Conflit social réputé le plus emblématique de l’après-mai 1968, l’affaire Lip s’avère aussi une expérience hors du commun pour ses acteurs, différemment vécue mais indiscutablement marquante pour tous.
L’exposition Lip 73… ça peut toujours servir donne la parole à ces salariés qui, mêlant alors blouses blanches et bleues sous la bannière du collectif, portent leur regard d’aujourd’hui sur ce qu’ils ont vécu voilà quarante ans.
Une ouvrière droite et honnête promenant deux valises de montres à Paris, avec la ferme intention de les revendre ? Une deuxième, connue pour sa réserve, prenant la parole devant un auditoire de cinq cents personnes ? Un employé des télécommunications encore, installant une écoute téléphonique lors des négociations d’Arc et Senans de façon à ce que « les Lip » aient une longueur d’avance sur le négociateur ?
« La force du collectif » décrite par Charles Piaget, l’un des porte-parole des Lip, est derrière chacun des mouvements des acteurs du conflit. Les gens se révèlent, prennent part aux décisions, sont amenés à voyager, en France et au-delà des frontières, se libèrent du poids de la hiérarchie et agissent… L’expérience est à ce point bouleversante qu’elle suscite des paroles comme « je n’ai jamais pu reprendre le travail sur ma machine, avec quelqu’un qui me commande », « c’était impossible de retourner à mon établi ».
Cette force-là va sans doute même jusqu’à peser sur la célèbre décision de ne pas accepter le plan de restructuration proposé en octobre 1973 par Henri Giraud, dépêché par le gouvernement français. « On peut se demander si, avec le refus de devoir laisser des collègues sur le bord de la route, poursuivre l’aventure collective n’était pas devenu essentiel », s’interrogent Flavie Ailhaud et Noël Barbe, tous deux ethnologues et chargés de réaliser l’exposition Lip 73… ça peut toujours servir pour l’IUFM de Franche-Comté.
Occupation de l’usine, soirée festive, août 1973 – Crédit photo : Bernard Faille
C’est sur la base d’une bonne vingtaine d’entretiens avec les Lip, documentés par un dépouillement d’archives et de productions filmiques et audiovisuelles, qu’ils ont tenté de comprendre les regards contemporains des acteurs sur l’affaire.
Le collectif Lip se construit dès 1968 avec la création de commissions, de groupes de discussion auxquels chacun peut participer pour argumenter sur des aspects économiques comme pour se mettre d’accord sur le nettoyage des locaux. « Les gens se montrent très attachés à l’entreprise et font preuve d’un vrai respect de leur outil de travail ». Peu à peu se constitue une contre-expertise face aux informations patronales. Elle viendra alimenter les prises de décision dans la lutte de 1973 entre syndicats, comité d’action et assemblée générale. La confrontation entre salariés et patronat est réelle, mais les avis divergent sur la marche de l’entreprise et se cristallisent autour de la personnalité controversée de Fred Lip.
Si nul ne conteste le génie du créateur, tout le monde ne porte pas le même regard sur un patron tour à tour décrié pour sa « gestion calamiteuse » et ses comportements inattendus, parfois jugé comme un « patron social », parfois comme « antisyndical ». Le portrait de l’entrepreneur reste une « figure brouillée », à l’image des années Lip de 1973 au début des années 1980, dont la mémoire fragmentée et toujours conflictuelle se nourrit de bribes d’histoire et d’archives éparses.
L’exposition Lip 73 … ça peut toujours servir est visible du 28 septembre au 15 décembre 2013 à Besançon. Elle est produite par l’IUFM de l’université de Franche-Comté, en partenariat avec la DRAC et l’Association des amis de la maison du peuple et de la mémoire ouvrière de Besançon.
Contact : Flavie Ailhaud
IUFM – Université de Franche-Comté
Tél. (0033/0) 6 16 80 58 66
DRAC de Franche-Comté
Tél. (0033/0) 3 81 65 72 00