Né de la passion pour un territoire et de la volonté de donner à ses habitants des clés pour mieux le comprendre, l’ouvrage Montagnes du Jura cache, sous des abords attrayants et très illustrés, une documentation fournie et une rigueur scientifique sans faille. Une façon inédite de rencontrer la géologie sur son terrain, en regard de paysages maintes fois traversés sans être vraiment vus…
Principalement composé de calcaires et de marnes, le substrat sédimentaire des terrains du Jura s’est formé au cours de l’ère secondaire en milieu marin. Exondé puis déformé au cours de l’ère tertiaire, il s’est couvert au quaternaire d’une pellicule superficielle et meuble d’altération, nourrie d’alluvions et d’éboulis, sur laquelle s’est fixée une végétation omniprésente. Seuls quelques affleurements de roches dures laissent deviner la nature d’un substrat pourtant constitutif de 98 % du volume des terrains ! Les escarpements naturels et les excavations artificielles comme les carrières ou les aménagements routiers révèlent cependant la structure du substrat jurassien. Calcaires gris ou beiges, riches en silice ou en dolomite, sièges de colonies de coraux ou empilement de blocs de boue carbonatée avoisinent des marnes massives ou feuilletées, teintées de noir lorsqu’elles contiennent des matières organiques, ou de rouge attestant une forte proportion d’oxydes de fer. La lecture de la diversité géologique est étonnante, l’interprétation passionnante. Elle s’organise dans une démarche stratigraphique, qui, à partir de l’inventaire successif des couches rocheuses, puis de la détermination de la présence de fossiles témoins, place la colonne stratigraphique ainsi obtenue localement sur une échelle de temps mondiale.
La géologie se lit aussi dans les produits nés de l’exploitation des terrains, un éclairage inattendu autant que captivant. Ainsi, la production du sel dans la région de Salins-les-Bains (39), dont l’exploitation industrielle exceptionnellement longue a duré du IVe siècle avant J.-C. jusqu’aux années 1960, provient d’une couche de sel gemme de plus de cent mètres d’épaisseur. Formant le soubassement de la vallée de la Furieuse, elle date de – 250 millions d’années, et ses réserves sont estimées inépuisables. Exploitée sur un front de 340 m de large et 42 m de haut, la carrière de Lantenne-Vertière fournit 94 % des marnes et des argiles nécessaires à la fabrication locale de tuiles, et la qualité de la matière, par exemple le taux de sulfure de fer, est régulièrement contrôlée pour assurer la meilleure production. Les vins de Château-Chalon doivent en partie leur terroir et leur réputation à un sol de marnes grises de la période jurassique
(-200 millions d’années), et à cette particularité que constituent les marnes feuilletées, fines lamelles millimétriques appelées aussi « schistes carton », laissant les racines s’implanter dans leurs interstices pour y puiser eau et sels minéraux.
Alluvions de la Seille et limons ruisselés depuis les pentes
C’est dans la seconde moitié de l’ère tertiaire, de – 35 à – 3 millions d’années, que s’est érigée la montagne du Jura selon le relief qu’on lui connaît aujourd’hui, sous la pression des forces tectoniques provoquées par la formation des Alpes. Plis, failles, fractures ont laissé les traces visibles et interprétables de sa naissance, puis les stigmates de son érosion. Conséquences directes d’une usure lente mais inévitable, les éboulements, glissements de terrain et ravinements modifient par ailleurs sa morphologie au fil du temps. Et au fil des pages, les exemples foisonnent… Baume-les-Messieurs représente la plus juste définition du terme de reculée, un caractère typique des paysages jurassiens. Vallée incisée dans un plateau calcaire à couches horizontales, la reculée se termine brusquement au fond d’un cirque en « cul-de-sac », au pied duquel jaillit une résurgence. À Besançon, depuis la colline de Bregille, on voit nettement la structure de l’anticlinal sur lequel est bâtie la Citadelle, accusant une pente de 20° sur son pan ouest, et de 45° sur son flanc est, plus vulnérable à l’érosion de par ses contreforts en marnes. Les calcaires des falaises sont datés de – 165 millions d’années. Lors d’épisodiques inondations du Doubs, la vallée de Morteau reprend son aspect de lac paléolithique qui existait encore il y a 2 000 ans et qui, depuis, s’est comblé d’une couche de sédiments pour former un espace plat et herbeux… Du bassin de Delémont aux moraines de Chalain, de la reculée d’Arbois à la grotte de Milandre (Suisse), ce livre invite à une promenade curieuse et enthousiaste. Nul doute que le lecteur redevenu visiteur emportera dans ses balades une autre façon de lire le paysage…
Fortement attachés à leur terre natale, les auteurs de Montagnes du Jura, géologie et paysages ont voulu à la fois partager leur passion pour un territoire et montrer la géologie sous un jour nouveau, aux antipodes d’une réputation parfois austère. Maître de conférences à l’université de Franche-Comté jusqu’en 1986, puis professeur à l’université de Bourgogne, Michel Campy, spécialiste de la géologie de surface, a été le directeur de thèse de Vincent Bichet, maître de conférences en géosciences et actuel responsable du master de géologie appliquée à Besançon. Les travaux de recherche de ce dernier concernant l’évolution climatique récente et l’impact de l’homme sur les systèmes sédimentaires le conduisent du Mexique au Groenland en passant par le Niger. Son enthousiasme pour le Jura n’en reste pas moins très vivace, et c’est en 2004, avec la complicité de Michel Campy, que germe le projet de ce livre.
Au terme de quatre années de recherches sur le terrain, de prises de vues depuis le ciel jurassien, de rédaction et de construction d’un ouvrage entièrement « fait maison », Montagnes du Jura, géologie et paysages est publié par Néo Éditions en septembre 2008 et se vend à trois mille exemplaires en huit mois. Fort de ce succès, le livre est réédité en mai 2009 à mille cinq cents exemplaires, bientôt épuisés. Une troisième édition, lancée en mai 2010, saura répondre aux attentes d’un public non spécialiste, mais curieux de nature.
Contact : Vincent Bichet
Laboratoire Chrono-environnement
Université de Franche-Comté
Tél. (0033/0)3 81 66 65 95