Solliciter le système immunitaire pour que l’organisme réponde par lui-même aux agressions est une démarche servant aujourd’hui la lutte contre le cancer. Cette approche est celle des traitements curatifs et préventifs que sont respectivement les sérums et les vaccins. En ce domaine, les époux Phisalix ne sont pas les plus connus des scientifiques comtois…
C’est alors qu’il est responsable des collections naturalistes au Laboratoire de biologie du développement, place Leclerc à Besançon, que Claude-Roland Marchand découvre une vipère aspic prisonnière d’un flacon de formol depuis 1927. Un « don de Mme Dr Phisalix » en provenance de Mouthier-Haute-Pierre, comme l’indique l’étiquette, qui interpelle le professeur de biologie à double titre : l’identité de la donatrice, et l’origine comtoise du flacon.
Au terme d’une carrière d’enseignant-chercheur en biologie menée à la faculté des sciences, Claude-Roland Marchand profite de sa retraite pour creuser le « dossier Phisalix », et en fait un sujet de conférence à l’Université ouverte. « Marie Phisalix est une figure incontournable en herpétologie, la science qui traite des reptiles. Elle a réalisé un immense travail sur les venins de serpent, et a étendu ses travaux aux autres animaux venimeux. Ses publications et ouvrages font toujours référence. » Née en 1861 à Besançon, Marie Picot (1861-1946) passe une agrégation de sciences à Sèvres en 1888, fait rare pour une fille à l’époque, puis soutient une thèse de médecine à Paris en 1900, devenant l’une des premières femmes en France à obtenir le grade de docteur dans cette discipline. Entre les deux, elle épouse en 1895 Césaire Phisalix (1852-1906), natif de Mouthier-Haute-Pierre dans le Doubs, dont elle défendra et poursuivra l’œuvre scientifique longtemps après sa mort.
Césaire Phisalix était, lui, médecin et titulaire d’un doctorat ès sciences ; nommé préparateur puis chef de travaux en zoologie à la faculté des sciences de Besançon, il occupe ces postes à la fin des années 1880 avant d’entrer au Muséum d’histoire naturelle de Paris. S’il est l’auteur de nombreux travaux sur l’immunité naturelle des animaux, sa découverte majeure est le sérum contre le venin de vipère, qu’il met au point avec le pharmacien Gabriel Bertrand en 1894. « Le procédé consiste à affaiblir le microbe par la chaleur pour vacciner un animal, puis à utiliser le sérum du sang de cet animal, qui a acquis la capacité de neutraliser les toxines microbiennes, en traitement curatif chez l’homme », explique Claude-Roland Marchand.
Après le décès prématuré de son époux, Marie Phisalix poursuit leurs travaux au laboratoire d’herpétologie du Muséum où, en qualité d’attachée bénévole, elle travaillera jusqu’à sa mort. À l’instar de celle de son mari, la carrière admirable de « la grande prêtresse des animaux venimeux » fut maintes fois récompensée. Les époux Phisalix reposent à Mouthier-Haute-Pierre, où Christophe Cupillard, ingénieur à la DRAC de Franche-Comté, entretient leur mémoire dans un musée qu’il estime être « le plus petit du monde ». Ils sont également unis dans le quartier de Fontaine-Écu à Besançon, depuis que, à la demande de Claude-Roland Marchand en 2012, le prénom de Marie a été ajouté à celui de Césaire sur les plaques de la rue qui porte leur nom. La rue Césaire et Marie Phisalix leur rend désormais hommage à tous deux.
En injectant dans un organisme des défenses immunitaires produites par ailleurs, un sérum est un outil thérapeutique, utilisé pour traiter une pathologie déclarée. Un vaccin est quant à lui un outil préventif, qui donne la possibilité à l’organisme de construire ses propres défenses pour empêcher la survenue d’une maladie. Le « vaccin thérapeutique » UCPVax tient de ces deux définitions communément admises : c’est à titre thérapeutique qu’il est employé pour lutter contre le cancer ; et c’est en activant les défenses immunitaires de l’organisme d’un patient qu’il atteint cet objectif. Mis au point par l’équipe du Pr Olivier Adotévi au laboratoire RIGHT, UCPVax aide le système immunitaire à détecter et à détruire les cellules cancéreuses en s’attaquant à la télomérase, une enzyme dont elles sont porteuses et qui est responsable de leur reproduction illimitée.
L’efficacité d’UCPVax est aujourd’hui démontrée. Son succès dans le traitement du cancer du poumon a fait l’objet d’une publication scientifique dans la revue américaine de référence Journal of Clinical Oncology, en fin d’année 2022. Pour l’équipe du Pr Adotévi, qui est l’une des pionnières en France dans la recherche en immunothérapie dirigée contre le cancer, les résultats obtenus et cette première publication internationale représentent un aboutissement en même temps qu’une étape décisive pour le développement de nouveaux traitements.
« UCPVax est utilisé seul ou combiné à des traitements anticancéreux conventionnels pour augmenter leur efficacité », explique le Pr Adotévi. Des essais cliniques sont en cours pour plusieurs cancers tels que les tumeurs du cerveau, les cancers provoqués par le papillomavirus, et le cancer du foie. Ces essais sont proposés à des patients volontaires, conformément à un principe de « démocratie sanitaire », et sont bien évidemment soumis à des critères médicaux stricts et validés par les autorités compétentes. Le projet UCPVax mobilise de nombreux acteurs de la recherche médicale au CHU de Besançon et au laboratoire RIGHT, dont il reçoit le soutien des tutelles.
Ce programme clinique est essentiellement financé par des fonds publics provenant de l’Institut national du cancer (INCa), du GIRCI-Est, et des associations de lutte contre le cancer comme la Ligue contre le Cancer et la fondation ARC. Il est aidé par des laboratoires pharmaceutiques qui fournissent gratuitement les médicaments complémentaires au vaccin pour réaliser les essais. Le vaccin lui-même est fabriqué à la pharmacie du CHU pour l’ensemble des centres hospitaliers qui, en France, ont mis en place le protocole UCPVax.
La pharmacie du CHU de Besançon achète et dispense les médicaments et dispositifs médicaux stériles pour les différents services de soins de l’hôpital, gère le suivi des médicaments expérimentaux et met au point des traitements spécifiques, des solutions buvables pour les enfants aux chimiothérapies pour les patients atteints de cancers. L’expertise des pharmaciens dans ce domaine a rejoint les attentes d’Olivier Adotévi et de son équipe pour la fabrication d’UCPVax, que la pharmacie du CHU produit depuis 2016 et qu’elle distribue à la dizaine de centres hospitaliers français réalisant les essais cliniques auprès de leurs patients.
« Les peptides qui servent de base à la fabrication du vaccin sont fournis par des entreprises spécialisées sous forme de poudres, dont nous assurons la préparation prête à l’emploi pour l’administration aux patients », explique Anne-Laure Clairet, pharmacien praticien hospitalier, qui coordonne la production avec sa collègue Christine Fagnoni-Legat.
Dès l’annonce de la mise en place des essais cliniques, toutes deux ont travaillé à l’élaboration du médicament et à la validation de son mode d’administration. « Nous avons également réalisé les études de stabilité du produit, pour estimer sa durée de vie et déterminer ses conditions de stockage. »
Le vaccin UCPVax a fait l’objet d’un brevet dont le CHU de Besançon, l’université de Franche-Comté et la société Invectys sont copropriétaires.