Université de Franche-Comté

Lourdes, les coulisses du miracle

Et si le sanctuaire de Lourdes avait été créé par nécessité politique autant que par conviction religieuse ? L’extraordinaire mouvement de foule provoqué par les visions de Bernadette Soubirous pose très vite problème aux autorités et oblige à prendre des mesures d’encadrement. Un constat rétrospectif que livre une recherche en sociologie dans les archives du plus célèbre lieu de dévotion catholique français.

 

 

1858 – À Lourdes, Bernadette Soubirous et ses visions, puis les déclarations des premières guérisons dites miraculeuses attirent un public toujours plus nombreux. À tel point que chacun des mouvements de foule prend des allures d’événement et inquiète jusqu’aux plus hauts niveaux de l’administration impériale, encore sensible au souvenir d’épisodes révolutionnaires douloureux. La foule fait peur, elle menace l’ordre public et doit être canalisée. Parallèlement, le jugement rendu en 1862 par l’évêque de Tarbes, reconnaissant « l’authenticité des apparitions » et de certaines guérisons, veut donner un sens et un caractère plus orthodoxe au rassemblement spontané de milliers de personnes à l’entrée d’une grotte, en un lieu désert. L’organisation des premiers pèlerinages ne permet-elle pas de contrôler cette foule ?

 

 

Des acteurs de premier plan

C’est en accédant aux archives du sanctuaire que Laetitia Ogorzelec étaye sa thèse de sociologie. Les événements qui marquent la ville de Lourdes en 1858 sont considérés sous le regard d’acteurs mis pour la première fois sur le devant de la scène, commissaire, maire, préfet, procureur, ministres, ecclésiastiques… « La circulation des rapports et des comptes-rendus, l’enchevêtrement des échanges entre les institutions administratives et religieuses montrent à quel point le processus est complexe et rend ces acteurs hésitants et incertains. »

 

 

Extrait de R. Laurentin, Lourdes. Documents authentiques, P. Lethielleux, Paris, 1957

 

Extrait de R. Laurentin, Lourdes, Documents Authentiques, P. Lethielleux, Paris, 1957 

 

 

Dans le cadre de cette stratégie d’encadrement des événements s’inscrit, en 1883, au sein même du sanctuaire de Lourdes, la création d’une instance médicale chargée de contrôler les revendications de guérisons miraculeuses. Pour garder toute crédibilité, l’Église appuiera ses décisions sur l’expertise scientifique et incontestable de la médecine. Le Bureau médical, chargé de statuer sur la réalité, la persistance et le caractère inexplicable d’une guérison, selon des critères de jugement rigoureux, est considéré comme une véritable « police des miracles ». Pour donner une idée de son effet filtrant, il suffit de rappeler que, depuis 1858, les autorités médicales de Lourdes ont enregistré un peu plus de 7 000 déclarations de guérisons, qu’environ 2 000 d’entre elles ont été estimées « inexplicables en l’état des connaissances médicales », mais que seulement 68 ont été officiellement reconnues « miraculeuses » par l’Église, dont la dernière, toute récente, date du 11 octobre 2012.

 

 

Vers une nouvelle définition du miracle ?

L’analyse des dossiers des miraculés permet à Laetitia Ogorzelec d’accéder « à la porte dérobée du miracle en train de se faire ». Courriers, témoignages, expertises médicales et rapports ecclésiastiques sont autant d’éléments qui montrent comment les médecins et les prêtres ont forgé leur jugement, justifié leurs décisions et parfois opéré un consensus pour qualifier une guérison de miraculeuse. Aujourd’hui, l’évolution des maladies et les progrès de la science se conjuguent au caractère relativiste de la médecine, à qui il est devenu difficile d’affirmer le caractère à la fois inexplicable et définitif d’une guérison comme par le passé. Plus que le prodige organique, le miracle s’attache au salut de l’âme. Bien-être et paix intérieure sont les nouvelles réponses aux attentes des pèlerins.

 

 

Contact : Laetitia Ogorzelec

LASA — Laboratoire de sociologie et d’anthropologie

Université de Franche-Comté

Tél. (0033/0) 3 81 66 53 39

 

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