Université de Franche-Comté

Stockage de déchets radioactifs et marqueurs de mémoire

Photo Clker-Free-Vector-Images (Pixabay)

La création du Centre industriel de stockage géologique (Cigéo), à la frontière des départements de la Meuse et de la Haute-Marne, est une solution envisagée pour enfouir les déchets radioactifs de moyenne et haute activité et à vie longue (MA-HA-VL) produits par la filière nucléaire française, une des plus importantes au monde. L’une des dernières décisions concernant ce projet en réflexion de longue date a été émise par le Conseil constitutionnel le 27 octobre dernier, insistant sur l’importance des choix opérés pour le futur.

C’est dans ce contexte très actuel et porteur d’enjeux que s’inscrit la thèse en anthropologie de Damien Clerc à l’université de Franche-Comté, qui interroge, à l’aune de sa discipline, la question cruciale de la transmission. Car avec la problématique du stockage des déchets se pose la question de sa mémoire : comment porter à la connaissance des générations futures l’existence de ce centre et de son contenu ? Un défi jamais relevé par l’humanité puisqu’il s’agit là d’imaginer des solutions capables de défier le temps et de faire encore sens, ou du moins de susciter l’attention et la curiosité, dans des dizaines, voire des centaines de milliers d’années.

Le sujet pourrait inspirer des auteurs de science-fiction autour de multiples scénarios. Il est très concrètement discuté par les agences gouvernementales chargées de la gestion des déchets radioactifs, dont l’ANDRA en France, responsable du projet Cigéo. À l’issue d’un programme international mené de 2011 à 2019, ces agences ont créé une « boîte à outils » mémorielle constituée de trente-cinq dispositifs, de la classique archive historique à la capsule temporelle en passant par l’œuvre d’art monumentale, étudiés et choisis pour leur potentiel à témoigner par-delà le temps.

Un premier projet, porté par le LASA et la MSHE, mené par Laetitia Ogorzelec-Guinchard, Simon Calla et Christian Guinchard, avait pour objectif de considérer les préconisations des experts internationaux avec des clés de lecture propres aux sciences humaines. « Les mécanismes doivent être suffisamment porteurs de sens pour être efficaces », explique Laetitia Ogorzelec-Guinchard. L’exemple que la sociologue cite du monument aux morts est à ce titre parlant : « L’édifice en soi ne suffit pas ; son message serait promis à l’oubli sans les commémorations dont il est régulièrement investi, qui confortent sa vocation mémorielle ».

Dans sa thèse, Damien Clerc poursuit le décryptage de ces modalités de transmission et en étudie d’autres aspects encore, notamment par le prisme du territoire et de l’environnement. Cigéo concernerait 665 hectares d’installations en surface et un espace important en sous-sol, que 270 km de galeries sont susceptibles de sillonner. Il est prévu de stocker les contenants de déchets radioactifs dans une couche d’argile étanche située à près de 500 m de profondeur. Il est également prévu que le dispositif fasse l’objet d’une période de réversibilité au cours de laquelle il sera possible de lui apporter des modifications, puis d’une période de surveillance de cent ans après sa fermeture définitive.

Pour préparer l’accès au site souterrain, une forêt privée acquise par l’ANDRA est échangée en 2015 contre une propriété forestière communale : le bois Lejuc, considéré par certains comme « de meilleure qualité », accueillant davantage de biodiversité et de pratiques sociales, fait alors l’objet d’une décision contestée avec vigueur puis de procédures judiciaires, devenant le théâtre de manifestations et d’occupations autant que de premiers travaux d’aménagement. « La trajectoire de cet espace forestier cristallise les préoccupations, questionnements et résistances liés au dossier Cigéo », note Damien Clerc, qui fait du bois Lejuc un point central de sa thèse : « Outre sa valeur de symbole, il est perçu comme un patrimoine et présente à ce titre un fort potentiel mémoriel ». Le jeune chercheur étudie ces problématiques à travers les entretiens qu’il mène depuis maintenant deux années auprès des différents acteurs concernés, agriculteurs, employés d’agences publiques, chasseurs, promeneurs, affouagistes, élus, habitants…, qu’ils défendent le projet, l’acceptent ou en soient de farouches opposants.

retour