La première greffe de moelle osseuse réalisée à Besançon est une autogreffe, pratiquée sur un patient adulte avec ses propres cellules. Ce premier succès enregistré en 1979 marque de son symbole une histoire riche en avancées scientifiques, qu’une collaboration étroite entre les équipes du CHU de Besançon et de l’EFS Bourgogne – Franche-Comté a hissée au plus haut niveau.
Qu’elles soient prélevées chez le patient ou chez un donneur, les cellules souches hématopoïétiques (CSH) sont à l’origine de la production des globules rouges, des globules blancs et des plaquettes dans la moelle osseuse, qu’un dysfonctionnement peut rendre responsable de graves hémopathies telles que les leucémies. La greffe de moelle osseuse, et donc de CSH, est souvent la seule voie de guérison pour ces pathologies.
L’autogreffe est rendue possible grâce à la cryopréservation des CSH, une technique parfaitement maîtrisée à l’EFS BFC : les cellules, prélevées sur des patients lors d’une période de rémission, sont congelées dans l’azote, puis réinjectées à un moment opportun pour assurer la reconstruction de la moelle, après une chimiothérapie à forte dose visant à éradiquer la maladie chez le patient. Pour garantir l’innocuité des cellules ainsi préservées, une opération de purification consistant à traiter les cellules in vitro par chimiothérapie avant de procéder à leur congélation a été utilisée, une technique pour laquelle Besançon était pionnière dans les années 1990, même si celle-ci n’est plus à l’ordre du jour.
L’allogreffe de CSH, avec des cellules prélevées chez un donneur, se heurte à un écueil majeur, celui de la maladie du greffon contre l’hôte (GVH) : le patient reçoit, en même temps que la moelle du donneur, un système immunitaire qui n’est pas encore le sien, et qui peut se retourner contre son propre organisme. C’est pourquoi le don n’a longtemps été possible que pour les frères et soeurs d’un patient, avec lesquels la compatibilité pouvait être maximale. Jusqu’à ce que les progrès de l’immunologie, avec une meilleure détermination du système HLA, permettent d’établir des compatibilités possibles entre groupes tissulaires et offrent l’opportunité de pratiquer des greffes avec le don de bénévoles, qui sont aujourd’hui quelque 40 millions inscrits dans les fichiers internationaux. C’est ainsi qu’un pilote d’avion russe, irradié à Tchernobyl, a pu être soigné pour une leucémie aiguë à Seattle avec les cellules d’une donneuse HLA compatible… franc-comtoise.
Les greffes haplo-identiques, pratiquées à partir de cellules prélevées sur les frères et soeurs, les parents ou les enfants majeurs des patients, à demi compatibles, sont depuis quelques années possibles grâce à une plus grande maîtrise de l’administration des traitements immunosuppresseurs, permettant de lutter contre la GVH dans un premier temps et d’assurer ensuite la reconstruction du système immunitaire du patient. « Aujourd’hui, grâce aux différentes possibilités offertes par la science, chaque patient a toutes les chances de trouver un greffon compatible », conclut le Pr Éric Deconinck, chef de pôle cancérologie et chef de service hématologie du CHU de Besançon.
Parallèlement à ces progrès dans la compatibilité des greffons, les techniques de prélèvement des CSH ont fait l’objet d’avancées majeures : il est possible, depuis les années 1990, d’effectuer un prélèvement de CSH directement dans le sang et non plus seulement dans la moelle osseuse, en procédant par centrifugation des CSH provenant du sang périphérique. C’est ainsi que se sont développés, et c’est une petite révolution, les prélèvements à partir d’une prise de sang classique. « L’injection de facteurs de croissance stimulent le passage des CSH de la moelle osseuse vers le sang : le prélèvement est effectué pendant un court laps de temps, quelques heures pendant lesquelles la quantité de CSH dans le sang est maximale », explique Éric Deconinck. Autre technique révolutionnaire, les prélèvements de « sang de cordon » lors d’un accouchement, qui ont donné lieu dès 1992 à Besançon à la création d’une banque de sang placentaire. Implantée à l’EFS, celle-ci est l’une des trois seules entités nationales dédiées à cette activité ; elle a pu voir le jour grâce à l’implication des gynécologues et des sages-femmes, et à la solidarité des futures mamans.
L’action des lymphocytes T est un problème central de toutes les allogreffes de CSH, surtout lorsqu’elles ne sont pas compatibles à 100 %. « Car ce sont les lymphocytes T qui sont responsables du rejet du greffon et également du phénomène de GVH. Mais c’est aussi la combativité dont ils font preuve qui permet à l’organisme de se défendre des agressions extérieures et de lutter contre la récidive des tumeurs. » Le défi consiste à trouver un équilibre pour aider à la reconstruction du système immunitaire grâce aux lymphocytes T, tout en préservant l’organisme du malade de la GVH. La recherche de cet équilibre, s’appuyant sur la quantité de lymphocytes injectés, les méthodes pour les contrôler voire les détruire, et le moment où cette élimination doit s’opérer, représente un défi constant pour les médecins greffeurs.
Travaillant dans cet objectif, les chercheurs du laboratoire Interactions hôte-greffon-tumeur & ingénierie cellulaire et génique ont été parmi les premiers en France à mettre au point des gènes suicides pour la thérapie génique : les lymphocytes T sont programmés pour pouvoir être détruits à la demande dès lors qu’une réaction de type GVH est constatée. La thérapie génique recèle d’autres promesses encore, dont la greffe de CSH pourra à l’avenir bénéficier.
Article paru dans le n° 279 du journal en direct, novembre-décembre 2018