Université de Franche-Comté

Quid de la physique quantique ?

Formulée depuis près d’un siècle, la théorie de la physique quantique a convaincu même ses détracteurs les plus farouches à force d’expériences. Régissant un monde où cohabitent des éléments pas plus gros qu’un atome, ses lois sont à l’origine des avancées scientifiques et technologiques les plus extraordinaires de ces dernières décennies. Mais si on sait jouer avec les propriétés de la matière à toute petite échelle, les fondements de la physique quantique demeurent un vaste mystère. Ce qui n’est pas le moindre de ses fameux paradoxes…

 

 

SOMMAIRE

La science en panne de mots

Des programmes de recherche ambitieux

Intrication en images et en couleur

La décohérence joue les trouble-fête

Le temps des atomes

Les trous noirs, une énigme quantique

 

 

La physique quantique ? Elle est dans les ordinateurs, les lasers, ou encore les horloges atomiques. Ses applications ont transformé notre quotidien autant que sa théorie a révolutionné le domaine de la physique, au point de remettre en question jusqu’à notre conception du monde.

Certains pensent qu’il est plus judicieux de la confiner au stade de l’abstraction mathématique quand d’autres veulent la comprendre et la mettre en mots ; tous sont aujourd’hui convaincus de l’existence de ses lois propres, mais sont déroutés car l’admettre, c’est aussi accepter de balayer des convictions bien établies. Bref, depuis la mort de Max Planck voilà tout juste soixante-dix ans, les héritiers du père de la physique quantique sont toujours dans la perplexité et confrontent, parfois de manière houleuse, leurs différents points de vue.

équations

La science en panne de mots

Le séminaire Épiphymaths organisé au LMB (Laboratoire de mathématiques de Besançon) est un terrain de débat privilégié autour du sujet. Fondé par Jean Merker et Claude-Alain Risset, il réunit régulièrement depuis trente-cinq ans mathématiciens, physiciens, mécaniciens et philosophes dans une vaste discussion pluridisciplinaire et féconde, partant des progrès de la connaissance, des résultats des dernières expériences et de la divergence des conceptions. Le mathématicien Stefan Neuwirth met d’emblée tout le monde à l’aise : « Nous comprenons de mieux en mieux pourquoi nous ne comprenons pas. » C’est un début, et sur ce point là, les avis sont unanimes. « Même les prix Nobel de physique avouent leur incapacité à dominer le sujet, renchérit le philosophe Joël Garnier, faisant allusion à Richard Feynman, et qui explique : « La difficulté n’est pas seulement de comprendre ce qui se passe à l’échelle atomique, que gouvernent d’autres principes que ceux de notre monde connu, mais aussi de réussir à formuler avec des mots ce qui s’observe dans une expérience ou se vérifie dans une équation mathématique ».

« La physique quantique décrit le monde autrement, elle amène à une conception du réel différente de celle que nous considérions comme acquise depuis l’avènement de la science rationnelle » assène Daniel Van Labeke, physicien et spécialiste d’optique. Joël Garnier résume en quelques mots l’opposition fondamentale entre la physique classique, qui a donné les clés de compréhension de notre monde macroscopique dès le XVIIe siècle, et la physique quantique, née au début du XXe siècle, qui fait loi dans l’univers des particules élémentaires : « Pour la physique classique, le réel est ce qui advient, ce qui se produit de façon sûre. Pour la physique quantique, le réel est du ressort du possible, il est ce qui potentiellement peut arriver ».

À l’échelle de l’atome, plus de déterminisme ni de certitudes : tout se déroule de façon aléatoire, et molécules, électrons, photons et autres neutrons marchent aux probabilités. La physique quantique s’ingénie avec un malin plaisir à prendre le contrepied des principes stipulés par la physique classique. Parmi les postulats révolutionnaires qu’elle énonce, l’intrication est l’un des phénomènes les plus intéressants de la physique quantique. Elle stipule que les états de deux ou plusieurs particules peuvent être dépendants l’un de l’autre, quelle que soit la distance qui sépare ces particules. Impossible dans ce cas d’agir sur l’état de l’un sans que l’état de l’autre en soit immédiatement affecté. Une telle faculté est mise à profit dans le cadre de la recherche sur la cryptographie ou le développement d’ordinateurs quantiques.

Autre phénomène majeur, la superposition défie l’entendement en démontrant qu’un état quantique peut prendre différentes valeurs, qu’il s’agisse de mesurer la position d’une particule ou sa quantité de mouvement. C’est la célèbre histoire du chat de Schrödinger, dont on ne sait pas s’il est « mort » ou exclusivement « vivant » tant qu’on n’a pas ouvert la boîte dans laquelle il se trouve. Il est dans un état superposé de mort et vivant avant l’observation.

Les probabilités respectives de ces deux états peuvent d’ailleurs être quelconques. Une situation aléatoire souvent décrite par l’expression à la fois mort et vivant, réfutée par de nombreux scientifiques qui la jugent inapte à refléter la réalité. L’histoire du chat de Schrödinger est exemplaire à double titre : elle illustre bien aussi la difficulté à formaliser les phénomènes quantiques avec les mots qui sont ceux du langage courant ou même de la science. Enfin, il existe une interaction entre l’observation de ce qui se passe à l’échelle quantique et l’observateur lui-même, ce qui remet complètement en question la façon que nous avons d’appréhender la mesure. Dans certains cas en effet, les particules voient leur comportement se modifier dès lors que s’immisce un instrument de mesure dans leur environnement.

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Des programmes de recherche ambitieux

Au-delà de la difficulté à interpréter et à rendre compte de la réalité quantique, les scientifiques ont su se saisir de ses propriétés fondamentales pour signer les plus grandes avancées de ces dernières décennies. C’est grâce aux propriétés quantiques qu’ils ont fait naître le transistor, impliqué dans toutes les connexions électroniques à l’œuvre dans nos ordinateurs et nos portables, le laser, la spectroscopie ou encore l’imagerie par résonance magnétique. Les recherches se poursuivent, aussi bien au niveau fondamental qu’appliqué, encouragées par une volonté des politiques nationales et européennes de les soutenir plus activement dans les années à venir. Le projet I-QUINS entre dans cette dynamique. Lauréat de l’I-SITE-BFC1, il réunit une équipe interdisciplinaire autour d’objectifs ambitieux.

« C’est une reconnaissance importante pour les chercheurs qui travaillent sur le sujet depuis de nombreuses années, et qui vont désormais pouvoir intégrer leurs recherches à un cadre structurant, tout en bénéficiant de moyens supplémentaires », explique le mathématicien Frédéric Holweck, chercheur à l’ICB (Institut Carnot de Bourgogne) et enseignant à l’UTBM, coordinateur du projet I-QUINS. Lié à la thématique de l’information quantique dont l’objectif est d’utiliser les paradoxes de la physique quantique pour développer les systèmes de communication de demain, le projet propose un programme scientifique très cohérent, construit sur trois niveaux, du plus théorique au plus expérimental.

La géométrie de l’intrication est un aspect purement mathématique et pionnier ; le contrôle quantique vise à décrire le processus physique faisant passer une particule d’un état à un autre et à en apporter une transcription mathématique ; enfin les expérimentations réalisées au sein d’une plateforme photonique ont pour but de développer de nouveaux composants et de se diriger vers de nouvelles applications. Le tout récent projet PHYFA, financé par la Région Bourgogne – Franche-Comté, prolonge et prend le relais d’I-QUINS sur ses aspects les plus expérimentaux, notamment grâce à la mise au point d’un banc photonique permettant d’éprouver des algorithmes quantiques.

À l’intérieur de ce vaste programme, Frédéric Holweck s’intéresse tout particulièrement à théoriser l’intrication quantique, largement impliquée dans la transmission de l’information, le calcul quantique ou encore la téléportation quantique. « On cherche à décrire, grâce à des objets géométriques, les états intriqués produits par les algorithmes quantiques. L’espace des états intriqués purs présente une structure en « pelure d’oignon » : les différentes couches qui entourent le cœur, les états séparables, correspondent à autant d’états intriqués différents. L’idée est de décrire la géométrie de cette structure. » Les mathématiciens pourront à partir de là construire un modèle en se servant de la théorie des hypermatrices, permettant de « visualiser » les états quantiques comme des points dans cet espace. Un autre paradoxe étudié dans ce premier axe d’I-QUINS est la notion de contextualité : en physique quantique le résultat d’une mesure dépend des mesures passées et futures que l’on peut faire sur le système. Comme pour l’intrication, il existe une traduction géométrique de ce phénomène. Cette recherche sur la contextualité a été initiée par Michel Planat à l’Institut FEMTO-ST, où elle est développée depuis une quinzaine d’années, et est à l’origine d’importantes collaborations en France et à l’international.

L’intrication est également au cœur des préoccupations d’Uwe Franz, spécialiste d’analyse fonctionnelle au LMB et enseignant à l’université de Franche-Comté. « Les observables représentent les valeurs que peuvent prendre les états quantiques. Les matrices remplacent ces observables dans nos équations, qui portent le nom d’algèbres non commutatives, et sont nées de la théorie quantique. Nous tentons d’extraire les valeurs propres de ces observables à partir de ces algèbres. » Uwe Franz rappelle que l’intrication quantique est une ressource capitale pour mettre un jour au point l’ordinateur quantique, dont les performances seront décuplées par rapport aux systèmes d’aujourd’hui. « Les ordinateurs actuels utilisent le système binaire pour assurer le transport et le traitement de l’information, grâce par exemple à des photons. Les valeurs 0 et 1 ne peuvent être intriquées, mais les photons, eux, peuvent l’être, ce qui ouvre de grandes possibilités. »

1 Le projet I-SITE-BFC est un instrument opérationnel d’UBFC, associant aux établissements membres de la communauté de nombreux acteurs du monde socio-économique régional

 

Peut-on faire toute la lumière sur les objets quantiques ?

La lumière, corpuscule ou onde ? Cela fait plus d’un siècle, depuis les travaux d’Albert Einstein et de Louis de Broglie, pour ne citer qu’eux, qu’on lui reconnaît les deux natures. Mais la lumière n’est que l’exemple le plus célèbre de cette dualité a priori antinomique : tous les objets physiques présentent cette particularité, et on ne peut décrire les phénomènes quantiques autrement qu’en acceptant l’idée que les particules puissent adopter des comportements liés à ces deux principes. « Dire que la lumière est à la fois une onde et un corpuscule n’est pas exact : elle présente tantôt les propriétés de l’une, tantôt les propriétés de l’autre.

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Intrication en images et en couleurs

En optique, Eric Lantz s’intéresse aux photons dès lors qu’ils vont par paires. « Nous travaillons sur des photons dont la fréquence est élevée, et nous les cassons en deux. L’opération donne naissance à deux photons de même énergie, dont la liaison est intime puisqu’il s’agit d’un seul objet au départ ». À l’Institut FEMTO-ST, des expérimentations sont menées de façon spatiale, en utilisant le support des images pour réussir à localiser ces photons. « Lorsqu’un photon traverse un champ vertical par un trou très étroit, il se projette n’importe où sur le plan image placé derrière. Sa direction de propagation est inconnue. » Les expériences montrent que dans le cas de photons jumeaux, et si on place le détecteur (caméra) à un endroit bien précis, on s’aperçoit que les deux photons se positionnent sur le même plan image, de façon exactement symétrique. « Si le premier photon prend toujours une direction aléatoire, il est en revanche possible de localiser très précisément le second par rapport à la position du premier. » Le recours aux photons jumeaux, en augmentant la qualité de la détection, laisse espérer des améliorations notables dans le domaine de l’imagerie, parce qu’il devient possible d’une part de capter une intensité lumineuse très faible, comme c’est le cas pour les objets biologiques, d’autre part de reconstituer l’image d’un objet à partir du deuxième photon jumeau. Il ne faut pas oublier en effet que la détection d’un photon implique sa destruction immédiate… L’intrication créée grâce aux photons jumeaux permet de garder intact le second photon et de remonter, par déduction, à la genèse du premier. Une propriété également particulièrement utile à la cryptographie…

 

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Atomes

C’est justement la cryptographie qui a amené Jean-Marc Merolla, lui aussi chercheur en optique à l’Institut FEMTO-ST, à mettre au point des systèmes et des architectures quantiques pour les besoins des télécommunications, voilà une quinzaine d’années. « Nous avons alors élaboré des systèmes de détection de signaux optiques très faibles, dans le domaine des infrarouges. » Ces travaux ont donné naissance en 2010 à la spin-off AUREA TECHNOLOGY, spécialisée dans le comptage de photons. Aujourd’hui, les travaux de recherche comme de valorisation commerciale s’orientent vers la fabrication de sources à photons jumeaux. Comme dans l’expérience réalisée par Eric Lantz, on connaît ici la couleur du second photon jumeau dès lors qu’on a repéré le premier, dont l’émission reste aléatoire : on ne sait pas dans quelle couleur va émettre le premier photon. « Dans le domaine des télécommunications, l’intrication des photons jumeaux devrait permettre de relayer l’information sur de plus grandes distances, grâce au développement de répéteurs quantiques : l’information est régénérée à chaque relais, ce qui contrebalance l’effet de la perte de transmission. » Pour cette application, l’utilisation des photons intriqués en fréquences semble prometteuse et compatible avec les mémoires quantiques. « Si l’on absorbe et on réémet un des photons intriqués à l’aide de ces mémoires, alors celui-ci conserve son intrication en fréquence avec son photon jumeau. En outre les sources intriquées en fréquences peuvent être intégrées sur des substrats comme le silicium, permettant ainsi de fabriquer des puces à grande échelle. » Le procédé n’est pas sans présenter des analogies avec le codage en longueurs d’ondes des réseaux de communications optiques fibrés.

La décohérence joue les trouble-fête

Si l’intrication est largement mise à profit dans le développement de systèmes quantiques, elle n’en reste pas moins un phénomène fragile, qu’il faut protéger d’un environnement perturbateur, appelé bruit quantique. « À ces échelles, éliminer le bruit est impossible, il existe toujours des fluctuations qui empêchent d’isoler parfaitement un système », explique Bruno Bellomo, chercheur à l’Institut UTINAM et enseignant à l’IUT Besançon-Vesoul. Le physicien travaille à mettre au point des stratégies pour réduire les perturbations générées par l’environnement et ainsi protéger l’intrication des états. « On essaie aussi de modifier le bruit quantique pour que ses effets deviennent bénéfiques. C’est le cas d’une étude théorique menée avec des collègues de Montpellier, exploitant l’absence d’équilibre thermique. » Ces méthodes d’optimisation de l’environnement s’apparentent au domaine du contrôle quantique, que Bruno Bellomo décline encore. « Une autre stratégie consiste à intervenir sur les systèmes atomiques grâce à des champs laser pour conduire les atomes vers des états cibles. » Cette méthode porte le nom de « contrôle cohérent ». Si on vise à optimiser la forme temporelle de ces champs laser par rapport à la cible choisie, on fait du « contrôle optimal ». L’association de cette méthode à la première, qui vise à modifier le bruit quantique, donne lieu à une piste de recherche actuellement développée en collaboration avec Dominique Sugny (ICB) au sein du projet I-QUINS.

Concocter de nouvelles réactions en mélangeant les recettes semble d’ailleurs une spécialité de l’équipe de Bruno Bellomo… Ainsi deux phénomènes, habituellement étudiés séparément, ont été comparés entre eux : la synchronisation, observée à la fois en physique classique et en physique quantique, et la superradiance, exclusivement quantique. La première montre qu’à la manière de deux horloges qui se synchronisent dès lors qu’elles sont placées sur un même support mobile, ou des applaudissements d’un public qui se mettent au diapason, des atomes peuvent s’aligner sur la même fréquence s’ils partagent le même environnement, capable de les intriquer. La seconde, la superradiance, est due au fait que l’émission de photons de la part d’un atome peut être fortement influencée par la présence d’autres atomes dans ses alentours, l’émission pouvant survenir plus rapidement. Les chercheurs ont remarqué qu’il existe une corrélation entre le moment où se produit la synchronisation et celui de la superradiance, et espèrent pouvoir tirer parti de cette connexion. Une autre ligne de recherche menée par Bruno Bellomo exploite l’indiscernabilité des particules élémentaires pour réaliser des protocoles aptes à préparer plusieurs particules dans des états intriqués particulièrement intéressants. Si intrication et changement d’état sont largement étudiés par la théorie, ces propriétés sont tout autant utilisées dans des applications pratiques, comme la mise au point de l’horloge atomique.

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Source d’énergie quantique

Les clathrates hydrates (ou hydrates de gaz) sont des molécules de glace organisées sous forme de cages piégeant diverses molécules de gaz. On les trouve là où les conditions de température et de pression sont adéquates, par exemple dans les fonds marins ou dans les sols gelés de l’Alaska. Leur présence est telle qu’ils surpasseraient en quantité la totalité des ressources en énergie fossile de la planète, toutes origines confondues.

À l’Institut UTINAM, Ludovic Martin-Gondre s’y intéresse aussi bien sur le terrain de la chimie théorique qu’au travers de protocoles expérimentaux, réalisés avec l’université de Bordeaux. « Vérifier par la simulation théorique ce que nous avons observé dans les expériences permet d’améliorer notre compréhension des propriétés des molécules et de leurs interactions. » Ces interactions sont mises en évidence grâce à l’équation de Schrödinger et à sa résolution par la théorie de la fonctionnelle de la densité (DFT). La DFT, développée en 1964-1965 et récompensée par le prix Nobel de chimie en 1998, est une méthode largement utilisée en chimie quantique, car elle est adaptée à des systèmes de quelques atomes à plusieurs centaines. Ce qui est exactement le cas des clathrates hydrates, constitués d’un agencement de plusieurs cages donnant naissance à des structures nanométriques pouvant compter jusqu’à cinq cents atomes par maille élémentaire. « Calculer les énergies d’interaction entre les molécules donne la possibilité de mieux comprendre comment stabiliser ou déstabiliser les hydrates de gaz. »

L’enjeu est non seulement leur exploitation potentielle − et d’ailleurs controversée − comme vecteur d’énergie, mais également la maintenance des oléoducs/gazoducs qui subissent la formation spontanée de clathrates, ou encore le rôle joué par les hydrates de gaz dans les changements climatiques globaux. Sous l’effet du réchauffement climatique, les grandes quantités de méthane contenues dans les clathrates sont susceptibles d’être libérées dans l’atmosphère et d’accentuer le réchauffement global. Contrôler la stabilité des clathrates hydrates à travers l’utilisation d’outils de la chimie quantique représente donc un enjeu de taille dans les défis environnementaux actuels.

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Le temps des atomes

À césium, au rubidium, au mercure, à l’aluminium, à l’indium… l’horloge atomique est née avec la physique quantique et notamment la spectroscopie, qui a donné la possibilité de mesurer la structure énergétique des atomes. Dans le monde quantique, le changement d’état des atomes s’effectue de manière quantifiée et non continue : de grandes marches qu’une onde électromagnétique fait gravir aux atomes en leur apportant de l’énergie. Lorsque la fréquence de l’onde excitatrice est résonante avec la fréquence naturelle de transition de l’atome, ce dernier transite entre deux niveaux d’énergie, passant d’un état fondamental à un état excité, et fournit alors un signal de résonance détectable, lui-même mis à profit pour stabiliser la fréquence de l’oscillateur local, cœur de l’horloge.

Toutes les horloges atomiques dites passives fonctionnent selon ce principe. Les niveaux d’énergie diffèrent cependant selon les atomes utilisés : les horloges atomiques à césium présentent une fréquence de transition d’horloge proche de 9,192 GHz. L’oscillateur local, généralement un oscillateur à quartz multiplié en fréquence ou un oscillateur saphir, émet alors un signal dans le domaine des hyperfréquences. La dernière décennie a vu le boom des horloges atomiques optiques, exploitant un atome dont la fréquence de transition n’est plus dans le domaine hyperfréquence mais dans le domaine optique. Dans ce cas, l’oscillateur local est un laser, lui aussi pur produit de la physique quantique. Ces horloges battent au rythme exceptionnel de 10 000 milliards de battements par seconde, atteignant une précision inégalée.

Actuellement développées en laboratoire, ces horloges optiques de nouvelle génération atteignent des stabilités relatives de fréquence de 10-18 : cela correspond à une horloge qui aurait  perdu moins d’une milliseconde depuis la naissance de l’Univers…

Les possibilités de déclinaison de l’horloge atomique sont immenses, et dépendent des applications que l’on veut mettre en avant. Au département Temps-Fréquence de l’Institut FEMTO-ST, Rodolphe Boudot piège par voie optique des atomes de césium en agitation thermique au sein d’une cellule : ces atomes se trouvent dans un état de superposition cohérente quantique entre deux niveaux d’énergie. « On observe alors une modification nette de l’absorption de la lumière provenant du laser excitateur. Les atomes deviennent comme transparents, leur fluorescence diminue et l’on peut détecter un maximum de puissance lumineuse transmise à travers la cellule. » Ce phénomène physique, nommé piégeage cohérent de population, permet aujourd’hui le développement d’horloges atomiques micro-ondes très compactes, voire miniatures grâce à l’apport des techniques de microfabrication. La micro-horloge atomique mise au point par Rodolphe Boudot et ses collègues occupe un volume total d’environ 15 cm3, pour une consommation de l’ordre de la centaine de milliwatts. Elle fait aujourd’hui, en collaboration avec deux partenaires industriels, l’objet d’un développement visant l’obtention d’un produit commercial à l’horizon 2020.

De leur côté, Clément Lacroûte et Marion Delehaye travaillent à la mise au point d’une horloge optique à un seul ion, dans l’objectif de la rendre compacte et transportable. « Cinq lasers sont impliqués dans son fonctionnement, mais un seul assure la transition énergétique d’horloge de l’ion ytterbium (Yb), explique Clément Lacroûte. » Les quatre autres se chargent de manipuler l’unique atome impliqué pour le maintenir dans des conditions d’observation optimales. « Cette technologie en appelle à la physique des atomes froids, complète Marion Delehaye. L’ion Yb est maintenu immobile par les champs laser, ce qui amène son agitation thermique à une valeur proche de zéro ». Cette horloge compacte sera un instrument de choix pour la géodésie, qui mesure la structure de la surface de la Terre, et notamment son champ de gravitation.

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Les trous noirs, une énigme quantique

De la Terre, la physique quantique gagne l’Univers pour s’intéresser au mystère des trous noirs… Un trou noir est un astre tellement dense que sa force gravitationnelle attire toute matière en son centre. L’observation directe des ondes gravitationnelles1 émises lors de la fusion de trous noirs a depuis peu apporté la preuve que ces objets, malgré leur compacité, émettent des ondes, une découverte récompensée par le dernier prix Nobel de physique. Et la confirmation d’une prédiction d’Einstein émise cent ans auparavant. Les outils théoriques sont eux aussi largement mis à contribution pour essayer de résoudre l’énigme que représentent les trous noirs : depuis l’établissement d’analogies avec les lois de la thermodynamique, puis grâce à la mise en évidence de l’émission d’un rayonnement par Hawking en 1975, on sait que le refroidissement de la matière engloutie par le trou noir provoque un rayonnement thermique émis depuis l’horizon des évènements, une limite qui entoure la surface du trou noir et l’occulte totalement.

« Production de chaleur signifie agitation de molécules, or il n’y a rien sur cet horizon ! » raconte David Viennot, physicien théoricien à l’Institut UTINAM et enseignant à l’université de Franche-Comté. Le chercheur essaie de déterminer l’origine quantique de cette source de chaleur, dont la théorie puis des arguments indirects issus de l’observation ont bien validé l’existence. Une expérience numérique consiste à simuler la présence d’un qubit, qui est la plus petite unité de stockage d’information quantique, aux abords d’un trou noir, afin de voir si cette information subit une altération à ce contact. « Il serait nécessaire de combiner les lois de la physique quantique et celles de la relativité générale pour y parvenir, ce qui est impossible, car ces théories ne sont pas compatibles… » Pour contourner cet écueil et élaborer ses calculs, David Viennot adopte une approche semi-classique. La simulation qu’il a réalisée tient compte de la relativité de l’espace-temps et affranchit l’électron d’une partie de ses caractéristiques quantiques, avant de le placer à proximité du trou noir. La simulation devient possible. Elle montre que le trou noir exerce un effet délétère notable sur l’information portée par l’électron, puis qu’au-delà d’une certaine limite, une sorte de deuxième horizon, son influence diminue considérablement. » L’expérience numérique laisse supposer que la théorie à exploiter ici est la théorie des branes, qui se situe à mi-chemin entre la théorie des cordes et la géométrie non commutative.

De nombreuses théories sont étudiées pour tenter de rendre compatibles la physique quantique et la relativité générale : la « gravité quantique » pourrait expliquer des phénomènes encore obscurs en astrophysique… ou ailleurs. « L’étude de la problématique des trous noirs aide à comprendre certains aspects de l’outil mathématique, dont elle n’est qu’une application. Cet outil est également utilisé pour des technologies telles que l’informatique quantique ou la résonance magnétique nucléaire. Le maîtriser mieux aidera aussi à la résolution de problématiques industrielles ».

1Cf en direct n° 264, mai-juin 2016

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Le temps, une nature controversée

HorlogeOn ne perçoit pas le temps de la même façon selon qu’on regarde derrière ou devant soi : le passé est fixé, fermé, et le futur est ouvert. L’extinction des dinosaures comme l’opération de l’appendicite qu’on a subie à huit ans sont des évènements sur lesquels on ne reviendra pas, alors que le futur laisse le champ libre à tous les possibles, selon des délais élastiques : devenir ou non un jour grand-père, ou visiter la planète Mars. « Les modèles de la structure temporelle du monde ne reflètent pas cette asymétrie du temps, qui est fondamentalement intuitive », explique Vincent Grandjean, qui prépare une thèse de philosophie sur ce sujet à l’université de Neuchâtel. Le jeune chercheur souhaite élaborer une théorie qui se placerait entre le présentisme, qui ne considère que l’existence du présent et nie celle du passé comme celle du futur, et l’éternalisme, qui reconnaît indifféremment l’existence du passé, du présent et du futur. « Ma recherche s’oriente vers la description d’un modèle qui s’accorderait avec la réalité de notre perception du temps, et qui pourrait de plus se réconcilier avec le temps tel qu’il est décrit par la physique aujourd’hui. Depuis que le temps a donné une quatrième dimension à notre monde, s’ajoutant aux trois variables de l’espace, la théorie de la relativité et la physique quantique ont pu se développer et introduire des concepts ignorant le caractère absolu et objectif des notions de présence et de simultanéité pour l’un, prenant un caractère probabiliste pour l’autre, permettant toutes deux de considérer autrement la notion même d’existence. Et de repenser la nature du temps. Le travail de thèse de Vincent Grandjean s’inscrit dans le projet européen DIAPHORA (Philosophical problems, Resilience and Persistant Disagreement) portant sur la théorie de la connaissance. Fort de la collaboration de sept universités et d’un budget de 3,6 millions d’euros, c’est le projet de philosophie le plus ambitieux de ces dernières années en Europe.

 

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Coucher de soleil dans l’espace

Quel sens donner à l’interrogation « comprendre la physique quantique » ? Pour les uns il s’agira de saisir ses fondements, pour les autres de connaître ses propriétés pour mieux les exploiter. Au séminaire Épiphymaths, la réflexion poursuit son chemin. « La physique quantique apporte des explications aux forces de la nature que l’on ne peut comprendre autrement », souligne le physicien Daniel Van Labeke. Aucun scientifique ne remet aujourd’hui en question l’influence des lois quantiques sur le monde macroscopique. « On ne peut penser le monde si on ne s’attaque pas à la physique quantique, qui pose un vrai problème à la théorie de la connaissance », remarque le philosophe Joël Garnier. L’ésotérisme, qui récupère le mystère, le vocabulaire et les images de la théorie quantique, reste pour sa part sans fondement scientifique, et n’a pas sa place dans le débat.

 

 

 

 

 

 

Contacts :

Frédéric HolweckInstitut Carnot de Bourgogne / UTBM – Tél. +33 (0)3 84 58 30 00

 

Uwe FranzLaboratoire de mathématiques de Besançon – Université de Franche-Comté / CNRS – Tél. +33 (0)3 81 66 63 17

 

Eric LantzJean-Marc MerollaDépartement d’optique – Institut FEMTO-ST – Université de Franche-Comté / ENSMM / UTBM / CNRS Tél. +33 (0)3 81 66 69 78 / 64 18

 

Rodolphe Boudot / Clément Lacroûte / Marion DelehayeDépartement Temps-fréquence

Institut FEMTO-ST – Université de Franche-Comté / ENSMM / UTBM / CNRS – Tél. +33 (0)3 81 40 28 56 / 29 22 / 29 59

 

Bruno Bellomo / David Viennot / Ludovic Martin-GondreInstitut UTINAM – Université de Franche-Comté / CNRS Tél. +33 (0)3 81 66 69 09 / 69 16 / 64 76

 

Vincent GrandjeanInstitut de philosophie – Université de Neuchâtel – Tél. +41 (0) 32 718 18 59

 

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