Université de Franche-Comté

Petit Âge glaciaire et paradoxes climatiques

Anonyme, Patineurs sur la Seine en 1608, janvier 1608, collection musée Carnavalet. Tableau représentant une scène de la vie quotidienne des parisiens pendant l’hiver de 1607-1608, appelé le « Grand Hiver », qui dura de la mi-décembre 1607 à la mi-mars 1608 et au cours duquel la Seine fut gelée pendant plusieurs semaines.

Les scénarios du changement climatique alertent sur le réchauffement de la planète et attirent aussi l’attention sur un possible revirement de situation, synonyme de grand froid : par un ricochet spectaculaire et paradoxal, la fonte des glaces arctiques pourrait produire un refroidissement du Gulf Stream, entraînant une chute brutale des températures en Europe.

L’étude du Petit Âge glaciaire, une longue période courant du XIVsiècle à la fin du XIXsiècle, est à ce titre d’un intérêt majeur, apportant des éléments de réponse concernant l’impact des changements climatiques sur les sociétés, et servant de point d’appui pour élaborer des projections d’avenir.

C’est là le cœur d’un projet engagé depuis avril dernier et pour trois ans entre le laboratoire Chrono-environnement de l’université de Franche-Comté et les prestigieuses universités MIT et Harvard aux États-Unis 1. Le projet est coordonné côté français par Emmanuel Garnier, directeur de recherche CNRS en histoire du climat, et bénéficie de l’appui logistique de la MSHE.

Richement dotée en archives, symbole rêvé pour des collaborateurs américains francophiles, Paris est la ville retenue pour être le théâtre des investigations. Les archives municipales de la capitale et, plus étonnant, celles de la Comédie française, constituent le socle documentaire de base. « Les dossiers de ce haut lieu du théâtre parisien mentionnent les annulations de spectacles et les événements, comme les aléas climatiques, qui en sont responsables », explique Emmanuel Garnier.

Grands froids, inondations, tempêtes sont consignés et avec eux leur influence sur la vie parisienne. Ces épisodes clima­tiques extrêmes, les conséquences économiques et sociales qui les accompagnent, les catastrophes qui les suivent, disettes, famines, épidémies, sont détaillés dans les comptes-rendus municipaux ainsi que dans les récits écrits par des bourgeois de la capitale, une autre source riche en enseignements.

« Avant le XVIIIsiècle, les variations du climat étaient essentiellement expliquées par des mots, mais des méthodes scientifiques permettent aujourd’hui d’attribuer des valeurs de température à ces indices descriptifs ; les informa­tions recueillies peuvent ainsi entrer en comparaison avec les enregistrements réalisés par la suite grâce à des instruments. »

Au XIV siècle, le Petit Âge glaciaire débute par un refroidissement sensationnel, de l’ordre de 1,5 °C en un demi-siècle. Il connaît ensuite, en dépit de son nom, des épisodes de forte chaleur et de sécheresse, très localisés. Il faut attendre la fin du XIXsiècle pour que cette période s’achève : l’hiver 1880 voit encore la Seine geler… Le réchauffement arrive ensuite progressivement, une conséquence naturelle du rythme et de l’imbrication des cycles climatiques, amplifiée par une pression anthropique de plus en plus forte.

Mieux percevoir les variations du climat et leurs impacts donnera à partir de l’exemple parisien des éléments d’appréciation de la résilience des systèmes économiques et sociaux lors du Petit Âge glaciaire. Ces connaissances aideront à établir des projections pour le futur, tenant compte des théories suggérant la possibilité d’un refroidissement brutal à l’échelle de l’Europe dans le contexte de changement climatique actuel.

 

1. MIT School of Humanities Arts and Social Sciences ; Department of Earth, Atmospheric and Planetary Sciences / Department of History of Harvard University.

 

 

Article extrait du n° 296, septembre-octobre 2021 de en direct.

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