Université de Franche-Comté

Lucien Febvre, une vision personnelle de l’histoire devenue universelle

 

« L’histoire se fait avec des documents écrits, sans doute. Quand il y en a. Mais elle peut se faire, elle doit se faire, sans documents écrits, s’il n’en existe point. Avec tout ce que l’ingéniosité de l’historien peut lui permettre d’utiliser pour fabriquer son miel, à défaut des fleurs usuelles. Donc avec des mots. Des signes. Des paysages et des tuiles. Des formes de champ et des mauvaises herbes. Des éclipses de lune et des colliers d’attelage. Des expertises de pierres par des géologues et des analyses d’épées en métal par des chimistes. En un mot, avec tout ce qui, étant à l’homme, dépend de l’homme, sert à l’homme, exprime l’homme, signifie la présence, l’activité, les goûts et les façons d’être de l’homme. ¹ »
Cette phrase montre, non sans poésie, l’innovation dont fait preuve Lucien Febvre (1878-1956) dans la conception qu’il a de l’histoire : se nourrir d’autres connaissances que l’étude traditionnelle des textes, ouvrant la voie bien avant l’heure à l’interdisciplinarité, et être au plus proche de la vie des hommes tels qu’ils vécurent par le passé, balayant la vision figée, descriptive et abstraite de l’histoire qui domine alors. Pour lui, la discipline historique travaille sur la « pâte humaine » et il entend bien le montrer.
L’ouvrage Lucien Febvre face à l’histoire propose de revenir sur l’œuvre fondatrice du grand historien et sur les convictions qui l’animent, alors même que l’intérêt que lui porte la sphère scientifique est aujourd’hui encore contrasté. Il souhaite montrer autant Febvre acteur de l’histoire de son temps qu’acteur de la pensée de l’histoire, de la construction de la matière historique.

Important corpus d’archives

Sous la direction des historiens Marie Barral-Baron et Philippe Joutard, cette publication reçoit les contributions de plusieurs spécialistes et s’appuie sur un vaste corpus d’archives souvent inédites pour offrir un regard nouveau sur celui qui, en 1929, créa la revue Les annales d’histoire économique et sociale avec le médiéviste Marc Bloch, diffusant les idées de ce qui deviendra le principal courant de pensée historique du XXe siècle, L’École des annales.
Le livre explique comment Lucien Febvre estime « inconcevable de penser un homme sans envisager son époque », et ce que signifie « l’histoire des idées » pour lui qui entend « recomposer la mentalité des hommes d’autrefois, se mettre dans leur tête, dans leur peau, dans leur cervelle pour comprendre ce qu’ils furent, ce qu’ils voulurent, ce qu’ils accomplirent ² ». L’ouvrage raconte aussi la violence de la guerre à laquelle l’homme est confronté, son engagement de socialiste militant et le milieu intellectuel qui fut celui de sa jeunesse ; il explique la conception qu’a le professeur de l’enseignement de l’histoire, analyse son œuvre et la façon dont elle est perçue au-delà de nos frontières. Il n’oublie pas de revenir sur l’attachement profond et sincère de Lucien Febvre à la terre comtoise. Une terre dans laquelle il a choisi de reposer pour l’éternité puisqu’il est enterré à Saint-Amour, village dans lequel il possédait une maison. C’est ainsi en hommage autant au « prince de l’histoire », comme le qualifiait son disciple Fernand Braudel, qu’à l’illustre Comtois que le Laboratoire des sciences historiques de l’université de Franche-Comté a adopté le nom de Centre Lucien Febvre en 2017. (Voir l’article paru dans en direct n°269)

¹ Febvre Lucien, « Vers une autre histoire », Revue de métaphysique et de morale, no 3-4, 1949 / 58, p. 225-247, repris dans Febvre Lucien, Combats pour l’Histoire, op. cit., et dans Febvre Lucien, Vivre l’Histoire, op. cit., p. 365
² Febvre Lucien, Combats pour l’Histoire, publié dans Vivre l’Histoire, op. cit., p. 100

 

Barral-Baron M., Joutard P., Lucien Febvre face à l’histoire, Presses universitaires de Rennes, 2019
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