Université de Franche-Comté

Un microscope à force atomique de l’université de Neuchâtel partira sur Mars

L'analyse du climat sur Mars ou sur d'autres planètes peut nous indiquer comment celui de la Terre évoluera. Par ailleurs, l'un des éléments les plus importants pour la vie,  l'eau, a été adopté comme thème de recherche par la NASA avec le projet  Suivre l'eau ! Ÿ. À l'issue d'une compétition qui s'est déroulée en plusieurs phases, l'agence a décidé, début août, de confier à la mission  Phoenix Ÿ* l'exploration, en 2007, des latitudes nord de Mars. Celle-ci emportera pour la première fois un microscope à force atomique (AFM — Atomic Force Microscope), conçu par le consortium suisse FAMARS — First Afm on Mars — sous l'impulsion du groupe de Urs Staufer, professeur associé à l'Institut de microtechnique de l'université de Neuchâtel, et réalisé en collaboration avec l'université de Bâle et la société bâloise NANOSURF AG. Il sera destiné à scruter des poussières avec une précision allant jusqu'à 10 nanomètres.

•  Dans son principe, le microscope à effet de force, inventé en 1981, fonctionne comme les vieux tourne-disques : une pointe, fixée à l'extrémité libre d'une lame très souple dont l'autre extrémité est rigidement fixée, balaye la surface à examiner à une distance extrêmement faible. Les forces agissant entre les atomes du spécimen et ceux de la pointe provoquent une très légère flexion de la lame, ce qui fait varier les contraintes mécaniques à son extrémité fixe. Ces variations sont mesurées par un capteur de stress, par exemple une piézo-résistance. Le signal du capteur pilote un servo-système qui maintient la force, donc la distance, entre l'échantillon et la pointe constante. La représentation graphique du signal émis par le servo-contrôleur en fonction de la fréquence de la pointe produit des profils parallèles qui sont intégrés sous forme d'une image topographique du spécimen.

•  L'histoire de l'AFM de FAMARS remonte à 1999, lorsqu'il fut sélectionné une première fois pour un envol vers Mars avec la mission Mars Surveyor 2001. Il  était rattaché au projet  d'évaluation de la compatibilité environnementale de Mars Ÿ (projet MECA), dont l'objectif initial était de caractériser les poussières et le sol martiens, afin d'identifier les interactions indésirables et nuisibles pour l'explorateur humain et les systèmes embarqués. Véritable laboratoire de la taille d'une boîte à chaussures, il contenait des outils d'analyse chimique et optique, ainsi que l'instrument du consortium suisse, dont la tâche était de mesurer la forme, la taille, la distribution et la texture des particules. Suite à la spectaculaire découverte de grandes quantités de glace d'eau** à moins d'un mètre de la surface martienne par la sonde Mars Odyssey, MECA a été resélectionné, cette fois en tant qu'instrument à bord de Phoenix avec des objectifs scientifiques modifiés pour la cause. Mars : des conditions extrêmes Les péripéties du voyage interplanétaire et les conditions météorologiques sur Mars sont les principales difficultés auxquelles les instruments scientifiques seront confrontés. Le consortium FAMARS a donc rendu ce microscope à effet de force particulièrement performant, capable de résister aux conditions extrêmes du voyage, estimé à neuf mois, et d'assurer une période de service fixée à cent jours. L'effort principal a porté sur la réduction des masses, la miniaturisation de tout l'appareillage et le développement d'un schéma de fonctionnement autonome. Le microscope complet comporte un scanner, partie mobile qui balaie la surface de l'échantillon à analyser, et les logiciels de pilotage développés par NANOSURF SA. La partie active, destinée à sonder la matière, est composée de microlames vibrantes, mises au point, fabriquées et assemblées par l'Institut de microtechnique de Neuchâtel. L'université de Bâle réalise les cartes électroniques pour les servo-contrôleurs et l'enregistrement des données.

•  Une fois conçus et produits, ces éléments ont été soumis à des procédures de validation extrêmement exigeantes. Les vibrations : lors du lancement, elles couvrent un spectre allant de 20 Hz à 20 kHz avec une densité montant jusqu'à 0,1 g2/Hz. Des tests de choc ont également été effectués pour simuler la séparation de la sonde de sa plate-forme de croisière. Celle-ci est produite par une violente explosion qui entraînera des accélérations pouvant atteindre 2 000 fois g, l'accélération de la pesanteur terrestre !

• Les accélérations : pour éviter d'offrir une prise trop importante aux accélérations attendues, la masse des parties les plus fragiles doit être réduite au maximum. Les leviers fléchissants du microscope sont micro-usinés dans du silicium. Capables de détecter des structures avec une résolution de l'ordre du nanomètre, ils pourraient en représenter le talon d'Achille ; en fait, vu leurs dimensions réduites (600 œm de long, 160 œm de large, 8 œm d'épaisseur) et donc leur faible masse, ces structures supportent des chocs s'élevant à 9 000 fois g ! Les risques d'ionisation : la masse totale du scanner, dont le rôle est de balayer la surface de l'échantillon à analyser, a été réduite à 15 g, ce qui est extrêmement peu pour un instrument destiné à couvrir une surface de 50 par 50 œm avec une résolution de l'ordre du nanomètre. Cette performance est d'autant plus remarquable qu'une nouvelle technique de balayage s'appuyant sur un mouvement électromagnétique à faible voltage (+/- 12 V) a été mise au point. Les microscopes AFM commerciaux sont d'habitude équipés d'un tube piézo-électrique pour effectuer le balayage, ce qui nécessite des tensions élevées (plusieurs centaines de volts) pour obtenir un déplacement du même ordre de grandeur. Or, sur Mars, où la pression est 1 000 fois inférieure à celle de la Terre, un potentiel élevé peut générer une ionisation du gaz carbonique présent dans l'atmosphère et détruire les circuits électroniques. Cette innovation technique a donc été indispensable à la réalisation du projet. Les radiations : durant les mesures, les composants électroniques seront exposés à de fortes radiations. Des ions hautement énergétiques peuvent, soit corrompre les données enregistrées (SEU — single event upsets), soit, dans les cas plus graves, créer un court-circuit entre l'alimentation et la  mise à terre Ÿ du circuit intégré (SEL — single event latch-ups) détruisant le composant. Pour éviter qu'un SEU ne modifie l'information stockée dans un registre, chaque bit d'information est sauvegardé dans trois registres différents reliés à une cellule de vote. Le seul signal pris en compte est celui donné par la cellule de vote qui élimine les événements minoritaires. En procédant ainsi, le risque d'information corrompue se réduit d'un facteur 1 000 à 10 000. Pour protéger les circuits intégrés des SEL, il a été utilisé, quand c'était possible, des composants tolérant les radiations. Pour ménager les autres, l'alimentation est surveillée en permanence et interrompue instantanément si le  courant excède une valeur limite. Cette interruption provoque une remise à l'état initial et enclenche à nouveau les mesures. La température : les mesures AFM seront effectuées durant le jour martien, qui voit la température fluctuer entre – 40 °C et 0 °C. En collaboration avec le CSEM — Centre suisse d'électronique et de microtechnique — à Neuchâtel et le JPL — Jet Propulsion Laboratory — aux États-Unis, le fonctionnement du microscope a donc été testé dans cette plage de températures. Nécessité d'autonomie : comme la transmission entre Mars et la Terre prend quelque huit minutes et que seules deux fenêtres de communication directe sont possibles par jour, aucune interaction en continu avec l'instrument n'est envisageable. Cette restriction influence significativement le protocole de mesures qui contrôle l'instrument. Le microscope à effet de force comporte une pluralité de paramètres dont le réglage doit être, dans des conditions normales, régulièrement contrôlé et optimisé par un opérateur. L'intervention humaine a pu être remplacée par une configuration de base de l'appareil, qui permet d'obtenir une image de qualité satisfaisante dans une large gamme de températures et de pressions. Ainsi, des restaurations automatiques dans le programme gérant le microscope ont été ajoutées, lorsque des erreurs standard sont décelées. Ces dernières ont été identifiées suite à des tests approfondis de l'instrument. Ce stratagème est rendu possible par la grande résistance aux vibrations et la reproductibilité des valeurs paramétriques de l'instrument.

•  Lors de la première sélection de l'instrument en 1999, l'équipe de FAMARS a été confrontée à la gestion d'un projet très complexe à réaliser dans un court laps de temps (une année et demie), tout en étant exposée à des contraintes et spécificités nouvelles, propres aux missions spatiales ou planétaires. Cette nouvelle opportunité d'envol vers Mars avec Phoenix représente une formidable occasion d'adapter l'instrument pour ses nouvelles tâches scientifiques afin d'optimiser l'apport scientifique de la mission.   Sebastian Gautsch Institut de microtechnique Université de Neuchâtel Tél. 41 32 720 55 15 sebastian.gautsch@unine.ch  

 

Sebastian Gautsch
Institut de microtechnique
Université de Neuchâtel
Tél. 41 32 720 55 15
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