À l’image de l’art et de la science, dont les chemins souvent se croisent, les musées et la recherche ont beaucoup à partager. L’Arc jurassien franco-suisse ne manque pas d’exemples de collaborations…
Bibracte est une machine à remonter le temps jusqu’aux Gaulois et aux Gallo-romains, et plus précisément à la très courte période de transition qui témoigne du basculement entre les deux civilisations.
Ville fortifiée érigée sur les pentes morvandelles du mont Beuvray à partir de 110 avant J.C., Bibracte n’a connu qu’un siècle d’existence, mais son intérêt a été et reste considérable. Capitale des Éduens, l’un des plus grands peuples celtes, elle conserve depuis presque deux mille ans les traces de savoir-faire typiquement gaulois, puis des techniques romaines qui les ont peu à peu supplantés. Aujourd’hui, Bibracte présente l’originalité de réunir un site archéologique, à la fois théâtre de fouilles et exposition à ciel ouvert, un centre de recherche européen et un musée où sont visibles objets, reconstitutions et maquettes de Bibracte et d’oppida comparables dans l’espace européen. Une configuration quasi unique en France, voire en Europe, et un bel exemple de diffusion de la science au public, dont environ 60 000 visiteurs profitent chaque année.
Enseignant-chercheur en archéologie à l’université de Franche-Comté / laboratoire Chrono-environnement, spécialiste du monde celtique, Philippe Barral était l’un des premiers, en 1984, à participer au lancement d’un projet de recherche moderne à Bibracte, alors qu’il était encore étudiant. Il a ensuite pris part aux actions de recherche, de formation des étudiants et de médiation développées à Bibracte, où il a piloté plusieurs missions archéologiques. Avec l’aide de technologies et méthodologies récentes et adaptées, les découvertes se sont multipliées et leurs interprétations se sont affinées au cours des quatre dernières décennies. Bibracte est devenu un grand laboratoire d’étude de la civilisation des oppida celtiques, qui s’épanouit sur 1 500 km, du littoral atlantique jusqu’aux rives du Danube. « Depuis plusieurs années, les résultats des fouilles font systématiquement l’objet de projets de restitution auprès du grand public. La question se pose toujours de savoir ce qu’il convient de montrer in situ ou d’exposer à l’intérieur du musée, de manière complémentaire », explique Philippe Barral.
Les vestiges d’un vaste bâtiment public, une découverte majeure de ces dernières années, ont par exemple été valorisés sur place. Une terrasse carrée de 50 m de côté, supportant le bâtiment aujourd’hui disparu, a laissé apparaître deux états de construction de son mur de soutènement, l’un gaulois, l’autre romain. Les remblais de cette terrasse artificielle étaient, dans une première version, maintenus par un mur construit selon la technique du murus gallicus, une armature de poutres en bois horizontales maintenue par des fiches en fer, associée à un parement de pierre sèche, typique des constructions défensives gauloises ; Bibracte est l’un des rares exemples prouvant que cette technique était aussi employée pour la construction urbaine.
Ce premier mur tombé en ruines, la terrasse est légèrement étendue et bénéficie d’un nouveau mur de soutènement, édifié selon la méthode romaine : il s’agit cette fois d’un mur maçonné, qui présente en façade des pilastres en moellons de granite taillés, attestant une fonction décorative. Pour montrer cette évolution au public, le choix a été fait de mettre en lumière l’angle nord-est de la terrasse et ses deux murs successifs. « Le murus gallicus a fait l’objet d’une reconstitution, et le mur romain a simplement été consolidé, explique Philippe Barral. Cette restitution souligne la stabilité au cours du temps de certains éléments structurants de l’urbanisme de l’oppidum, le caractère monumental et ostentatoire de certaines réalisations publiques, et in fine l’évolution des techniques architecturales entre l’époque gauloise et l’époque romaine ».