promotion d’aliments HFSS par le biais des réseaux sociaux peut amener à des habitudes de consommation néfastes, d’autant plus que les comportements alimentaires s’ancrent dès l’enfance. » Pour le chercheur, il convient de faire prendre conscience de ces risques aux enfants, ainsi que d’ailleurs à leurs parents et aux adultes en général : « Si on ne peut pas lutter contre les réseaux sociaux, on a le devoir d’accompagner l’enfant à travers le dédale qu’ils représentent. »

Les conclusions de l’étude ont été remises à l’OSAV. L’office fédéral pourra émettre des propositions pour légiférer et peut-être intervenir auprès des industriels, sachant que sur les 65 marques de produits alimentaires recensées au cours de l’enquête, 49 ont diffusé des publicités assurant la promotion d’aliments HFSS, telles que Migros, Lindt, Nestlé, Coca-Cola ou Ovomaltine.

 

 

Expertise et prise de décision

Photo Ri Butov – Pixabay

Sur un sujet sensible comme l’alimentation, qui draine des questionnements aussi divers que les dégâts causés par le sucre, la valeur nutritionnelle de fruits cueillis avant maturité, l’incidence des additifs sur la santé, l’intérêt à acheter bio et l’absence de risques pour la santé, la science apporte des éléments objectifs de réponses sur lesquels le politique peut s’appuyer pour orienter ses décisions ; le citoyen-consommateur, lui, veut pouvoir se faire une opinion, et souhaite surtout qu’on lui garantisse l’accès à une nourriture saine.

Écotoxicologue au laboratoire Chrono-environnement, Pierre-Marie Badot a, entre autres, dirigé de nombreux travaux sur les mécanismes de transfert de contaminants chimiques à l’alimentation, comme pour la chlordécone, cet insecticide longtemps utilisé dans les bananeraies aux Antilles françaises et soupçonné d’une augmentation des cancers de la prostate dans les territoires concernés. Comme d’autres chercheurs, Pierre-Marie Badot met en œuvre ses connaissances et ses compétences au service de problématiques de société actuelles. Expert auprès de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) depuis plus de 20 ans, il participe régulièrement à des expertises collectives pour cet organisme public français. Des activités qui fournissent l’occasion d’évoquer quelques notions de vocabulaire, et surtout de préciser les discours.

Trop souvent il y a confusion entre danger et risque dans l’esprit du public et des médias. Une substance peut être intrinsèquement dangereuse pour la santé, par exemple cancérogène, reprotoxique, neurotoxique, génotoxique…, mais ne pas présenter de risque : la probabilité d’un effet sanitaire néfaste pour la santé devient nulle dès lors que l’exposition à cette substance est faible. De plus, les techniques analytiques se sont considérablement affinées pour certaines substances toxiques : détecter leur présence ne signifie pas forcément qu’elles produisent des effets néfastes aux concentrations où elles sont mesurées. Inversement, l’absence de détection de substances réputées moins préoccupantes ne veut pas dire qu’il n’existe aucun risque : ce défaut de dépistage peut seulement être le fait de techniques insuffisamment sensibles. « Les méthodes de détection de substances toxiques dans l’alimentation apportent aujourd’hui des réponses, mais pas toutes. »

Par ailleurs, certains impacts sur la santé ne figurent pas au premier rang des préoccupations du public ou des décideurs, parce qu’ils n’apparaissent qu’à long terme. Le cadmium par exemple, dont la présence est avérée dans des produits aussi courants que le blé, la pomme de terre ou le chocolat, est cancérogène et est impliqué dans le développement de pathologies osseuses ou rénales lors d’une exposition prolongée par l’alimentation. Or, l’exposition actuelle au cadmium dépasse la valeur toxicologique de référence par la seule voie alimentaire, pour 15 % des enfants et 0,6 % des adultes en France (Anses, 2011). Ce risque n’est cependant que très peu mis en avant par les médias et pris en considération par la population.

À l’inverse, le législateur a interdit pendant un temps la consommation de poissons pêchés dans des rivières comme le Doubs, en raison des polluants organiques (PCB) que leur chair renferme. « Or même si ces substances sont dangereuses, le risque pour la population générale est très faible, parce qu’en réalité, et sauf exception, on mange très peu de poissons d’eau douce. Tant que les données de consommation de poissons de rivière n’ont pas été disponibles, le principe de précaution a été appliqué sur la base de la consommation annuelle moyenne de poissons par individu, sans tenir compte du fait que la consommation de poissons de rivières est en proportion très faible, comparée à celle de poissons de mer », relève Pierre-Marie Badot.

Photo LuckyLife11 – Pixabay

Toujours en devenir, la science développe de nouveaux outils et de nouvelles méthodes, produit de nouvelles connaissances pour continuer à mieux qualifier le rapport entre alimentation, santé et environnement. En attendant, il convient de prendre du recul par rapport aux messages très anxiogènes reçus de toutes parts et qui n’ont pas toujours de fondement scientifique ; il convient aussi de ne pas oublier que le cadre réglementaire et les dispositifs de surveillance dans des pays comme la France constituent de vraies garanties sanitaires et fournissent des conseils à ajouter au respect de bonnes pratiques alimentaires, combinant sens de la mesure, diversité de la consommation et des sources d’approvisionnement.

Contact(s) :
Université de Franche-Comté
Laboratoire Chrono-environnement
UFC / CNRS
Patrick Giraudoux / Pierre-Marie Badot

Centre de recherches juridiques de Franche-Comté – CRJFC
Christine Lebel

Laboratoire de physiologie-pharmacie
Sylvie Bobillier-Chaumont
Tél. +33 (0)3 81 66 55 55


Université de Neuchâtel
Institut d’ethnologie
Jérémie Forney
Tél. +41 (0)32 718 17 21

Institut de psychologie et éducation
Fabienne Gfeller
Tél. +41 (0)32 718 18 86

Institut d’histoire
Olivier Christin
Tél. +41 (0)32 718 17 81


Haute école de gestion Arc
Institut de la communication et du marketing expérientiel – ICME
Julien Intartaglia
Tél. +41 (0)32 930 20 68
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