Université de Franche-Comté

Nos sens en tous sens !

Le corps et l’esprit enfin réunis ? Toujours largement influencées par la pensée cartésienne, nos sociétés occidentales peinent à considérer l’être humain dans sa globalité et à promouvoir l’étude des émotions auprès de la science.
Depuis quelques années cependant, des chercheurs de toute obédience développent une sensibilité certaine à l’exploration de nos sens : toucher, goût, vue, ouïe, odorat…, de quelle façon jouent-ils sur le registre de nos émotions ?

 

  

 

SOMMAIRE

La vue

L'attention rend aveugle

Eye-tracking : suivez mon regard

Le toucher

Toucher du doigt la réalité mécanique

Évaluer la qualité tactile d'un produit

Le goût

L'eau à la bouche

In vino veritas

L'odorat

En ligne directe avec le cerveau émotionnel

Le bionez a l'odorat très sensible

L'ouïe

La musique adoucit les mœurs et fait bien plus encore

Le son dans la peau

  

 

« Ce que les yeux voient est sûr, les paroles que l’on rapporte ne sont pas

forcément vraies. » Marc Aurèle

 

  

 

L’attention rend aveugle

Êtes-vous vraiment sûrs de ce que vos yeux voient ? Depuis une expérience — probablement un peu traumatisante — réalisée à la NASA auprès de pilotes de chasse, on sait que rien n’est moins sûr. Lors d’un exercice de simulation, les pilotes devaient exécuter les manœuvres nécessaires à un atterrissage en toute sécurité. Accaparés par la tâche, 30 % d’entre eux ont virtuellement posé leur machine sans s’apercevoir de la présence d’un avion au sol, barrant leur trajectoire en bout de piste.

Cette expérience réalisée en 1991 est le point de départ d’une foule de recherches sur ce phénomène, qui explique de la même manière qu’on ne voit pas un ami assis dans un cinéma dès lors que c’est pour trouver une place libre qu’on scrute avec attention la rangée de fauteuils dans laquelle il se trouve.

Au laboratoire de psychologie de l’université de Franche-Comté, André Didierjean1 travaille sur ce qu’on croit voir. Imaginons un film qui défile devant nos yeux et dans lequel nous prenons le rôle d’un conducteur de voiture. La projection est coupée pendant une fraction de seconde. « Si on reprend le film exactement au moment de la coupure, on a la sensation que la voiture recule, car notre cerveau avait, lui, poursuivi la route. »

À ce phénomène d’anticipation du mouvement s’ajoutent d’autres phénomènes perceptifs, dans lesquels nos connaissances biaisent notre façon de voir. Ainsi, si on nous demande de regarder un objet sur une photo dont le fond est signifiant, par exemple un cône de chantier posé sur du bitume, à la présentation d’une seconde série de photos représentant cet objet dans différentes tailles, toujours sur le même fond, on désignera un cône plus petit comme identique dans notre souvenir à celui de la première image. Car la connaissance que nous avons de ce que sont un cône de chantier et son environnement élargit notre champ de vision de façon inconsciente, nous faisant « voir » le cône bien plus petit qu’il n’est en réalité.

Les magiciens s’appuient sur ces types de ressorts psychologiques pour construire leurs tours. Cyril Thomas est prestidigitateur et doctorant au laboratoire de psychologie. Il « décortique » les tours de magie pour mieux les comprendre, comme celui de ce magicien qui lance à trois reprises une balle qu’il tient dans la main et dont nous suivons
du regard le trajet. Au troisième lancer, la balle disparaît, comme happée dans les airs. En réalité elle n’a pas quitté la main du magicien. C’est notre connaissance de son geste lors des deux premiers lancers et notre faculté à anticiper le mouvement qui nous fait « voir » la balle la troisième fois. L’illusion est dans l’esprit du spectateur… pas dans le tour !

Magicien avec une balle

1 Didierjean A., La madeleine et le savant, Éditions du Seuil, 2015.

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Eye-tracking : suivez mon regard…

L’eye-tracking, ou oculométrie en version française, mesure le mouvement des yeux et suit la direction du regard d’un consommateur placé devant un linéaire de produits, d’un internaute à la recherche d’infos sur le web… Des rayons infrarouges envoyés à l’œil enregistrent le moindre mouvement de la pupille pour établir un compte-rendu fidèle et en temps réel de son activité. Il s’agit de comprendre pourquoi et comment l’œil emprunte un chemin en particulier et s’arrête sur un élément plutôt qu’un autre : attrait de la présentation, point d’intérêt, d’étonnement, de questionnement, difficulté de compréhension ?…

Au laboratoire d’anthropotechnologie de la Haute école Arc Ingénierie, Carole Baudin est spécialiste en ergonomie. Son équipe participe au projet ErgoCrowd pour l’évaluation des interfaces web porté dans ce même établissement par l’ISIC, l’Institut des systèmes interactifs et communicants, en collaboration avec la société suisse USERVALUE. « Cette recherche vise à automatiser les données générées par eye-tracking, une opération pour l’instant réalisée par des ergonomes. » Coupler ces informations aux indications fournies a posteriori lors d’entretiens par les personnes qui se sont prêtées à l’expérience est actuellement nécessaire pour bien comprendre les stratégies cognitives en jeu.

L’eye-tracking permet de traduire une page web en une représentation graphique où s’affichent de manière évidente les endroits où l’attention des internautes s’est polarisée. Encore faut-il comprendre ce qui a pu motiver ces arrêts sur image pour vraiment tirer profit des résultats, et à terme réussir à améliorer la navigation sur un site par exemple. « Ces expériences sont réalisées en laboratoire dans des contextes précis et de façon très encadrée », explique Carole Baudin, qui met en garde contre « le danger de ce type d’outils lorsqu’ils sont placés dans les mains de non-experts », visant clairement les systèmes disponibles sur la toile et autres applications mobiles à bas prix.

Si l’eye-tracking « professionnel » reste pour l’instant un peu confiné dans les laboratoires, le souhait est de l’ouvrir au monde, de mettre à disposition des expérimentateurs des appareils de mesure à utiliser en situation réelle, pour évaluer l’influence du contexte environnemental et culturel sur leur démarche.

À côté de ces dispositifs souvent fixes, à placer sur des installations, des casques se développent pour étudier non seulement des interfaces mais aussi des équipements type machine à café. La Haute Ecole Arc vient d’acquérir une caméra issue de cette technologie des plus récentes. Caméra café, mais pas cachée puisque les utilisateurs sont informés et consentent à participer à de nouveaux épisodes, scientifiques ceux-là.

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Scénarios colorisés

Ambiance chic, feutrée, cosy ? Couleurs franches ou en demi-teintes ?… Les goûts et les couleurs sont tous dans la plateforme de réalité virtuelle de l’UTBM, où différents scénarios sont rendus possibles grâce à un configurateur couleur. Un outil développé pour tester la meilleure atmosphère sensorielle et les couleurs les plus flatteuses pour l’œil dans le cadre de l’aménagement des locaux de LA JONXION, le centre d’affaires créé à proximité de la gare TGV de Belfort. Les locaux, loués pour de courtes durées, doivent être suffisamment consensuels dans leur décor et leur aménagement pour convenir au plus grand nombre, et aider leurs occupants à se repérer rapidement dans ce grand bâtiment.

C’est ainsi que sont nés des salons monochromes jusque dans la teinte de leurs vitres et baptisés par leur couleur pour des repères cognitifs simples et cohérents. Intimistes ou franchement dynamiques, les ambiances sont déclinées en fonction de la destination des locaux. Les futurs usagers du lieu se sont prêtés au jeu de l’immersion dans la réalité virtuelle, une expérience grandeur nature pour juger sur pièces les solutions proposées. « Exploiter les possibilités offertes par la plateforme, en lui associant des outils dédiés aux harmonies colorées utilisés par les architectes et les designers, est une démarche totalement novatrice », souligne Marjorie Charrier, enseignante et chercheuse en design produit à l’UTBM, qui a supervisé le projet. Pour elle et son équipe, le retour d’expérience est étonnant. « Quand nous avons visité les lieux réels pour la première fois, nous avons eu le sentiment de nous déplacer dans des couloirs et des bureaux que nous connaissions par cœur ! »

Accueil des locaux de La Jonxion

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« Le toucher est le plus démystificateur de tous les sens, au contraire de la vue,

qui est le plus magique. » Roland barthes, Mythologies

 

  

 

Toucher du doigt la réalité mécanique

Tissu velours

Si vous promenez votre doigt sur une surface glissante ou à l’inverse bloquante, en principe le frottement n’est pas le même, puisqu’il dépend de la nature des matériaux en contact. En principe seulement, comme le révèlent les récents résultats d’une étude menée au département Mécanique appliquée de l’Institut FEMTO-ST. Car les doigts humains ne captent pas tous de la même façon l’information. Il n’est pas ici question de ressenti, de sensation, mais de mesures physiques et objectives déterminant le coefficient de frottement entre deux surfaces, celle du doigt et celle d’une matière. À FEMTO-ST, Pierre-Henri Cornuault, Luc Carpentier et Guy Monteil sont tous trois impliqués dans le programme de recherche COSTaM qui vient juste de se conclure, et pour lequel ils ont apporté leurs compétences en tribologie, l’étude des frottements, et en haptique, la science du toucher.

Leur recherche a mis en évidence une variation importante des coefficients de frottement d’un individu à l’autre et les paramètres expliquant ce phénomène. L’étude a été menée à partir de surfaces réelles, fabriquées et caractérisées selon un référentiel tactile mis au point au laboratoire, le TouchFeel®, et de surfaces virtuelles reproduisant la sensation de toucher des écailles de poisson, du velours ou du sable sur un effecteur tactile à la surface animée par des actuateurs piézoélectriques : le Stimtac®, lui, a été mis au point par l’IRCICA de Lille. Les chercheurs constatent alors avec surprise que les coefficients de frottement entre la surface du doigt et le matériau diffèrent d’un individu à l’autre, qu’ils sont plus grands chez les hommes que chez les femmes, et que chez certaines personnes, le coefficient est presque le même, que le doigt passe sur une surface glissante ou accrocheuse.

Les propriétés mécaniques, morphologiques et physico-chimiques de la surface du doigt sont alors étudiées pour comprendre ces résultats contre-intuitifs. Il apparaît très nettement que les paramètres chimiques ont une influence prédominante, notamment le ratio lipides / eau. Plus ce rapport augmente, plus les valeurs de contraste de friction sont élevées, comme c’est le cas dans la population féminine : les femmes différencieraient mieux que les hommes un couple de surfaces.

Les recherches effectuées par le consortium ont une portée médicale, elles visent le diagnostic et la rééducation des personnes ayant perdu le sens du toucher ou présentant une déficience tactile.

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Bon ressenti pour les matériaux biosourcés

Accrochant, brut, fibreux, résistant, rugueux… onze descripteurs ont été définis pour caractériser au toucher des matériaux biosourcés et synthétiques. D’autres ont été choisis pour définir des surfaces finies dans ces mêmes matériaux. Tous ont été identifiés lors d’expérimentations menées dans le cadre de la thèse d’Ana-Maria Avramescu, réalisée à l’Institut IRTES de l’UTBM en cotutelle avec l’université polytechnique de Bucarest, sous la direction de Jean-Claude Sagot, Ionel Simion et Morad Mahdjoub.

Les expérimentations, combinées à des mesures instrumentales, montrent que si la différence de ressenti est certaine entre échantillons bruts de matières synthétiques et biosourcées, ici à haute teneur en fibre de lin, elle disparaît dès lors que l’on considère des produits finis réalisés dans ces mêmes matériaux. Un bon point pour les matières nouvelle génération…

 

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Évaluer la qualité tactile d’un produit

Veiller à ce que le frottement d’une carrure de montre ne soit pas blessant sur le poignet, s’assurer que la texture d’une crème reste agréable sur la peau malgré une formulation chimique différente… le contrôle de la qualité sensorielle d’un produit est un exercice subjectif, et il n’existe actuellement pas réellement de norme française ou européenne, et encore moins internationale pour donner un cadre aux évaluations concernant le toucher.

Des méthodologies peuvent cependant aider les opérateurs dans leur démarche de contrôle qualité, des solutions que préconise et développe Setha Mith au sein de sa société ExpertiSens.

Après un passage à l’Incubateur d’entreprises innovantes de Franche-Comté, la start-up créée en 2012 prend le relais commercial des recherches entreprises en mécanique à l’Institut FEMTO-ST, auxquelles le jeune entrepreneur a collaboré pendant sa thèse de doctorat à l’issue d’un cursus d’ingénieur suivi à l’ENSMM.

« Lorsque le contrôle est à ce point subjectif qu’il devient variable d’un individu à l’autre, d’un jour à un autre, les rebuts de pièces sur une fabrication prennent des proportions parfois considérables. Uniformiser les pratiques dans une entreprise permet un gain de productivité, et donc financier, même si une part de subjectivité reste inévitable. » Au département de mécanique appliquée de FEMTO-ST, où la start-up a toujours ses entrées, une plateforme de métrologie sensorielle a été développée et est équipée de différents appareillages de mesure tactile. Des essais peuvent y être réalisés en sous-traitance pour les entreprises, et aussi donner lieu à la fabrication d’appareils sur mesure pour les sociétés qui souhaitent acquérir leur propre équipement. « Nous mettons en adéquation les pratiques de l’entreprise et les attentes de ses clients afin de dégager une méthode personnalisée la plus efficace possible », explique le jeune entrepreneur.

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« Le rituel du thé, cette reconduction précise des mêmes gestes et de la même dégustation, cette accession à des sensations simples, authentiques et raffinées,

cette licence donnée à chacun, à peu de frais, de devenir un aristocrate du goût. »

Muriel barbery, L’élégance du hérisson

 

  

 

L’eau à la bouche

Le sel de la vie, le piment d’une relation, l’amertume d’une peine… les expressions courantes montrent combien le goût et la vie sont intimement liés.

Philosophe, enseignante-chercheuse à l’université de Franche-Comté, Corine Pelluchon en fait la démonstration dans Les Nourritures, son dernier ouvrage2. Elle souligne la centralité du goût et donne à l’acte de manger une autre dimension que la simple réponse à un besoin physiologique, et au-delà, met en évidence non seulement le lien entre appétit et désir de vivre, mais aussi l’importance éthique et politique de nos choix de consommation.

Le goût est le sens qui apporte le plaisir à la prise de nourriture. Tous les sens collaborent au goût pour augmenter ce plaisir, l’odorat qui saisit les subtilités d’un plat, ou la vue qui se délecte de la composition et des nuances de couleurs d’un mets… Autour du repas, une mise en scène, un décor particulier ou un rituel contribuent à décupler le plaisir d’une bonne chère. Se nourrir devient un art, un savoir-vivre à prendre au sens d’envie de vivre, « vivre en trouvant du plaisir à vivre ». Loin de la signification élitiste qu’on lui prête en général, le savoir-vivre n’est pas ici l’apanage d’une catégorie sociale mais devient accessible à tous.

En démontrant l’importance du lien entre la prise en considération du goût et des sens et l’appétit de vivre, Corine Pelluchon place sous une lumière crue notre fâcheuse tendance à vivre une certaine « mutilation dans l’acte de manger » : dès lors qu’il s’agit d’une affaire de tous les jours, souvent nous nous limitons à une prise de nourriture au sens basique du terme, sans non plus nous préoccuper de la provenance des aliments. Par manque de temps peut-être, mais sans doute surtout faute de savoir donner au goût une place de choix dans notre éducation et notre culture.

« Nous avons perdu le goût dans les activités quotidiennes parce que nous avons perdu le contact avec le monde comme nourriture. […] Nous ne faisons plus confiance à nos sensations, mais pensons que notre tête est le point de départ de notre expérience. »

L’explosion du nombre d’émissions télévisées consacrées à la cuisine pourrait être révélatrice d’une prise de conscience de cette perte de sens, et de la volonté de revenir au(x) plaisir(s) associé(s) au goût. À la convivialité aussi, qui n’est pas le moindre des intérêts collatéraux du bien-manger. « S’il y a un sens à ériger la gourmandise en vertu, c’est parce qu’elle associe le plaisir gustatif à la convivialité », rappelle Corine Pelluchon citant Brillat-Savarin. La gourmandise, un art de vivre très français, à cultiver sans modération…

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In vino veritas

Boutelle de vin et verres

Deux vins du Jura issus des cépages Pinot et Chardonnay ont alimenté une étude comparative entre sommeliers célèbres et néophytes convertis pour l’occasion en testeurs de vins.

L’objectif ? Voir quelles zones du cerveau sont sollicitées quand les goûteurs n’ont ni la vue, ni le nez et qu’ils reçoivent le vin directement en bouche pour tenter d’identifier les breuvages lors d’une dégustation, et contrôler la cohérence de leur jugement sur un vin. Dans l’idée d’explorer la mémoire, puis les sens du goût et de l’odorat, le protocole prévoit que les tests de dégustation s’effectuent allongés, non à la mode romaine, mais sous contrôle de l’IRMf. Pas très pratique ni convivial, mais très instructif.

L’IRMf révèle que les aires cérébrales activées sont deux fois moins nombreuses chez les sommeliers et correspondent à des zones très spécifiques : les experts font appel à leur mémoire de travail, où se construisent les raisonnements, et à leur mémoire sémantique, où sont stockées les connaissances, pour retrouver dès les premières secondes, selon une stratégie très efficace, les traces du vin qu’ils dégustent. C’est du côté gauche du cerveau, celui de la cognition, que les choses se passent.

Plus démunis, les novices essaient de puiser dans l’hémisphère droit, dédié aux sens et aux émotions, des souvenirs et des sensations susceptibles de les mettre sur la bonne voie par association d’idées, sur le mode « j’ai déjà bu un vin de ce type, il faisait beau et on était en vacances »… La quête s’effectue tout azimut, elle est très diffuse, voire confuse, et concerne des zones du cerveau très différentes. « L’intégration du goût et de l’olfaction n’a sans conteste rien à voir entre les sommeliers et les novices », résume Alexandre Comte, chercheur en neurosciences au pôle Imagerie du CHRU de Besançon où a été réalisée l’expérience.

De l’eau et du vin donc. Sauf que les novices sont capables d’être cohérents dans leur jugement. Deux sur dix ont su reconnaître comme étant le même un vin présenté plusieurs fois, et lui ont attribué à chaque fois la même note. Deux sommeliers sur dix n’ont pas fait preuve d’autant de discernement, persuadés d’avoir affaire à plusieurs vins et les appréciant d’une façon différente à chaque dégustation. De tels résultats contribuent à faire avancer peu à peu la connaissance du cerveau, avec l’espoir à terme de tirer profit de sa plasticité ou de le rééduquer pour rétablir des connexions défaillantes. Et des modèles multisensoriels comme celui du vin pourraient aider des patients à se réapproprier des sensations perdues.

2 Pelluchon C., Les Nourritures – Philosophie du corps politique, Éditions du Seuil, 2015.

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« L’odorat, le mystérieux aide-mémoire, venait de faire revivre en lui tout un monde.»

Victor Hugo – Les Misérables

 

  

 

En ligne directe avec le cerveau émotionnel

L’odorat est une modalité sensorielle unique pour ce qui est de ses liens avec les émotions et les affects. Les voies olfactives sont en effet directement reliées au système limbique, où se construisent pour une grande part nos émotions et notre mémoire. Les informations transmises par les autres organes sensoriels sont, elles, dirigées vers le thalamus qui assure un rôle de relais et d’aiguillage en direction du cortex cérébral pour analyse.

C’est donc la spécificité anatomo-fonctionnelle de l’olfaction qui provoque notre réaction spontanée à une odeur, qu’elle soit agréable ou non, et nous donne la capacité de la relier à notre mémoire de façon instantanée. « Cette lavande, ça sent bon ! Ça me rappelle la Provence » est une assertion qui se passe d’examen et se lance comme une évidence.

Au laboratoire de neurosciences de l’université de Franche-Comté, Jean-Louis Millot travaille depuis plusieurs années à comprendre les mécanismes liés à l’odorat. Les travaux qu’il dirige ont par exemple démontré qu’un ressenti peut être modifié par un environnement agréablement odorant, ce qui se traduit directement et inconsciemment par une modification du timbre de voix.

Ou encore que, contre toute attente, les personnes souffrant de dépression surévaluent le caractère agréable des odeurs, un résultat contre intuitif qui pourrait s’expliquer par une anomalie de fonctionnement du cortex préfrontal, responsable de l’exacerbation des ressentis chez ces personnes, dans un sens comme dans l’autre. « Nous avons pu aussi constater qu’une odeur ambiante influence notre mémoire à long terme. » Des sujets à qui l’on avait demandé de regarder des couleurs sur différentes images, pour certaines en association avec une odeur de vanille, devaient identifier quinze jours plus tard les images déjà vues parmi une nouvelle sélection d’images, l’expérience se déroulant sous contrôle IRM.

« On ne se souvient pas mieux des images vues lorsqu’elles sont associées à l’odeur de vanille. En revanche, les zones cérébrales activées ne sont pas les mêmes, une partie du cortex olfactif est réactivée comme lors de la première étape, ce qui démontre que l’environnement olfactif a été pris en compte par le cerveau. » Des travaux récents montrent qu’il est possible de modifier de façon volontaire les émotions que nous associons à une odeur. « Le cortex préfrontal est celui qui s’est le plus développé au cours de l’évolution humaine. C’est lui qui régule les émotions, et il joue dans cette expérience un rôle fondamental. »

Ces études scientifiques permettent d’approcher d’un peu plus près le fonctionnement du cerveau, et d’améliorer la connaissance de sa plasticité comme de ses dysfonctionnements.

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Le bionez a l’odorat très sensible

La molécule de trichloroanisole, ou TCA, contenue dans le liège est responsable du goût — et de l’odeur — de bouchon que l’on déteste repérer à l’ouverture d’un bon vin. Elle est fabriquée par des moisissures nichées dans le liège en présence de composés chlorés, les chlorophénols, et se développe dans le bois qui peut la transférer ensuite au vin. Son odeur caractéristique est facilement repérable dès lors que les TCA atteignent une concentration de 10 nanogrammes par litre. Pour éviter d’être mis devant le fait accompli au moment de la dégustation, les chercheurs ont trouvé le moyen de détecter l’odeur indésirable en amont de la chaîne de production, lorsqu’elle est présente à l’état de traces, à l’aide d’un « bionez » bien plus fin que le nez humain. Physico-chimiste, Guillaume Herlem travaille à ce challenge au sein de l’équipe Nanomédecine, imagerie, thérapeutique de l’université de Franche-Comté, et aux côtés de son directeur Tijani Gharbi, physicien, qui a démarré l’aventure voilà plusieurs années dans le cadre d’un contrat passé avec le fabricant de bouchons ABEL.

Le bionez est un capteur miniature capable de détecter une famille d’odeurs et de l’analyser. Il a dans un premier temps été mis au point par greffage de cellules olfactives de souris sur un substrat recouvert d’un polymère biocompatible. Le procédé a depuis été rendu plus facilement et éthiquement exploitable grâce à l’utilisation de molécules OBP, pour Odorant Binding Protein, en lieu et place des neurones de souris. Découvertes voilà une dizaine d’années, les OBP sont des protéines creuses qui captent les molécules odorantes puis les transportent dans les cellules grâce à leur structure transmembranaire. « Ces protéines sont relativement faciles à produire et à immobiliser sur une surface pour réaliser un biocapteur d’odeurs embarqué dans un microsystème, avec une longévité très supérieure à l’utilisation des cellules vivantes », explique Guillaume Herlem. Lorsque la molécule odorante entre dans la protéine OBP, elle chasse le fluorophore qui s’y trouve à l’état naturel. Ce composé chimique devient fluorescent lorsqu’il sort de l’OBP dès lors qu’il est mis en présence d’eau, une réaction mesurée par fibre optique et qui permet d’analyser l’activité de l’OBP.

Outre leur détection, les chercheurs de l’équipe ont testé avec succès un procédé visant à détruire les TCA par électrolyse, une découverte pour laquelle un brevet a été déposé.

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« La vie est comme la musique : il faut suivre son oreille, ses sentiments et son instinct, et non des règles.» Samuel butler – Carnets

 

La musique adoucit les mœurs et fait bien plus encore

Depuis toujours l’homme est en contact avec la musique : celle du vent dans les arbres, d’une cascade d’eau sur les rochers…, puis celle qu’il crée lui-même à partir de cordes et de peaux, et enfin celle de sa voix lorsqu’il se met à chanter.

De tout temps et sous toutes les latitudes, la musique a été utilisée pour soulager les maux du corps comme ceux de l’esprit, et si la musicothérapie est mise en sourdine à certaines époques dans les pays occidentaux, c’est pour mieux renaître dans les années 1950, comme en France, où elle est aujourd’hui pratiquée dans de nombreux centres cliniques.

À l’université, son enseignement reste cependant encore confidentiel dans les sections de musicologie. Les étudiants de l’université de Franche-Comté peuvent se réjouir de compter parmi les privilégiés et de bénéficier des cours du musicothérapeute Florent Puppis, qui explique que « la musicothérapie utilise, comme vecteur des émotions, la vibration sonore. D’un point de vue scientifique, c’est l’étude, la recherche du rapport entre le son et l’être humain. D’un point de vue thérapeutique, c’est l’utilisation judicieuse du son, de la musique afin de maintenir et améliorer la santé mentale, physique et émotionnelle ». Les études scientifiques ont prouvé les améliorations que peut apporter la musicothérapie sur l’anxiété comme sur la douleur, de ses bienfaits en termes de qualité de vie ou d’adoucissement des symptômes de personnes atteintes de schizophrénie, d’autisme, de la maladie de Parkinson… Ses ressorts sont utiles en psychiatrie, en gériatrie, dans les maladies de dépendance, le handicap, les troubles du sommeil…

« Il n’existe pas de bonne et de mauvaise musique, de bons ou mauvais sons. Le ronronnement d’un chat peut être apaisant comme insupportable : tout dépend de l’état émotionnel ou de santé dans lequel on se trouve. » En tout état de cause, la capacité de l’être humain à ressentir des émotions en présence de musique se limite à trois types d’écoute : la première est intellectualisée — j’aime ou pas —, la deuxième appartient au domaine du souvenir et de l’affect, et la troisième, hypnotique, varie de l’extase musicale à la transe, où le sujet perd la notion de tout ce qui l’entoure.

Nourrie de ces connaissances fondamentales, la musicothérapie prend un aspect très concret avec la pratique d’instruments que le thérapeute adapte à son public et selon l’objectif recherché, et que l’étudiant en musicologie complète de ses propres pratiques instrumentales. Des séances auxquelles peuvent activement participer les patients, exprimant sous forme d’« images sonores » des émotions difficiles à formaliser ou verbaliser.

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Le son dans la peau

Le bruit, c’est de l’énergie. Pour réussir à le mettre en veilleuse, on peut l’absorber dans une mousse où cette énergie va se dissiper sous forme de chaleur ; on peut aussi l’isoler et le renvoyer d’où il vient. L’envoi d’autres ondes acoustiques munies d’une autre énergie contrecarre la propagation du bruit indésirable. Ces interférences destructives doivent être parfaitement contrôlées pour éviter les dérapages du type effet Larsen. Le schéma le plus simple et le plus stable pour parvenir à maîtriser la bataille acoustique se construit localement autour d’un couple microphone / haut-parleur. Le microphone capte l’information acoustique émise à proximité et déclenche le haut-parleur qui émet une onde en riposte. Dans une approche plus globale, toute une série de capteurs remplissent ce rôle pour le pilotage d’un champ acoustique beaucoup plus large. Ce procédé pose cependant des limites en termes de stabilité, et n’est actuellement développé qu’en laboratoire.

C’est un positionnement intermédiaire que les spécialistes des questions de vibration et d’acoustique ont choisi d’affirmer au département Mécanique appliquée de l’Institut FEMTO-ST : celui d’une approche locale distribuée, comme l’explique Emmanuel Foltête. « Nous multiplions le nombre de capteurs pour obtenir une information acoustique plus importante et couvrir un champ spatial plus vaste. Ici deux microphones renseignent et pilotent un même haut-parleur. » L’originalité du procédé réside aussi, et peut-être surtout, dans le fait que le contrôle du bruit s’effectue à l’interface entre deux milieux, l’un aérien et l’autre solidien, c’est-à-dire lié à une structure : actionneurs et haut-parleurs sont intégrés à la surface de la matière, dans ce qu’il est convenu d’appeler une « peau active ». Ces systèmes sont très performants pour neutraliser les grandes ondes, correspondant à des bourdonnements comme le ralenti d’une voiture. Ils laissent libre cours à l’imagination dans la mise au point de matériaux actifs, de la piste d’avion qui absorberait une partie du bruit lors d’un décollage, au papier peint susceptible d’insonoriser une pièce par lui-même.

La technologie n’en est pas là, mais ses résultats sont déjà très probants. Les deux démonstrateurs mis au point à FEMTO-ST ces dernières années ont enregistré des réductions de bruit de l’ordre de 8 à 20 décibels. Un démonstrateur de troisième génération est en cours de réalisation en partenariat avec la société AIRCELLE (SAFRAN), pour confiner le bruit des moteurs d’avion dans leur enveloppe.

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Contacts :

Université de Franche-Comté
André DidierjeanLaboratoire de Psychologie – Tél. (0033/0) 3 81 66 51 92
Corine PelluchonLaboratoire Logiques de l’agir – Tél. (0033/0) 6 59 04 71 34
Jean-Louis MillotLaboratoire Neurosciences intégratives et cliniques – Tél. (0033/0) 3 81 66 57 19
Guillaume Herlem / Tijani GharbiLaboratoire de Nanomédecine, imagerie, thérapeutique – Tél. (0033/0) 3 81 66 63 70 / 64 61
Florent PuppisDépartement de Musicologie – UFR Sciences du langage, de l’homme et de la société – Tél. (0033/0) 6 81 30 78 59

CHRU de Besançon
Alexandre Comte – Pôle Imagerie – Tél. (0033/0) 3 81 66 89 48

Institut FEMTO-ST
Guy Monteil / Pierre-Henri Cornuault / Emmanuel FoltêteDépartement Mécanique appliquée
Université de Franche-Comté / ENSMM / UTBM / CNRS – Tél. (0033/0) 3 81 66 60 02 / 3 81 40 29 71 / 3 81 66 60 32

Haute école Arc Ingénierie
Carole BaudinLaboratoire de recherche en Anthropotechnologie – Tél. (0041/0) 32 930 25 18

UTBM
Marjorie Charrier / Morad MahdjoubIRTES – Tél. (0033/0) 3 84 58 35 02 / 37 43

Société ExpertiSens 

Setha Mith – Tél. (0033/0) 3 81 25 09 25

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