Université de Franche-Comté

Médicaments : comment garantir un accès équitable

L'UniNe — université de Neuchâtel — pilote l'un des trois volets du programme européen « Access to pharmaceuticals » réunissant les spécialistes mondiaux de la santé publique autour de la question de la diffusion des traitements innovants dans les pays en voie de développement. À Neuchâtel et à Rio, au Brésil, l'équipe que dirige Daniel Kraus se penche sur la question des licences obligatoires et de la propriété intellectuelle, afin de permettre au plus grand nombre un accès aux médicaments sans remettre en cause la R&D des laboratoires.

 

 

Lorsque le droit est appelé à garantir un juste équilibre et à permettre une meilleure répartition des richesses, il remplit alors toute sa mission sociale. À l'université de Neuchâtel, au sein de l'Institut de droit de la santé (IDS) et du Centre de droit commercial, fiscal et de l'innovation (CCFI), des spécialistes en droit de la propriété intellectuelle planchent sur la question des licences obligatoires pour l'exportation de traitements contre différentes maladies, dans le cadre d'un plus vaste projet européen pour un accès équitable aux médicaments des pays en voie de développement. Ce projet ambitieux s'inscrit dans le 7e programme-cadre européen, bénéficie d'un budget de 1,75 million d'euros sur trois ans et réunit une vingtaine de spécialistes mondiaux, juristes, médecins, biologistes, chimistes ou pharmaciens.

 

Quand la loi participe à l'amélioration de la société

Professeur de droit de l'innovation à Neuchâtel, Daniel Kraus s'est spécialisé dans les questions des biotechnologies et de leur environnement juridique, et pilote, à ce titre, l'un des trois groupes de travail du projet. « L'accès aux traitements des pays en voie de développement est un sujet sur lequel je fais des recherches depuis plusieurs années ; il fait l'objet de négociations régulières dans les enceintes internationales, et d'un point de vue politique, il intéresse du monde, des ONG, des ministères de la santé », explique le professeur de droit. « La question relie le juridique au social, et pour cela est passionnante. Le juridique peut avoir une influence sur la société ».

 

Le premier groupe de travail du projet européen est chargé d'étudier la question des licences socialement responsables, et notamment des moyens d'incorporer certaines clauses assurant que les pays en voie de développement pourront aussi bénéficier des nouveaux produits. Le souci des chercheurs étant avant tout celui de l'équilibre. « Il s'agit d'un projet académique et non politique. Notre rôle est d'insuffler une analyse objective, scientifique, de rendre le débat factuel, un équilibre dans le système de propriété intellectuelle est nécessaire », confie Daniel Kraus. « Comment veiller à stimuler l'innovation, à ne pas la mettre en danger, tout en la rendant accessible au plus grand nombre, oui, c'est un peu la quadrature du cercle ».

 

La deuxième équipe travaille justement sur ces questions de stimulation de la R&D, sous l'angle des partenariats possibles. Comment encourager une recherche qui bénéficie aux pays en voie de développement, plus massivement touchés par des épidémies et des maladies (tuberculose, sida, paludisme, cancers) dont les traitements sont coûteux ? Comment assurer une meilleure coopération entre les différents acteurs publics et privés afin de développer des médicaments pour tous ?

 

 

Licences obligatoires, licences socialement responsables

 

faciliter l'accès aux médicaments innovants au niveau national et, depuis peu, également pour leur exportation. Il s'agit d'instruments juridiques développés par l'Organisation mondiale du commerce, mais aussi l'OMS ou l'ONU. Quant aux licences socialement responsables, au cœur des travaux du premier groupe de travail, elles ont pour objectif de permettre à l'industrie de financer ses recherches et d'amortir l'investissement tout en veillant à ce que l'aspect social (par exemple l'accès aux médicaments à prix raisonnables pour les pays en développement) soit assuré. Dans l'idéal, les licences devraient toutes être socialement responsables…

 

 

 

La question des licences obligatoires est étudiée par le troisième groupe de travail, piloté par l'UniNe. Là encore, si l'équilibre à trouver est délicat — et c'est l'enjeu d'un tel programme international — la problématique peut se résumer simplement : pourquoi ces licences obligatoires pour l'exportation sont-elles peu ou mal utilisées ? Que faut-il modifier dans ce système pour qu'il fonctionne ? Pour mieux aborder la question, l'UniNe travaille en collaboration avec l'Ozwaldo Cruz Foundation, un institut brésilien spécialisé en santé publique. « C'est lui qui avait bénéficié de la licence pour un produit générique d'un traitement du sida », confie le juriste suisse, dont l'équipe compte quatre personnes, auxquelles s'ajouteront des étudiants de la fondation brésilienne.

 

 

Crédit : Etablissements BRINKERINK

 

Crédit : Établissements BRINKERINK 

 

 

 

Le consortium ATP

 

Access to pharmaceuticals, ou ATP, c'est le nom de code choisi pour ce programme international de recherche que finance l'Union européenne. Pour le mener à bien, un consortium de partenaires publics et privés a été constitué, qui rassemble universités, fondations, instituts parmi les plus pointus au monde. À Neuchâtel, en Suisse, l'Institut de droit de la santé (IDS, département de l'UniNe) est parfaitement bien introduit auprès des agences gouvernementales qui l'ont fortement recommandé, en raison de son excellente maîtrise du sujet. À Londres, la St George's Medical School de l'université éponyme a ouvert en 1998 un institut de recherche sur les nouveaux vaccins, très actif dans le domaine des trois principales maladies infectieuses : le sida, la tuberculose et la malaria. À Rio de Janeiro, l'Ozwaldo Cruz Foundation (Fiocruz) fait office d'autorité en matière de santé publique. À Durban, en Afrique du Sud, le South African Medical Research Council (SAMRC) s'occupe, lui aussi, de santé publique, mais également de transfert de technologies et de propriété intellectuelle. Et à Séoul, en Corée du Sud, l'International Vaccine Institute (IVI) est le seul au monde à se consacrer exclusivement aux maladies affectant les pays en voie de développement. Une telle concentration d'experts et de matière grise pour mener un projet de nature philanthropique, c'est un très bon début…

 

 

 

Trouver des outils de propriété intellectuelle qui ne brident pas l'innovation

En tant que responsable de ce groupe de travail, Daniel Kraus va veiller au bon déroulement du programme. La première étape consistera à dresser un état des lieux des instruments juridiques et dispositifs d'accès aux soins existant au niveau international. À partir de là, les chercheurs devront établir un questionnaire à destination des agences gouvernementales, afin de savoir quels sont les blocages rencontrés et quelles solutions pourraient être envisagées. Troisième et ultime tâche de l'équipe : l'adaptation des instruments juridiques afin de permettre une meilleure diffusion des produits. « La propriété intellectuelle est un domaine où il faut toujours rétablir l'équilibre entre titulaires des droits et utilisateurs. Dans le cas qui nous occupe, c'est le plus flagrant. En même temps, l'industrie pharmaceutique n'est pas une industrie philanthropique. Notre but ultime, c'est que les produits bénéficient à la société dans son ensemble. L'intérêt à long terme prime. D'ailleurs, depuis une dizaine d'années, les laboratoires de R&D se rendent bien compte qu'ils ont un rôle important à jouer dans les pays en développement et que cela est également dans leur intérêt. Les licences socialement responsables, qui démarrent aux États-Unis mais sont bien plus rares en Europe, pourraient alors être un instrument d'avenir ». 

 

 

Contact : Daniel Kraus

Institut de droit de la santé

Université de Neuchâtel

Tél. (0041/0) 32 718 12 52

 

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