Université de Franche-Comté

Magie retrouvée pour un tellurium du XIXe siècle

Pouvoir observer le mouvement des planètes autour du Soleil est un rêve que les horlogers ont mis à la portée de tous en créant des planétaires, des représentations animées du système solaire. Ce tellurium du début du XIXsiècle est un bijou technique et artistique qu’une équipe de la Haute Ecole Arc vient de restaurer, dans le plus grand respect de la création originale.

 

Les planétaires sont des dispositifs mécaniques animés représentant tout ou partie du système solaire en 3D. À l’intérieur de cette famille d’objets dont le prestige le dispute à l’intérêt pédagogique, le tellurium, du latin tellus, la Terre, concerne les mouvements de la seule planète Terre autour du Soleil, éventuellement accompagnée de son satellite, la Lune, comme c’est le cas du tellurium créé au début du XIXsiècle par un horloger de La Chaux-de-Fonds, François Ducommun (1767-1837). Présenté au musée d’ Art et d’histoire de Neuchâtel à partir de 1923 après avoir fait partie d’une collection privée, l’objet est retiré des vitrines après plusieurs décennies d’exposition, en raison des dommages que lui ont infligé le temps et de multiples manipulations. Il a été confié aux bons soins de spécialistes de la Haute Ecole Arc Conservation-restauration, qui depuis plusieurs mois assurent sa remise en état dans le respect de sa conception originelle. Une mission passionnante, placée sous la responsabilité de Tobias Schenkel, et un cas d’école pour les étudiants du master Objets scientifiques, techniques et horlogers.

 

Le tellurium après restauration

Suivre le mouvement des astres

Objet astronomique avant tout, le tellurium est aussi un système mécanique complexe, comptant cinq complications horlogères différentes. Il est abrité dans un globe évoquant la sphère céleste, s’ouvrant en deux le long de son diamètre horizontal, d’une cinquantaine de centimètres. Le retrait du « couvercle » laisse apparaître le dispositif, installé au fond de la demi-sphère inférieure. Le mécanisme horloger est chapeauté par les éléments qu’il est chargé d’animer. Une impulsion mécanique entraîne axes, roues et pignons pour mettre en scène les mouvements des astres dans une fascinante chorégraphie.

Au centre, une boule de laiton brillante figure sans équivoque le Soleil, malgré une dimension bien inférieure à celle de la Terre, placée comme il se doit en orbite autour de lui, et qui tourne également sur son axe de rotation incliné. Faite d’ivoire, la Lune tourne à l’intérieur d’une demi-coque en laiton noirci, laissant apparaître successivement ses quartiers et sa face pleine, ou la faisant disparaître, en fonction de sa révolution autour de la Terre.

Si les proportions et les distances ne peuvent évidemment être respectées dans une telle représentation miniature, les angles le sont, et l’animation du dispositif est explicite, montrant la révolution de la Terre autour du Soleil, les phases de la Lune, ses positions ascendante ou descendante, racontant les saisons, les éclipses, les constellations… Les mois de l’année et les signes du zodiaque sont inscrits sur la lunette cerclant la demi-sphère, et les heures sont indiquées sur un cadran placé à l’extérieur : les positions et mouvements des astres s’affichent en fonction du calendrier, un système à remettre à jour tous les quatre ans pour tenir compte des années bissextiles.

« À l’origine, le dispositif était commandé par une manivelle placée sur le cadran, explique Tobias Schenkel. Dans les années 1960, le tellurium a été équipé d’un moteur électrique, et un bouton de commande a remplacé la manivelle. L’idée était de restaurer l’objet selon cette configuration. Mais après restauration du mécanisme et remise en état du moteur, le tellurium tournait à une vitesse trop grande, ce qui n’était pas agréable à observer et surtout problématique du point de vue de l’usure du mécanisme ». L’équipe a donc proposé à M. Lüscher, conservateur du musée, de privilégier une remise en fonction purement mécanique, telle que conçue au départ par François Ducommun. Toutes les pièces retirées ou ajoutées lors de cette opération ont fait l’objet d’un inventaire et marquage scrupuleux. Des plans ont été réalisés et des photographies prises pour conserver la mémoire de la version motorisée. « Il est fondamental de conserver la trace des évolutions que le tellurium a connues et de pouvoir témoigner des restaurations passées. » Le mécanisme horloger a retrouvé sa place au fond de la sphère, dont il avait été surélevé pour pouvoir installer le moteur, et le Soleil a retrouvé sa position d’origine au milieu de la sphère céleste. Des modifications tout sauf anodines pour le fonctionnement d’un dispositif aussi précis.

 

Restauration de A à Z

Le tellurium avant restauration

La restauration engagée concerne toutes les pièces composant le tellurium : réfection du mécanisme horloger avec des pièces et selon le savoir-faire de l’époque, nettoyage des éléments en laiton ternis par le temps, restauration du papier habillant la Terre de ses continents et océans… Le vernis jauni sur la sphère bleue a été retiré, et après comblement des lacunes et retouches, l’ensemble de la surface extérieure a fait l’objet d’un nouveau vernissage. « Du réglage des pièces d’horlogerie à la reprise des surfaces vernies, cet objet concentre tout ce que nous sommes amenés à étudier dans le cadre de notre formation », remarque Étienne von Gunten, étudiant en master.

Et le travail ne s’arrête pas là : il s’agit à présent d’organiser le retour du tellurium dans les vitrines du musée. Avec une particularité : le public pourra à nouveau actionner le mécanisme à l’aide d’une manivelle pour mettre en œuvre et suivre les mouvements de la Terre et de la Lune, depuis l’extérieur de la vitrine. Pour éviter que le mouvement d’horlogerie soit sollicité d’une façon trop intense, un système à embrayage assure la sécurité du mécanisme.

La mise en valeur de l’objet représente un autre challenge. Il s’agit de montrer le mécanisme sans pour autant amputer la sphère de sa moitié supérieure. La solution retenue est la mise en suspension de ce « couvercle » grâce à trois fils invisibles, dont la capacité en termes de poids et de résistance a soigneusement été étudiée. Le travail a été mené en concertation permanente avec l’équipe du musée neuchâtelois, qui a fourni de nombreux documents d’époque utiles à une restauration fidèle à la création de François Ducommun. Le tellurium pourra prochainement à nouveau être admiré au musée. Il est l’un des chefs d’œuvre scientifiques et artistiques nés de l’essor combiné des techniques en horlogerie et des connaissances en astronomie de l’époque.

 

Photos : Tobias Schenkel, HE-Arc
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