Université de Franche-Comté

Stratégies d’exploitation des ressources en bois de feu au Néolithique sur les lacs de Chalain et Clairvaux (Jura, France) entre 3700 et 2500 av. J.-C. : analyses anthracologiques

Les questions que soulèvent les rapports entre les hommes et la forêt peuvent être explorées par différentes approches (archéologique, historique ou environnementale). Si de nombreuses disciplines s’intéressent aux transformations du milieu, elles apportent néanmoins une perception différente de l’espace (local, régional…) et de ses modes de gestion. C’est dans ce cadre de recherche que l’analyse anthracologique* de huit sites d’habitats néolithiques, situés sur les lacs de Chalain et Clairvaux, a été entreprise par le laboratoire de Chrono-écologie de l’université de Franche-Comté. Les charbons de bois trouvés dans ce contexte archéologique et prélevés hors des couches d’incendie, émanent des résidus du bois de feu destiné aux usages domestiques tels que le chauffage, l’éclairage, la cuisson des aliments. Ils sont les témoins d’une collecte fréquente, répétée et quasi-quotidienne du bois pendant le Néolithique. Leur analyse permet d’appréhender l’évolution des boisements exploités et l’économie du combustible, deux aspects fondamentaux pour l’étude de l’espace forestier, de ses modes d’exploitation et de l’impact des activités humaines sur le milieu.

•  Un examen dendrologique complet a été réalisé sur chaque fragment de charbon de bois collecté sur le site archéologique pour retrouver la nature du bois, sa taille et ses conditions de croissance au moment de la coupe. La détermination de l’essence du bois repose sur les différentes caractéristiques anatomiques spécifiques qui se conservent lors de la carbonisation. L’observation se fait sur cassures fraîches au microscope optique à réflexion (grossissement x 50 à x 400) selon les trois plans naturels du bois : le plan transversal (perpendiculaire à l’axe du tronc), le plan longitudinal tangentiel (perpendiculaire au rayon du bois) et le plan longitudinal radial (parallèle au rayon, passant par l’axe de la tige). Des atlas anatomiques et des collections de référence de charbons de bois actuels permettent par analogie de déterminer les taxons** en présence. La détermination des calibres repose sur la mesure des rayons de courbure de cerne. Cette mesure est effectuée sous une loupe binoculaire en superposant le plan transversal du charbon et une cible imprimée sur transparent. Ainsi, la valeur lue indique que le fragment se place à tant de centimètres du c¶ur ; les proportions obtenues ne reflètent donc en aucun cas les proportions de calibres mis au feu. Il a donc été nécessaire d’élaborer un modèle théorique*** permettant de les estimer à partir des proportions de classes de diamètre. Ce modèle est actuellement testé sur la base d’expérimentations en fonction des essences, de la morphologie du bois mis au feu (bûches, éclisses), des types de foyers… Enfin, les largeurs moyennes de cerne pour chaque fragment de charbon ont été mesurées et couplées à l’étude des rayons de courbure de manière à établir pour chaque espèce des courbes de croissance diamétrale, c’est-à-dire en fonction de l’âge. Ces courbes sont représentatives des peuplements exploités, puisque les charbons de bois analysés proviennent d’un grand nombre d’individus, ce qui tend à gommer toutes les variations individuelles. L’évolution de la courbe peut varier en fonction de nombreux facteurs mais l’accroissement de l’arbre est soumis à une loi universelle, la loi des facteurs limitants. Parmi ceux-ci, on distingue les facteurs abiotiques comme le climat, le sol et les facteurs biotiques, à savoir les interactions pouvant exister avec les autres êtres vivants (rapport de concurrence, attaque parasitaire, activité humaine).

•  L’évolution est donc interprétée en fonction des facteurs envisageables, qui tiennent compte du contexte archéologique c’est-à-dire des évolutions sociales, techniques, démographiques, économiques et environnementales. Enfin, l’interprétation ne doit pas être dissociée de la liste floristique et de ses proportions, pas plus que de l’étude des calibres. Cependant, l’absence, pour le moment, de certains référentiels actuels empêche de mener à terme l’interprétation.

•  Les résultats ont révélé l’existence d’une véritable économie du bois de feu même si, de manière générale, la collecte est essentiellement déterminée par le milieu. Il s’agit en effet d’une activité fréquente et répétée qui nécessite des ressources abondantes ; les essences prélevées sont donc celles qui sont le plus représentées dans le milieu. Cependant, il existe un contrôle des essences récoltées, notamment des arbres et arbustes fruitiers et de certains bois d’¶uvre. Avec une exploitation axée sur des bois de moins de 10 cm de diamètre, la morphologie du bois s’avère être un critère de choix techniquement bien adapté. Toutefois, pendant les phases de forte densité de population, lorsque le nombre de villages contemporains augmente, les gammes de calibre exploitées deviennent de plus en plus larges (5 cm à 30 cm de diamètre), résultat d’une pression de collecte plus importante. Il a également été possible de montrer que la position d’un village sur les rives du lac est un élément déterminant dans le choix des zones d’exploitation, ce qui permet de suggérer un partage de l’espace forestier au moins en fonction des principaux groupes de villages. Lorsque le nombre de villages contemporains augmente, on assiste à une extension des aires de collecte qui aurait pu être motivée par un épuisement des ressources forestières. Or, à cette même période, les courbes de croissance diamétrale de différentes espèces n’indiquent pas d’ouverture significative du milieu, et donc un épuisement des ressources. Cette extension est donc vraisemblablement le résultat d’un nouveau partage de l’espace forestier entre les différents villages, qui pourrait lui-même être révélateur d’une gestion raisonnée des aires d’exploitation. 

•  Au final, le système d’exploitation du bois de feu est parfaitement intégré aux systèmes sociaux, techniques, économiques, démographiques et environnementaux. Ce travail permet donc de souligner l’importance des causes socio-économiques et des modalités de gestion de l’espace forestier dans notre perception du milieu végétal et de son évolution, ainsi que dans l’évaluation de l’impact des activités humaines.

 

Alexa Dufraisse
Laboratoire de Chrono-écologie (UMR 6565)
Université de Franche-Comté
Tél. 03 81 66 64 47
adufraisse@aol.com

 

 

retour