La sécurité routière est une question sensible qui appelle des explications et espère des solutions. Des modèles statistiques adaptés sont à l’origine d’une cartographie des accidents de la route et des facteurs de risques en Franche-Comté, un instrument d’aide à la prévention.
Si les mathématiques sont parfois encore vues comme une discipline strictement académique aux questionnements inaccessibles, la preuve de leur intérêt pour s’attaquer à des problématiques très concrètes se vérifie également chaque jour. Mieux informées et sensibilisées, notamment grâce aux opérations de communication proposées par le Laboratoire de mathématiques de Besançon (LMB) depuis plusieurs années, les entreprises et établissements publics de la région n’hésitent plus à soumettre leurs problèmes au prisme des maths.
Une thèse en analyse statistique porte actuellement sur la prévention des accidents de la route en Franche-Comté ; en collaboration avec la Gendarmerie nationale de Besançon, elle est menée par Cécile Spychala sous la direction de Camelia Goga et Clément Dombry au LMB, et financée par le Grand Besançon depuis 2 ans. « L’objectif est d’utiliser les données massives disponibles pour établir une cartographie spatiale et temporelle des accidents et des facteurs de risques, un outil utile à l’élaboration de stratégies de prévention », explique Camelia Goga. Réunir un nombre suffisant d’informations est une étape préalable à tout traitement mathématique, un travail colossal autant qu’indispensable. Recensement des accidents survenus entre 2005 et 2018, établissement d’une typologie de ces accidents, comptabilisation des flux de véhicules, caractérisation des voies de circulation, bilan de l’état des routes, analyse des conditions météo, relevés des densités de population, des zones commerçantes, des emplacements de radars…, une information en appelle une autre, et cette vaste collecte nécessite de recourir aux services de la préfecture, de la gendarmerie, de la police, de Bison futé ou encore de Météo France. L’ensemble de ces données donne lieu à une analyse multivariée permettant d’élaborer une prévision des risques en fonction de différentes variables explicatives.
58 352 accidents de la route ont été comptabilisés en Franche-Comté sur l’année 2018. Un chiffre en baisse de 4,7 % par rapport à l’année précédente, derrière lequel se cachent des disparités, notamment en ce qui concerne la gravité des atteintes corporelles liée à ces accidents. L’étude permet de confirmer certains ressentis et de mesurer la probabilité des risques de façon chiffrée. De façon globale, que les conséquences corporelles soient bénignes, graves ou mortelles, les accidents survenant en semaine ou le week-end se différencient par leurs caractéristiques au point qu’il est possible d’en élaborer des profils presque caricaturaux. En semaine, les accidents surviennent en journée, entre 11 h et 16 h, en agglomération, sur des routes communales, en ligne droite, à des intersections, et résultent d’une collision. Le week-end, les accidents surviennent plutôt le soir et la nuit, entre 20 h et 6 h, hors agglomération, sur routes courbes, sans collision avec un autre véhicule ou un obstacle, sont liés à la consommation de drogue ou d’alcool, et sont les plus meurtriers.
L’analyse des chiffres de la mortalité couplée aux variables explicatives montre que le risque d’accident mortel est multiplié par 2,76 en cas de consommation d’alcool, par 4,15 en cas de consommation de drogue, et par 5,93 lorsque les deux substances sont associées. L’analyse fine au niveau du territoire montre des caractéristiques par cantons. Par exemple, le canton de Besançon est celui où le plus de piétons sont heurtés, les cantons de Bethoncourt ou de Dole présentent le plus grand nombre d’accidents liés à la consommation de drogue, et le canton de Maîche compte peu d’accidents résultant de collisions. D’un point de vue départemental, le risque d’accident mortel est 2 fois plus élevé dans le Jura que dans le Doubs. Une quinzaine de facteurs explicatifs ont ainsi été dégagés et utilisés dans différents modèles statistiques, à la fois pour établir des bilans et élaborer des prédictions, autant d’informations utiles pour la prévention des accidents en Franche-Comté.
« Cette recherche illustre l’intérêt d’une démarche liée à l’exploitation statistique des données ; les entreprises savent qu’une structure de recherche telle que le LMB apporte une plus-value intéressante en termes de compétences et de moyens. » Le deep learning pour le traitement et la modélisation des données, le web scraping par lequel les logiciels effectuent une veille sur le net et extraient des informations pour enrichir les modèles statistiques, en sont des exemples. L’analyse statistique concerne aussi le traitement 3D pour la modélisation d’une pièce ou d’un procédé de fabrication dans le secteur industriel, l’estimation du volume de courrier acheminé par la Poste, la consommation d’énergie en France pour le déploiement des compteurs électriques Linky ou encore le traitement des données manquantes dans les enquêtes par sondages sur l’audience TV ou radio mesurée par Médiamétrie, autant de sujets ayant fait l’objet de recherches partenariales au LMB. L’objectif est d’employer les bons outils et de trouver la modélisation statistique adaptée à chacune des situations rencontrées.
La théorie des nombres, la modélisation statistique ou les équations aux dérivées partielles, qui figurent parmi les grands axes de recherche du laboratoire bisontin, sont convoquées pour traiter de sujets intéressant la sphère socioéconomique dans des domaines aussi variés que le traitement de surface ou l’économie financière. Pour favoriser les projets de recherche partenariale, les SEME, ou semaines d’études maths entreprises, sont un dispositif national favorisant l’échange entre les milieux industriels et le monde académique : les entreprises exposent leurs problèmes, les chercheurs et les étudiants disposent d’une semaine pour leur apporter des solutions à partir d’approches mathématiques innovantes. Des établissements de santé tels que le CGFL à Dijon et des grands comptes comme PSA, ENEDIS ou Thalès figurent parmi les « clients » reçus par le LMB lors de ces semaines de travail. Placé sous l’égide du CNRS, le réseau MSO (modélisation, simulation, optimisation), est quant à lui un guichet unique fonctionnant à l’année pour recevoir les demandes des entreprises et les orienter vers la bonne formule mathématique : statistique, probabilités, algèbre, analyse fonctionnelle, calcul scientifique…, nul besoin d’être un cador en maths pour s’adresser aux équipes du LMB et obtenir la réponse la plus appropriée à sa problématique.