Neuchâtel, La-Chaux-de-Fonds, Le Locle, Delémont, Porrentruy, Yverdon-les-Bains… pas de très grandes villes dans l’Arc jurassien suisse ! Mais de l’innovation, de la création de richesse, des industries performantes et dynamiques, des commerces, de l’enseignement supérieur, de la culture… Seulement le territoire souffre d’un paradoxe économique qui fait que les régions les plus productives sont parfois aussi les plus pauvres. Ce constat est ici vérifié dans une étude menée par Nicolas Babey, doyen de l’Institut du management des villes et du territoire (IMVT) à la Haute Ecole de gestion Arc, qui vient de rendre ses conclusions. « Nous assistons à d’importantes fuites financières hors du territoire, générées par une trop grande mobilité à la fois des personnes, des marchandises et des services », explique-t-il.
La balance des « travailleurs pendulaires » est négative : les personnes qui viennent travailler dans le canton de Neuchâtel puis repartent chez elles sont plus nombreuses que celles qui font la démarche inverse, d’où un solde déficitaire en termes de rentrées d’argent : le manque à gagner concerne aussi bien les impôts, qui sont versés dans l’escarcelle d’un autre canton, que la consommation, qui sur place est limitée. « Mais ce ne sont pas tant les sommes qui importent, que la direction que prennent ces flux financiers », estime le chercheur.
Les travailleurs, les cadres surtout, vivent dans les grandes villes, où ils achètent des biens et des services qui peu à peu disparaissent du paysage de l’Arc jurassien. L’ assurance est un bon exemple de service en perte de vitesse. En 2005, l’une des plus grandes compagnies suisses avait encore pignon sur rue à Neuchâtel. Son rachat par un groupe plus important, lui-même absorbé quelques années plus tard par une compagnie française, a signé la fin de sa présence dans la ville. Et au-delà de l’offre de service elle-même, c’est la vie de la cité qui est impactée : elle se voit privée du soutien financier qu’une enseigne accorde généralement sous forme de mécénat à une association de quartier ou à l’équipe de foot locale.
Le phénomène est également bien connu dans le commerce de détail. « Dans les villes de l’Arc jurassien, c’est le secteur économique privé le plus important en termes d’emplois. Or entre 2011 et 2017, c’est plusieurs centaines de ces emplois qui ont disparu », raconte Nicolas Babey. La faute à internet, mais pas seulement : « Des initiatives ont été prises par les commerçants, mais il leur faut s’organiser davantage pour faire front. » Et délaisser le jeu de la concurrence ancré dans la culture commerçante pour adopter de nouvelles pratiques.
En premier lieu favoriser l’information et la communication auprès des habitants, qui souvent ignorent ce qui est proposé par les commerçants de leur propre ville. Une faille dont ne manquent pas de tirer profit Amazon, Zalando et autres grands noms du e-commerce, qui sont eux de grands communicants, moyens financiers à l’appui. Cette « asymétrie des informations » est pour le chercheur une problématique essentielle, dont les commerçants doivent se saisir pour mettre en place de nouvelles stratégies.
De manière globale, l’enjeu est de réussir à raccourcir les « chaînes de mobilité » tirant les flux financiers à l’extérieur du territoire, et d’identifier les leviers à actionner pour atteindre cet objectif. Créer des emplois à la faveur de ressources encore peu valorisées, comme le bois-énergie. Reconstituer un tissu de services pour les particuliers comme pour les entreprises. Favoriser le commerce local et les circuits courts… Ces notions entrent dans la définition de « l’économie résidentielle », un concept de développement nouveau, préconisé par l’équipe neuchâteloise, qui présente en outre l’avantage de faire écho aux préoccupations environnementales actuelles.
Les solutions avancées pour une concrétisation des principes de l’économie résidentielle font preuve de créativité et d’ingéniosité, et demandent d’oser sortir des sentiers battus. La création d’une monnaie locale cryptée, déjà expérimentée à petite échelle, est l’un des moyens à mettre en œuvre dans les activités de la vie quotidienne. Un exemple ? Le stationnement, qui pour l’instant obéit à une loi dichotomique : une place de parc est soit payante, soit gratuite. Le recours à la monnaie locale se glisse entre ces options habituelles : une partie du paiement serait restituée à l’utilisateur sous forme de monnaie locale, à réinvestir sur place. Vous payez votre stationnement, vous récupérez une partie de votre argent pour le dépenser en ville, chez les commerçants. Une manière plutôt ludique d’inciter à jouer le jeu de son territoire…