Des réserves d’eau en plein cœur du désert ? Constituées puis rechargées à une époque oubliée, alors que le Sahara était un immense espace vert, ces nappes souterraines continuent d’être alimentées malgré l’aridité de la région. Étudiées depuis plusieurs années au CHYN, le Centre d’hydrogéologie et de géothermie de l’université de Neuchâtel, en collaboration avec le gouvernement du Tchad, elles révèlent leur étendue et les mécanismes qui les commandent grâce à une nouvelle recherche.
Des oasis ponctuant le Sahara de nappes d’eau et d’une végétation luxuriante, voilà qui a toujours laissé rêveur. Ces îlots de fraîcheur ne sont que la partie visible et affleurant le sable d’immenses réserves d’eau situées sous le désert, de l’eau fossile accumulée depuis des milliers voire un million d’années, et rechargée en eau à l’époque où le Sahara, entre la fin du Pléistocène (-11700) et l’Holocène moyen, selon les régions, bénéficiait de conditions climatiques favorables ayant permis la formation de nombreux lacs. Cette histoire, les chercheurs du CHYN la connaissent, eux qui depuis des années étudient le bassin de Kufra, dans la partie qu’il occupe au Nord du Tchad. D’une hauteur de 600 m d’eau sur une surface équivalente à celle de la Suisse, soit une réserve de 25 000 km3, ce bassin est l’un des plus importants de l’aquifère des grès de Nubie, lui-même l’un des plus grands du monde avec ses 2,2 millions de km². Situé au carrefour de la Libye, de l’Égypte, du Soudan et du Tchad, l’aquifère des grès de Nubie contient des ressources en eau estimées à 150 000 km3.
Aujourd’hui la thèse de doctorat de Marie-Louise Vogt apporte de nouveaux éclairages sur les phénomènes de recharge et de circulation de ces eaux souterraines, des enseignements précieux pour une gestion durable de l’or bleu dans cette région d’Afrique. « Certaines nappes d’eau se trouvent à une dizaine de mètres seulement de profondeur, c’était le premier constat de l’étude et une vraie surprise. »
L’eau fossile est un capital qui continue d’être entretenu. Cette mission est assurée par les pluies, dont la saison est limitée à une fenêtre temporelle de quelques semaines seulement, entre mi-juin et mi-septembre. Les chercheurs ont pu constater que dans les régions montagneuses de l’Ennedi et du Tibesti au Nord du Tchad, les quelques averses produites, en général en août, apportent environ 100 mm d’eau par an : c’est l’équivalent de ce qu’il pleut tous les mois en Suisse. Mais cette modeste contribution suffit à assurer la recharge des nappes, dans des zones pourtant très arides. Les informations obtenues par les observations satellites et les relevés de terrain ont aidé les chercheurs à comprendre les dynamiques temporelles et spatiales des phénomènes météorologiques et hydrologiques, à mieux saisir le processus complexe de la recharge moderne des nappes, enfin à développer un modèle conceptuel qui décrit l’organisation des écoulements souterrains et la relation entre ces zones de recharge et les zones de décharge que sont les oasis. Ce modèle se nourrit de données satellitaires tous les 16 jours. Grâce à lui la surveillance des nappes devient scientifiquement possible, même pour des régions lointaines et difficiles d’accès, et donne la capacité de planifier la gestion de l’eau en fonction de la disponibilité des ressources et des besoins. « Il est essentiel de ne pas utiliser l’eau fossile de manière incontrôlée. C’est un capital inestimable, vieux de plusieurs milliers à un million d’années ; l’alimentation de ses eaux correspond à une part renouvelable de la ressource ; en termes de durabilité, il faudrait toujours privilégier l’utilisation de la ressource disponible renouvelable, avant d’exploiter les eaux fossiles », explique Marie-Louise Vogt.
Les mesures de terrain et la télédétection sont combinées à la mesure des isotopes stables de l’eau pour localiser les zones bénéficiant plus particulièrement de cette recharge moderne et comprendre les mécanismes à l’œuvre dans les aquifères. « La mesure des isotopes stables de l’oxygène et de l’hydrogène, constitutifs de la molécule d’eau, renseigne précisément sur l’époque, actuelle ou passée, à laquelle la pluie s’est infiltrée et a rejoint l’aquifère, et ainsi déterminer l’origine probable de l’eau. »
Les analyses chimiques effectuées par ailleurs témoignent d’une salinité des eaux souterraines dans les normes de potabilité. L’ammoniac et les oxydes d’azote sont généralement détectés en quantité importante, peut-être en raison des activités agricoles et pastorales actuelles. « La présence de ces éléments est d’autant moins étonnante si on se souvient que, jusqu’à – 4000, le Sahara se caractérisait par une végétation abondante… »
La thèse de Marie-Louise Vogt, soutenue en mai dernier à l’UniNE, s’inscrit dans le cadre du projet ResEau. Mis en œuvre depuis 2012 à la suite d’une demande du gouvernement tchadien, ce programme prévoit de « développer la résilience du Tchad face aux variations climatiques pour une gestion active des ressources en eau ». La Coopération suisse (DCC) est un acteur majeur de ce vaste programme, pour lequel elle a mandaté le consortium CSD-Sarmap pour en réaliser la deuxième phase. ResEau est géré au sein du ministère de l’environnement, de l’eau et de la pêche du Tchad.
Désormais docteure en hydrogéologie, Marie-Louise Vogt continue d’effectuer ses recherches au sein de ce consortium qui regroupe, entre autres, des chercheurs de l’université de Madrid. L’objectif est d’apporter suffisamment de connaissances et de méthodologies sur place, pour assurer une gestion intégrée des ressources en eau au Tchad. La création du master HydroSIG à l’université de N’Djamena en 2013, avec le soutien de l’université de Neuchâtel, est un exemple de réalisation servant cette ambition.