Sans commune mesure avec les événements parisiens, Mai 68 a cependant secoué les murs de l’université en Suisse. À Neuchâtel, les discussions relaient les manifestations pour bousculer l’ordre établi et repenser l’enseignement.
Parti de France, le mouvement étudiant de mai 1968 gagne la Belgique, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, … La Suisse est également prise dans le tourbillon de ses idées. À Neuchâtel, l’adhésion au mouvement est immédiate. Manifestations et sittings s’organisent pour exprimer la solidarité des étudiants avec leurs camarades de toute l’Europe, et pour faire entendre leurs propres revendications. « Cependant, la tournure des évènements ne prendra pas une dimension aussi dramatique qu’en France », raconte Laurent Tissot, enseignant et chercheur à l’université de Neuchâtel, qui apporte ici son point de vue d’historien1. Neuchâtel n’a connu ni émeutes, ni interventions musclées de la police ou de l’armée. « Le Mai 68 neuchâtelois n’est nullement comparable à celui de Paris ou d’autres grandes villes européennes », confirme Dominique Chloé Baumann dans son ouvrage paru à l'occasion du centième anniversaire de l’université de Neuchâtel2, alors qu’elle y occupe un poste de collaboratrice scientifique en sciences humaines. Moins nombreuses, moins violentes qu’ailleurs, laissant de la place à la discussion, les manifestations n’en expriment pas moins de fermes revendications en faveur d’une profonde transformation de l’organisation de l’université, du contenu et de ses méthodes d’enseignement. Se défendant d’être une « bande de trublions cherchant le désordre », comme les qualifie le recteur de l’époque, les étudiants veulent faire valoir leur droit à la participation dans les affaires de l’alma mater. « Ici comme ailleurs, la hiérarchie universitaire est ébranlée, les rapports entre enseignants et étudiants changent, et vont évoluer vers plus d’ouverture et d’écoute », témoigne Laurent Tissot.
L’université en Suisse connaîtra des réformes majeures. Cependant le mouvement se limite pour l’essentiel à la sphère académique, et ne touche que très peu le monde ouvrier. « La conjoncture en Suisse à cette époque est très favorable. Seules des manifestations ponctuelles sont organisées dans quelques entreprises en difficulté. »
On le sait, Mai 68 est reçu de façon très contrastée ; il peut être lu de nombreuses manières, autant qu’il a connu d’interprétations. Laurent Tissot pour sa part retient combien, très vite, la crise de 1973 oppose sa dure réalité économique aux idéaux de 1968. « Les valeurs véhiculées par le mouvement n’ont pas pu se transmettre et perdurer à l’intérieur de l’Université. La conjoncture économique, la globalisation, la mondialisation lui imposent de s’adapter, de proposer des formations et d’adopter des positions qui vont à l’encontre des valeurs de Mai 68. »
Cinquante ans après les évènements, Laurent Tissot délaisse un instant sa casquette d’historien pour jeter un œil vers le futur, se demandant si, dans un autre genre, « les transformations apportées par le numérique dans notre société n’auront pas des conséquences plus marquées que Mai 68 sur l’Université et les enseignements qu’elle dispense ». Attention, une révolution peut en cacher une autre…
1 Laurent Tissot participera au café scientifique Mai 68 vu des pavés neuchâtelois, organisé le 16 mai à Neuchâtel, où de nombreux autres événements commémoratifs sont prévus toute l’année.
2 Baumann D., L’université de Neuchâtel, 1909-2009. Former, chercher, transmettre, innover. Éditions Alphil, 2009