Université de Franche-Comté

Un extraordinaire patrimoine antique

Le site de Sboryanovo, en Bulgarie, révèle sa complexité à mesure qu’il livre ses secrets : des découvertes plus exceptionnelles les unes que les autres, témoignant de la richesse d’une histoire dominée par les Thraces et partagée un moment par nos ancêtres les Gaulois. Des fragments de connaissance aidant les archéologues à reconstituer patiemment un puzzle balkanique datant de l’âge du Fer.

 

Elle était peut-être la capitale du puissant royaume des Gètes, ce peuple appartenant à la grande alliance thrace, qui aurait régné sur une partie des Balkans aux IVᵉ et IIIᵉ siècles av. J.-C. : Sboryanovo, en Bulgarie, apparaît assurément comme un important noyau politique, économique et religieux antique avec son centre urbain fortifié, ses sanctuaires et ses nécropoles. Pas moins d’une centaine de tumuli ont été découverts sur ce site de 800 hectares classé réserve archéologique, dont certains sont supposés avoir abrité des tombes royales.

À l’université de Neuchâtel, l’archéologue Jordan Anastassov dirige la mission bulgaro-suisse chargée de mettre au jour le passé de Sboryanovo, aux côtés de Diana Gergova, de l’Académie bulgare des sciences, et de Jocelyne Desideri, de l’université de Genève. « L’équipe est internationale, et jusqu’à cinquante chercheurs et étudiants sont occupés en permanence sur le site. Ensemble ils effectuent des fouilles, préparent des échantillons pour procéder à des analyses et réalisent un important travail de synthèse à partir de la documentation produite notamment par la professeure Diana Gergova depuis les années 1980. » Les anciennes découvertes font l’objet d’un réexamen à l’aune des technologies actuelles, qui rendent également possibles de nouvelles investigations. L’équipe place ainsi beaucoup d’espoir dans la télédétection par laser (LIDAR), qui seule saura percer le couvert forestier sous lequel se dissimulent les deux tiers du site, pour enfin révéler ce qui se cache sous la surface de leur sol depuis plus de 2 300 ans.

La découverte progressive du site de Sboryanovo donne matière à compléter les connaissances historiques sur le territoire des Balkans au Second âge du Fer, qui restent à ce jour parcellaires. Certaines découvertes gardent cependant leur part de mystère et font naître de nouvelles hypothèses scientifiques, notamment sur les pratiques funéraires ayant cours à cette époque.

 

Char enterré avec son attelage de chevaux

L’un des plus grands sujets d’étonnement reste la découverte d’un char laténien tiré par deux chevaux, un attelage enterré comme prêt à se lancer dans une course. Déposés morts, les chevaux étaient maintenus en position debout grâce à l’aménagement intérieur de la tombe sous forme de tranchées ; les empreintes du timon, du joug, des roues et le mors ont été préservés. « Le soin apporté à cette mise en scène très élaborée est une manifestation spectaculaire de la valeur accordée à ce véhicule et à son attelage. » De facture celte, le char est un bien de prestige, dont il est difficile de dire s’il avait fait l’objet d’une prise de guerre, d’un cadeau ou d’une simple acquisition. Il est en tout cas naturel d’interroger le lien entre ce matériel archéologique et les enseignements de l’histoire à propos de la migration des Celtes en Thrace, réputée avoir eu lieu au cours du IIIᵉ siècle av. J.-C.

Dans un autre tumulus, un cheval cette fois accompagné d’un chien sont également figés sur leurs pattes pour l’éternité. Partout sur le site de Sboryanovo, des animaux, du mobilier, des objets en or sont exhumés des nécropoles. Mais très peu de restes humains. Un paradoxe que les spécialistes tentent de comprendre, sciences à l’appui : « Les analyses géochimiques par exemple donnent le moyen de caractériser ce qui se trouve dans le sol. Elles nous apporteront des éléments de réponse concernant des rituels funéraires qui s’annoncent complexes et différents de ce qu’on connaît ailleurs », explique Jordan Anastassov. L’un des scénarios les plus vraisemblables concède à ces lieux de sépulture un caractère temporaire, transitoire, l’inhumation ultime des corps ayant pu se produire de façon différée à un autre endroit.

 

Un chêne sous un tertre

Le monde végétal se prête aussi à des mises en scène servant les pratiques funéraires. Un chêne centenaire de dix mètres de haut a ainsi été découvert dans un tumulus lui-même haut de près de vingt mètres. Recouvert par le remblai, le chêne portait encore des glands lorsqu’il a été trouvé ; des troncs d’arbre de plus petite taille apparaissaient tout autour. Un coffre en bois déposé à mi-hauteur du remblai, vers le sommet de l’arbre, offre également une surprise de taille. Il renfermait des parures féminines en or, diadème, bague, bracelets sculptés et ornés de créatures fantastiques, de représentations animales ou légendaires, auxquelles s’ajoutaient plus de deux cents appliques servant au décor d’un harnais : un véritable trésor, pesant pas moins de deux kg d’or. Les structures funéraires construites autour du remblai scellaient le décor serti de ses offrandes de manière définitive. « Tableaux animaux ou végétaux témoignent de la volonté de figer le mouvement d’un univers, mais ces scènes de théâtre ne sont pas créées pour être vues. Si la signification de ces aménagements monumentaux nous échappe encore, les découvrir est une grande émotion », confie Jordan Anastassov.

 

 

Énigmatique présence gauloise

La migration de Celtes d’Europe occidentale dans les Balkans est attestée au cours des IIIᵉ et IIᵉ siècles av. J.-C. par les auteurs antiques. Des populations se déplacent à cette époque jusqu’à Delphes, en Grèce, et dans l’actuelle Bulgarie, Tylis était la capitale d’un royaume celte qui ne devait perdurer qu’une soixantaine d’années. Mais aucune étude historique ne fait état d’une installation des Celtes sur le territoire de Sboryanovo, située plus au nord, et de surcroit à une période plus ancienne : le char et l’attelage mis au jour sont datés du début du IIIᵉ siècle, voire de la fin du IVᵉ siècle av. J.-C, soit un siècle avant le début des migrations selon les sources historiques. Quel est le chemin parcouru par cet attelage, et quelle réalité laisse-t-il entrevoir ? Pour l’instant, les spécialistes ne peuvent qu’émettre des hypothèses à ce sujet. La découverte de sépultures de femmes celtes de haut rang et d’ornements funéraires typiques d’Europe occidentale sont des indices d’une installation gauloise pérenne, tout comme l’enclos quadrangulaire à fossés contenant du mobilier et des restes humains, daté de la fin du IIIᵉ siècle av. J.-C., et découvert en 2016 : « Ce type de structures, sans parallèle dans les Balkans, trouve de nombreux points de comparaisons en Europe occidentale, au sein notamment des sanctuaires à armes du nord du territoire gaulois. » L’éclairage archéologique apporte de nouveaux éléments de connaissance sur la région autant que sur la migration des Celtes d’Europe occidentale au Second âge du Fer. Les découvertes apportent aussi leur lot de questions. L’une d’elles échauffe les esprits : à l’instar de Tylis, Sboryanovo aurait-elle été une capitale gauloise en plein territoire thrace ? « Rien ne permet de l’affirmer, déclare Jordan Anastassov. Les indices archéologiques laissent penser que Sboryanovo était très probablement la capitale des Gètes, où des communautés celtiques se seraient installées pendant un laps de temps et selon des conditions encore à cerner ».

 

Photos : www.sborianovo.com

 

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