Se soigner par les plantes… Si le concept est tendance dans nos sociétés, il est développé dans d’autres cultures depuis la nuit des temps, comme en Inde, en Chine, en Amérique du Sud ou en Afrique, où les plantes constituent la base de la fascinante médecine traditionnelle. Derrière les principes actifs qui donnent au curcuma le pouvoir de guérir les plaies ou au curare celui de détendre les muscles, se cachent des molécules que les industries pharmaceutiques des pays développés utilisent pour commercialiser des médicaments aux effets thérapeutiques identiques à ceux des plantes originelles. La recette n’est pas nouvelle, notre arsenal thérapeutique classique s’inspirant en grande partie des propriétés de végétaux divers et variés. Elle pose ici la délicate question du droit à appliquer en termes de propriété intellectuelle.
Dans sa thèse en droit de la santé qu’elle prépare à l’université de Neuchâtel, Leila Ghassemi dresse un bilan de la situation juridique prévalant autour de cette problématique. « La question se heurte d’emblée à la notion d’innovation, qui caractérise le dépôt d’un brevet : c’est ce critère que le législateur retient, le médicament mis au point s’avérant être une nouveauté. » Mais les lois sur les brevets stipulent aussi que l’invention ne doit pas avoir été divulguée avant le dépôt, faute de quoi elle tombe dans le domaine public. « Or les pratiques de la médecine traditionnelle ont toujours été partagées par les communautés concernées, transmises et relayées dans de nombreux documents jusqu’à nos sociétés, par exemple grâce aux ethnologues. » Dès lors, ces savoirs ne devraient-ils pas être considérés comme publics ?
Rhizome et poudre de curcuma
Leila Ghassemi souligne les efforts faits ces dernières années pour permettre aux uns de bénéficier de ces bienfaits thérapeutiques sans pour autant léser les autres. Le Protocole de Nagoya signé en 2014 n’est pas le seul traité international de référence en la matière, mais il est le premier à imposer une demande de consentement aux populations autochtones, approuvant par là même leur droit à l’information et au respect de leur culture. Certains pays reconnaissent à ces communautés le droit au partage des bénéfices financiers générés par la commercialisation de produits thérapeutiques dont ils sont au départ les véritables inventeurs. Ainsi la Suisse s’est positionnée dans ce sens, elle a inscrit un article spécifique à sa loi sur les brevets, ce qui est loin d’être anodin quand on sait l’importance et la puissance de son industrie pharmaceutique. Par ailleurs, l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle réfléchit à l’obligation d’indiquer l’origine des savoirs ancestraux dans tout dépôt de brevet, faute de sanction. « Les lois sont très disparates et en général récentes. Pour que les savoirs et les avantages qui en découlent soient partagés équitablement, les efforts déjà consentis par les États en matière de droit veulent converger vers un projet de traité international. » Un vrai défi, à relever en tenant compte à la fois des exigences des textes régissant les droits de l’Homme, le droit de l’environnement ou encore le droit de la propriété intellectuelle…