Université de Franche-Comté

Vers une modélisation de la transmission des maladies parasitaires


La transmission de maladies parasitaires est un champ d'étude tellement complexe, combinant le cycle propre du parasite à des éléments d'écologie, de biologie des populations, de sociologie humaine, de géographie… qu'une compréhension fine et une modélisation juste nécessitent le ralliement de nombreuses compétences de disciplines très différentes. L'équipe transdisciplinaire convoquée autour de l'échinococcose alvéolaire à l'université de Franche-Comté dès le début des années 90 est une des rares au monde à répondre à cette complexité. En 2001, le NIH — National Institut of Health — et la NSF — National Science Foundation — étatsuniens ne s'y étaient pas trompés en confiant à cette équipe, liée à un consortium international, le financement pour un programme de recherche intégré à un appel d'offre sur l'écologie des maladies infectieuses. Il est à noter que, dans la cinquantaine de projets financés actuellement, celui conduit par les bisontins et leurs collègues est le seul à réunir une large majorité de scientifiques non-américains.
• Au sein de ce consortium, l'université de Franche-Comté et l'université de Salford (Grande Bretagne), responsables du programme, se sont adjoint les compétences d'équipes chinoises, japonaises et suisses. Leur objectif consiste à quantifier et à modéliser la transmission de l'échinocoque alvéolaire (parasite responsable de la maladie) dans certaines régions du centre et de l'ouest de la Chine, et au Kazakhstan, où la maladie est particulièrement présente. Pour ce faire, le programme est divisé en trois volets interdépendants qui, tous, nécessitent des campagnes de prélèvement sur le terrain dans des zones reculées*.
• La première approche consiste à comprendre quel est précisément l'impact des évolutions du paysage sur les populations de petits mammifères. En effet, la transmission est favorisée en période de pullulation de ces hôtes intermédiaires du parasite. Dans la zone d'altitude de l'ouest du Sichuan, province chinoise, la sédentarisation croissante des éleveurs et l'augmentation de la taille des troupeaux ont entraîné un surpâturage par les yaks dans les pâtures non-privatives. Cette dégradation des prairies est alors propice à la pullulation des pikas**, hôtes du parasite. De même, la déforestation massive ayant eu lieu il y a quelques décennies dans le centre de la Chine a laissé temporairement place à des landes de buissons, habitat favorable à la pullulation d'un campagnol et d'un petit hamster, hôtes du parasite. Ce sont donc ces facteurs qu'il s'agit d'étudier, dans une région où le taux d'infection humaine avoisine les 6 % en moyenne. Une mesure d'impact économique de l'échinococcose alvéolaire, le DALY — Disability Adjusted Life Year —, qui évalue les années perdues en moyenne, sur une population, est estimé à 0,84 dans le Sichuan (à titre de comparaison, le DALY vaut 0,18 pour l'ensemble des maladies, transmissibles ou non, pour la totalité de la Chine).

• Le deuxième volet consiste à modéliser quantitativement le cycle de transmission de l'échinococcose alvéolaire, c'est-à-dire à établir des liens entre la composition et la structure du paysage à plusieurs échelles spatiales (mesurées entre autres par données satellitaires), l'écologie des hôtes, étudiée sur le terrain — quelles sont les espèces impliquées ? Dans quels habitats se situent-elles ?… — et la transmission de la maladie, mesurée ici chez les chiens — eux-mêmes très fortement suspectés de transmettre le parasite à l'homme. Une partie de la campagne sur le terrain consiste par exemple, à équiper les chiens errants et domestiques avec des GPS pour pouvoir les suivre à la trace, déterminer leur zone d'actions, voir s'ils exploitent ou non les habitats des petits mammifères hôtes autour du village. La quantité des données collectées et leur diversité nécessitent la mise en ¶uvre de méthodes statistiques perfectionnées et le développement de programmes informatiques spécifiques.
• Enfin, le troisième aspect de ce programme concerne l'étude moléculaire du parasite. Une comparaison de l'ADN permet de reconstituer les filiations entre les différentes souches collectées à différents endroits et ainsi de déterminer les circulations du parasite au cours du temps. En effet, pour connaître le mode de propagation de l'échinococcose alvéolaire, il est important de déterminer si tel foyer est indépendant de tel autre ou si, au contraire, l'un est alimenté par l'autre. Deux méthodes sont testées au sein du consortium. La première, développée au Japon, utilise l'ADN mitochondrial. La seconde, mise en ¶uvre au SERF — Santé et Environnement rural Franche-Comté – France — de l'université de Franche-Comté étudie l'ADN microsatellite. Ce type d'ADN, formé de séquences répétitives, est inséré au c¶ur des chromosomes, dans le noyau de la cellule. Il est très répliqué, très variable d'un individu à un autre et constitue donc un bon marqueur des évolutions du parasite. Il sera ainsi possible, par exemple, de déterminer si le commerce des chiens tibétains, qui s'étend sur la Chine entière, a une influence dans la propagation de la maladie.
• Au vu des résultats de ce consortium, les organismes étatsuniens ont réitéré leur financement en 2005. Ces travaux vont alors mener l'équipe bisontine jusqu'en 2008 ou 2009.
Au-delà de l'étude de l'échinococcose, son objectif est aussi de transmettre à la communauté scientifique une démarche et des outils pour mieux appréhender la modélisation du fonctionnement et de la propagation d'autres maladies infectieuses. Sans doute est-ce tout l'intérêt qu'ont vu les organismes étatsuniens en finançant ce programme, eux qui n'ont qu'un seul cas d'échinococcose alvéolaire recensé au xxe siècle.

* La collaboration avec les scientifiques chinois est alors primordiale, d'une part pour leurs compétences médicales de dépistage des maladies et de santé publique, d'autre part pour planifier l'accès aux sites en bonne coordination avec les autorités locales. Les médecins chinois bénéficient, eux, d'une formation en santé publique et d'une approche pluridisciplinaire qui leur est méconnue.

** Mammifères lagomorphes, cousins des lapins.

 

Patrick Giraudoux – Francis Raoul
Laboratoire de biologie environnementale –
UsC INRA
Université de Franche-Comté
Tél. 03 81 66 57 45
patrick.giraudoux@univ-fcomte.fr
francis.raoul@univ-fcomte.fr

 

 

retour