À l’image de l’art et de la science, dont les chemins souvent se croisent, les musées et la recherche ont beaucoup à partager. L’Arc jurassien franco-suisse ne manque pas d’exemples de collaborations…
Également dans l’enceinte de la Citadelle, le Musée de la Résistance et de la Déportation a rouvert ses portes en septembre dernier sur des locaux rénovés et une exposition permanente revisitée. Lorsque Denise Lorach, rescapée du camp allemand de Bergen-Belsen, fonde le musée en 1971, sa volonté est d’adosser la mémoire à un discours scientifique, une démarche rare à l’époque. François Marcot, d’abord étudiant en histoire puis enseignant, intègre le musée dès sa création et conseille l’ancienne déportée ; il poursuivra ses travaux de recherche sur la Résistance pendant toute sa carrière. Historien du musée, il en deviendra le conservateur pendant plusieurs années.
Au cours des années 1970 et 1980, François Marcot réalise des entretiens auprès de résistants francs-comtois, des archives orales qu’il considère destinées à être remises au musée, avec lequel des négociations sont en cours. Ce sont quatre-cent-cinquante heures de témoignages enregistrées sur cassettes, dont son ancienne doctorante Cécile Vast assure aujourd’hui la numérisation et la retranscription.
Enseignante en histoire et géographie dans le secondaire, chercheuse associée au Centre Lucien Febvre à l’université de Franche-Comté et au Laboratoire de recherche historique Rhône-Alpes (LARHRA) à Lyon, Cécile Vast est aussi chargée de mission par le rectorat de Besançon auprès du musée : l’histoire se poursuit, les relais se passent… Quarante voire cinquante ans après leur enregistrement, la relecture des témoignages par la chercheuse apporte un éclairage supplémentaire, celui de l’étude de la pratique historienne et de la construction d’un savoir.
Les enregistrements représentent environ deux-cent-trente témoignages de gens « ordinaires », et non de grandes figures de la résistance, à qui il était enfin donné de prendre la parole. Hommes ou femmes, campagnards ou urbains, des Francs-comtois de toutes origines sociales, marqués pour leur vie entière et jusque dans leur identité par ce qu’ils ont vécu et ressenti. « La peur de l’arrestation et de la dénonciation, la peur pour les enfants, menacés par l’engagement de leurs parents, la souffrance de la clandestinité sont les traumatismes qu’ils racontent et dont ils portent encore des séquelles, des décennies plus tard. Cette souffrance psychologique n’a pas été reconnue par l’administration », rapporte Cécile Vast.
Dans les souvenirs se disent aussi l’importance de la solidarité, la reconnaissance pour le gendarme qui ne dit rien ou le boulanger qui donne du pain, et l’indulgence pour ceux qui, mal préparés à vivre dans l’ombre, ont été arrêtés pour leur imprudence. Ces récits de vie, cette « parole libre » sont aussi des fils conducteurs pour les expositions du musée, qui relatent l’histoire de la Résistance et de la Déportation à travers les parcours de ceux qui l’ont vécue et racontée sur le vif. Correspondance avec la famille, carnets de bord et journaux intimes, productions artistiques réalisées en détention sont des documents précieux et touchants que met en avant le musée, de façon très symbolique installé sur l’un des lieux de répression du mouvement clandestin les plus importants de France : près de cent résistants ont été fusillés entre avril 1941 et août 1944 à la Citadelle.
Aujourd’hui labellisé musée de France, le lieu de mémoire voulu par Denise Lorach continue à cultiver l’esprit novateur qui le caractérise depuis sa création, et à bénéficier de l’expertise très pointue de spécialistes tels que Cécile Vast, comme François Marcot avant elle et comme d’autres historiens.