« Des phrases que nous n’étions pas certains d’avoir entendues nous désignaient comme les héritiers de ses articles. Puis nous reçûmes son mot officialisant cette passation. Il n’y avait plus besoin de fantasmer sur notre statut. Nous pûmes même discuter quelquefois avec l’auteur. Puis, il fallut continuer seuls. » C’est par ces mots touchants que s’ouvrent les premières pages de Cultures et guérisons, un recueil des textes d’Éric de Rosny dont les éditeurs sont les dépositaires.
Anne-Nelly Perret-Clermont, professeure émérite de l’Institut de psychologie et éducation de l’université de Neuchâtel, et ses collaborateurs Jean-Daniel Morerod et Jérémie Blanc, aidés dans leur tâche par un collectif de chercheurs, ont rassemblé les articles publiés dans diverses revues internationales par leur collègue pendant des dizaines d’années. Un chemin ponctué d’interventions et de participations à des débats, notamment à Neuchâtel où ses passages ont marqué les esprits par la qualité de travail du scientifique et par l’humanité de la personne.
Jésuite et anthropologue, de souche aristocratique française, Éric de Rosny (1930-2012) s’installe à Douala, au Cameroun, où il dirige un collège et y donne des cours d’anthropologie et de philosophie. Loin de toute velléité colonialiste, le missionnaire partage la vie des habitants, apprend leur langue, les reçoit pour des échanges d’ordre spirituel, crée une émission de radio pour mieux répondre à leurs questions, lui, l’étranger blanc qui sera adopté par les ngangas, les maîtres de la nuit à la fois devins, guérisseurs et juges, puis admis comme membre de la communauté des hommes-souches, les sages de Douala. Pour sa passion à comprendre l’Afrique occidentale, entre savoirs traditionnels et évolution contemporaine, et vers laquelle ses livres et nombreux écrits jettent un pont, pour sa contribution majeure aux sciences humaines et sociales, l’université de Neuchâtel remet le doctorat honoris causa à Éric de Rosny en 2010.
L’ouvrage publié aujourd’hui lui rend un nouvel hommage, en même temps qu’il met à la portée de tous les textes complémentaires à son œuvre : à la façon d’un journal de bord, il témoigne de ses observations et réflexions sur les thèmes qui lui sont chers : l’épanouissement humain, notamment grâce à une meilleure gestion de l’angoisse, source de violence ; la sorcellerie et l’évolution de la législation liée à cette pratique ; la botanique, la pharmacopée traditionnelle… Au total, plus de mille pages réunies en un très beau coffret de trois tomes, retraçant un parcours et des connaissances hors normes.