Université de Franche-Comté

Mouvements de glacier au Spitsberg

Expédition scientifique au Spitsberg

Prise de mesures au Spitsberg

Posé dans l’océan Arctique au nord de la Scandinavie, l’archipel du Svalbard, et l’île du Spitsberg plus précisément, abrite la base scientifique française Jean Corbel. Les chercheurs du laboratoire ThéMA y séjournent régulièrement et depuis des années pour établir le bilan de masse glaciaire de l’Austre Lovénbreen et en tirer des projections sur les effets du réchauffement climatique.

 

79 degrés de latitude nord

Chapka, piolet, radio, téléphone satellite et… fusil, ça c’est pour parer à toute rencontre inopinée avec un ours : l’équipement ne laisse rien au hasard. C’est donc harnachés de plusieurs kilos de matériel, et pour trois quarts d’heure de marche, que les chercheurs de la base Jean Corbel, sur l’île norvégienne du Spitsberg, partent à la rencontre du glacier Austre Lovén, à 79 degrés de latitude nord. Des rendez-vous programmés deux fois par an, en avril/mai, juste avant la fonte du manteau neigeux, puis en septembre, le 30 de ce mois correspondant à la fin de l’année hydrologique de mesure. Des missions de deux à trois semaines, avec chacune son lot d’anecdotes, le jour où un ours a laissé ses empreintes sur les carreaux d’un des baraquements, à deux mètres de hauteur, celui (ou plutôt ceux) où les brosses à dents ont gelé dans les verres, celui où il a fallu préparer un repas pour Ségolène Royal, alors ministre de l’Environnement, et pour son staff, lors d’une visite officielle.

Projections climatiques

Spécialiste de géographie physique, de glaciologie et de nivologie, Florian Tolle ne compte pas moins de dix-huit missions à son actif. Une expérience de terrain qu’il relaie auprès de ses étudiants à l’université de Franche-Comté. « Mon témoignage est une manière forte d’aborder avec eux les problématiques environnementales et climatiques.

Chercheurs sur l'île du Spitsberg

Ce que nous apprenons d’un point précis, le Spitsberg, peut servir de base à des projections plus vastes en termes d’espace et de temps. » Place ici à des considérations sérieuses. Florian Tolle ne cache pas que les bilans de masse glaciaire, qui témoignent de l’état de santé du glacier, continuent à se dégrader. « Ici comme ailleurs, les glaciers essaient de survivre dans un climat qui ne leur correspond plus. » Le glaciologue note que, si l’ensemble des glaciers du globe reculent, le phénomène est amplifié en Arctique, où la combinaison des circulations atmosphérique et océanique multiplie par deux ou trois les effets du changement climatique. « Les glaciers sont des sentinelles du climat, qui nous donnent un aperçu de ce qui est partout à venir. L’enregistrement des signes de leur évolution est très utile pour élaborer des projections à grande échelle. »

Glacier ultrasensible

Le glacier Austre Lovén perd en moyenne 1 % de sa masse totale en une année. Depuis trois ans, l’hiver très doux, avec des températures de 5 à 10° C au-dessus de la normale, provoque de fortes pluies en lieu et place des précipitations neigeuses susceptibles de se transformer en glace en amont du glacier. La fonte estivale se produit surtout en aval, et c’est la mesure de la différence entre les deux qui indique le bilan de masse glaciaire. La température moyenne de la région sur l’année est de – 5° C, une clémence relative due à sa situation océanique. Les minima sont de l’ordre de – 25 à – 30° C, et en été les températures peuvent atteindre 12 à 14° C. « Dans un tel contexte, les glaciers sont d’une sensibilité exacerbée aux variations de climat. » Tout peut changer très vite, il suffit par exemple d’une grosse tempête de neige pour limiter les dégâts d’une mauvaise année. Pourtant les tendances sont très claires, et ne font pas pencher la balance du bon côté.

Relevés systématiques

Prise de mesures du glacier Austre Loven sur l'île du Spisberg

La partie centrale du glacier est aussi la plus épaisse : 140 mètres. Les relevés, systématiques depuis onze ans, indiquent jusqu’à 3,50 m de perte d’épaisseur de glace en un an. Balises fichées dans la glace, radars, appareils photo automatiques ou encore drones, comme celui récemment financé par la Région Bourgogne – Franche-Comté pour établir des topographies de surface : les instruments et les techniques sont nombreux à traquer des informations qui alimenteront la base de données mondiale du World Glacier Monitoring Service (WGMS).
Au-delà du bilan et des comparaisons produites, les glaciologues tentent de déterminer les facteurs responsables des phénomènes observés ; leur influence peut être variable d’une année à l’autre. Outre les classiques, épaisseur et densité du manteau neigeux, précipitations, températures, succession des évènements climatiques…, ils collaborent avec des collègues français et étrangers afin d’intégrer d’autres paramètres comme la salinité et la turbidité de l’eau ou encore la morphologie sous-marine, dans des projets de recherche partagés avec des spécialistes de l’environnement côtier. Actuellement, les chercheurs bisontins sont parmi les rares scientifiques français à travailler sur les glaciers polaires.

La base scientifique d'où les chercheurs du laboratoire ThéMA mène leurs explorations au Spitsberg

La base Jean Corbel au Spitsberg

50 ans en prise directe avec l’Arctique

Île du Spitsberg, la plus grande de l’archipel norvégien du Svalbard. Les baraquements de la base de recherche émergent de l’immensité arctique à 5 km de Ny-Ålesund, localité la plus au nord de la Terre, ancien village minier désormais exclusivement fréquenté par des scientifiques en mission venus du monde entier. Fondée en 1963 par l’explorateur français Jean Corbel qui lui a donné son nom, la base est aujourd’hui gérée par l’Institut polaire Paul Émile Victor (IPEV). Les chercheurs du laboratoire ThéMA, secondés par des ingénieurs de l’Institut FEMTO-ST, y sont présents depuis la fin des années 1970. Les équipes successivement menées par Daniel Joly, Thierry Brossard et Madeleine Griselin ont accumulé, au fil d’un demi-siècle de travaux, des données inestimables sur l’évolution du glacier Austre Lovén : les relevés de terrain fournissent des éléments de connaissance que ne sauraient produire seules des observations effectuées par exemple par satellite, et leur longue antériorité fonde leur rareté.

Photos Florian Tolle
Contact(s) : ThéMA - UFC / UB / CNRS Florian Tolle - Tél. +33 (0)3 81 66 59 54 - florian.tolle[at]univ-fcomte.fr
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