Université de Franche-Comté

[Économie expérimentale]

Quand les émotions font monter les enchères…

Photo 3D Animation Production Company – Pixabay

Rolex, Cartier, Jaeger Le Coultre, Patek Philippe, Audemars Piguet, Tag Heuer, Longines, Omega… Ces noms parmi les plus prestigieux de l’horlogerie se bousculaient lors d’un événement exceptionnel organisé à Besançon en décembre dernier : la vente aux enchères du Domaine de quelque cent soixante montres confisquées ou saisies par la justice. Cette grande première, qui pour Bercy se devait d’avoir lieu dans la capitale française de l’horlogerie, a rapporté près d’1,5 million d’euros à l’État, presque quatre fois plus que ce qu’il en était attendu. La vente n’est pas passée inaperçue, surtout pas pour Karine Brisset et François Cochard, dont l’économie des enchères et l’économie comportementale sont des spécialités à l’uFC / CRESE. Tous deux ont donc suivi avec attention le déroulement des opérations, de l’enchérissement des acquéreurs aux trois coups de marteau fatidiques du commissaire-priseur. « 80 % du montant des ventes a été réalisé en ligne, un chiffre qui témoigne bien de l’importance de l’ouverture des marchés aux enchères par le biais d’internet. Se pose alors la question de l’augmentation de la concurrence entre les acheteurs potentiels, et par ricochet celle de la hausse des prix et de la valeur réelle du bien au moment de l’achat. » Dans les expérimentations qu’ils mènent en laboratoire auprès de volontaires, les chercheurs mettent en évidence la façon dont des biais émotionnels et cognitifs peuvent influencer les comportements. Leurs recherches s’inscrivent dans la mouvance qui, depuis une vingtaine d’années, prend le contrepied des théories classiques fondées sur une rationalité parfaite de l’être humain en matière économique.

Biais d’influence

Lors d’une vente aux enchères, il est acté, mais encore mal expliqué, qu’un participant puisse miser bien au-delà de la somme qu’il avait initialement envisagé de dépenser. Les travaux de Karine Brisset et de François Cochard apportent une meilleure compréhension des mécanismes en jeu, alors même que le secteur connaît des évolutions importantes avec le net. Nature du bien, achat pour son propre compte ou sur mandat, expérience et niveau d’information du participant…, différents paramètres favorisent des comportements défiant la logique monétaire, à l’origine de surenchères dont l’acquéreur se félicitera, ou pas, au terme de la vente. L’effet de pseudo-dotation est l’un des ressorts étudiés : « On a tendance à donner une plus grande valeur financière à un objet dès lors qu’il nous appartient, c’est l’effet de dotation. Lors d’une vente, ce biais peut affecter celui qui enchérit au plus haut, parce que le bien est à sa portée, presque en sa possession. L’effet est dit de pseudo-dotation, parce que l’objet ne lui appartient que virtuellement, et parfois pour quelques secondes seulement ; mais cela suffit à le faire surévaluer par l’acheteur, qui va donc aller plus loin que prévu dans les enchères ».

L’un des protocoles expérimentaux des chercheurs concerne la variation des prix, selon que la vente a lieu en salle ou en ligne. Les biais d’influence jouent alors sur des tableaux différents. L’excitation et l’animation liées à la présence d’un public, la rivalité sous-jacente avec les autres acquéreurs ou la satisfaction à l’idée d’être mis en valeur peuvent inciter les participants à faire monter les enchères pour gagner. Mais s’exprimer ou prendre des risques, qui s’avèrent pour certains plus faciles devant un écran, sont également des effets de forte influence. À ce stade de l’expérience, ce sont les enchères en ligne qui l’emportent ! Une tendance à sonder encore, auprès de pseudo-acquéreurs placés dans des contextes de ventes le plus proche possible de la réalité, puis interrogés sur leurs ressentis, selon un protocole hypercontrôlé pour permettre les comparaisons.

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