Université de Franche-Comté

L’innovation sur le terrain des sciences sociales

La société est un terrain d’investigation privilégié pour des sciences telles que la sociologie bien sûr, la psychologie, la géographie, l’histoire, l’ethnologie ou encore l’économie, pour ne citer qu’elles. Un terrain immense, que ces disciplines quadrillent de leurs recherches et balisent de leur action. Les enjeux de société sont multiples. L’aménagement du territoire, l’information et les nouvelles technologies, le vieillissement de la population en sont quelques exemples…

  

 SOMMAIRE

Ville, terre et industrie : un territoire à recomposer

Agriculture en mal de sens

La ville cultive ses friches industrielles

Informer et éduquer, des responsabilités collectives

L’école est-elle en phase avec l’innovation sociale ?

La vidéosurveillance en question

L’information au risque de la technologie

Pyramide des âges en reconstruction

Penser la vieillesse autrement

Continuer à apprendre

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Ville, terre et industrie : un territoire à recomposer

À la ville comme à la campagne, l’aménagement du territoire est une question cruciale pour l’avenir, et se doit de s’inscrire dans une démarche de développement durable. Le territoire peut aussi se révéler fédérateur et créer ses propres valeurs…

Agriculture en mal de sens

 

Côté jardin, la situation apparaît paradoxale. D’un côté les agriculteurs, peut-être comme jamais auparavant, ont à donner une dimension environnementale et sociétale à leur activité, de l’autre ils se sentent confinés dans un rôle d’exécutant, sans réel moyen de s’approprier des décisions souvent mal perçues car « venues d’en haut ».


Jérémie Forney est ethnologue à l’université de Neuchâtel. Il vient de déposer un projet ambitieux auprès du Fonds national suisse, qui a répondu de façon très positive à sa démarche en lui accordant un budget substantiel de 1,5 million de francs suisses pour quatre ans. « Le constat est que les agriculteurs subissent une double pression. Celle des marchés, avec des mesures comme l’instauration ou la levée de quotas, et celle de nouveaux dispositifs en faveur de l’environnement, qui ne sont pas toujours en phase avec leur expérience et leur savoir-faire. L’objectif de notre projet est de constituer de nouveaux modes de connaissances, de les porter à un niveau collectif, pour redonner du sens aux pratiques. »


L’étude prend quatre directions, chacune suivie par un chercheur en ethnologie : la Nouvelle-Zélande, où l’agriculture est très libérale, la Suisse, où elle est à l’inverse très régulée, la Grande-Bretagne, où elle se situe entre deux, et enfin l’Europe pour une étude de dispositifs à caractère transnational. Avant de passer aux études de terrain proprement dites, une analyse des politiques environnementales et des outils mis au service de ces politiques permettront d’apprécier le contexte. L’agriculture n’est pas seule en ligne de mire : le projet considère l’ensemble de la filière agroalimentaire, de la production jusqu’à la distribution. « L’idée sous-jacente est de reconnecter les pratiques agricoles et la dimension alimentaire, dans la logique de développement durable qui prévaut aujourd’hui. » Le recensement et l’évaluation des pratiques donneront matière à l’élaboration de recommandations à l’attention des décideurs et feront d’ici là l’objet d’échanges permanents entre les chercheurs et le grand public. « En Suisse, différents projets de loi vont être discutés dès 2016 puis soumis au vote pour décider des orientations futures de la politique agricole », rappelle Jérémie Forney. Un contexte favorable à une étude qui arrive à point nommé pour nourrir la réflexion citoyenne et politique.

Tracteur dans un champ

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La ville cultive ses friches industrielles


Côté cour, la ville est incitée à tirer profit de son propre potentiel pour assurer son développement et éviter d’empiéter sur les terres agricoles. La reconversion du patrimoine industriel s’inscrit dans cette logique, et donne lieu à des réalisations de premier plan sur des sites désaffectés ou en fin d’exploitation. Les volumes et les structures offerts par d’anciennes usines sur le territoire urbain se prêtent à l’aménagement de bureaux, de logements ou encore d’équipements culturels. Dans la sphère politique, l’objectif économique est rejoint depuis une dizaine d’années par le souhait de sauvegarder la mémoire des lieux et de leur histoire.


Marina Gasnier est spécialiste de l’histoire des techniques et du patrimoine industriel à l’UTBM. Elle explique qu’à Belfort, avec une activité économique se développant sur cent hectares en plein coeur de la ville, le site de Techn’hom est un modèle de reconversion. « L’une de ses spécificités est qu’il est toujours occupé par ALSTOM, seule entreprise dont le secteur d’activité industrielle original fut conservé sur le site. Dans les années 1990, sous l’impulsion des collectivités locales, la place laissée vacante lors de la fermeture de BULL a donné lieu à l’implantation de bâtiments universitaires et à de nouvelles entreprises, telle GENERAL ELECTRIC au tournant du XXIe siècle. » L’ensemble s’ouvre désormais sur la ville, la mobilité douce y est favorisée avec des moyens de transport qui se prolongent jusqu’en son coeur.

Dans la région, le cas fait école comme à Grandvillars, où LISI AUTOMOTIVE et SELECTARC tirent un parti actualisé des forges du XVIIe siècle qui ont vu naître leur activité. « Les biefs et les canaux qui alimentaient alors les machines ont été mis au jour et intégrés au paysage architectural des ateliers reconvertis ; ils apportent une formidable plus-value au site et aux employés. »

Les anciennes forges de Grandvillars reconverties

Vue générale d’un des ateliers des anciennes Forges
de Grandvillars reconverti pour accueillir le siège social
de LISI. Au premier plan, le bief a été dégagé dans le cadre
de l’aménagement paysager du site. Marina Gasnier, 2015

Marina Gasnier se félicite que les préoccupations économiques et historiques se rejoignent. Elle insiste sur l’importance que revêtent ces lieux emblématiques pour une ville ou une région, et qui leur donnent « une identité particulière, une histoire spécifique à faire valoir ». Partant d’études qu’elle réalise pour le compte du ministère de la Culture et de la Communication à la charnière des années 2000, puis de 2008 à 2011 sur les politiques publiques engagées par l’Inventaire général, Marina Gasnier poursuit aujourd’hui son chemin sur le terrain, à la rencontre des acteurs concernés et de leurs difficultés. « Il existe une vraie méconnaissance de l’architecture industrielle qui invite à une analyse poussée des matériaux et de la tenue mécanique de ces édifices. Sciences historiques et sciences de l’ingénierie sont donc amenées à croiser leurs compétences dans une phase opérationnelle pour une meilleure préservation patrimoniale en lien avec les défis de notre temps, dont l’efficacité énergétique. »

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Urbi et orbi

Le DUT Carrières sociales de l’IUT de Belfort-Montbéliard propose depuis 2006 une option Gestion urbaine, et dispense à une soixantaine d’étudiants une formation transversale, au carrefour des métiers du social et des politiques de la ville. Des cours d’ethnologie, de sociologie, de sociologie urbaine, de psychologie, de géographie urbaine, de cartographie et d’aménagement urbain constituent la moelle épinière d’un enseignement résolument tourné vers la compréhension des problèmes de société, qui rejaillissent sur les territoires et leurs particularités.

« Le croisement des compétences apportées par les sciences humaines permet d’élaborer des outils pour intervenir dans la gestion d’une ville en tenant compte de sa réalité territoriale et sociale », explique Frédéric Moulène, enseignant à l’IUT, spécialiste en sociologie du langage et en sociologie urbaine. Par exemple, savoir comment les individus nouent des rapports à l’espace urbain donne des clés pour améliorer l’offre d’un réseau de transport public ; le diagnostic d’un territoire social apporte des éléments de compréhension des problèmes de genre rencontrés par une population adolescente…

La gestion urbaine n’hésite pas par ailleurs à s’égarer dans les chemins de campagne. Frédéric Moulène a notamment encadré un travail de stage consacré à la valorisation du patrimoine bâti d’un village du Nord Franche-Comté en 2015. Le sujet ? Créer des circuits forestiers reliant les ruines de châteaux et autres vestiges du Moyen Âge un peu oubliés sur le territoire. Derrière l’objectif touristique annoncé se profile une dimension sociale des plus intéressantes : « aménager des sentiers de randonnée, faciliter l’accès à des monuments mal connus, distiller des connaissances historiques, tout cela crée du lien social entre les habitants, et confère une identité particulière au village qu’il leur sera possible de s’approprier ».

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Informer et éduquer, des responsabilités collectives

Apporter de la connaissance, échanger, avoir un regard sur le monde, se connaître…, l’information est plus que jamais au coeur des échanges sociaux. Son évolution est conditionnée par celle des nouvelles technologies, pour le meilleur ou pour le pire.

L’école est-elle en phase avec l’innovation sociale ?

Spécialiste de psychologie sociale et culturelle à l’université de Neuchâtel, Anne-Nelly Perret-Clermont participe à des recherches dans les camps de réfugiés d’Afrique de l’Est, qui rappellent combien l’école est une source de dignité, et l’instruction une valeur. Pour les enfants des pays les plus favorisés comme pour les enfants vivant dans le plus grand dénuement, Anne-Nelly Perret-Clermont estime que « l’école, pour assumer ses devoirs à l’égard de la société, doit apprendre aux élèves l’exercice de l’esprit critique, c’est-à-dire à réfléchir de façon argumentée à des problèmes réels, et leur donner la possibilité de devenir pleinement acteurs de la société en commençant dès leur plus jeune âge à contribuer à son bien-être ».

Pour la psychologue, le soutien au développement de l’esprit civique, constructeur de la vie sociale, passe par la façon dont l’enseignement se fait : respect des personnes, qualité des relations, réalisation de projets d’équipe, expérience de la complémentarité des apports, maturation socioaffective permettant de gérer les conflits, prise d’initiatives et exercice de responsabilités…

Groupe d'écoliers

Photo l'Obs

« Au moins la moitié de la population scolaire souffre de dévalorisation et de sentiment d’impuissance, assène la psychologue. Le fonctionnement quotidien de l’école, ici comme ailleurs, est source d’humiliations qui laissent des traces
indélébiles, font le lit du populisme et sont génératrices de conflits. » Anne-Nelly Perret-Clermont n’hésite pas à employer le terme de « blessés de l’école » pour qualifier ces élèves que le système rejette peu à peu, de note en note, de redoublement en déclassement, sans que l’on en prenne la mesure ou que l’on en ait conscience. La solution réside pour elle dans la mise en place de nouvelles pratiques pédagogiques, offrant aux élèves l’occasion de créer, construire, planifier, réaliser, tout en apprenant à réfléchir de façon critique au travail de leurs mains et de leur esprit, et à comprendre la finalité et le sens de ce qu’on leur demande de faire. « Pour cela, il faut que le travail des élèves apporte une réelle contribution à la collectivité dans laquelle ils vivent. »

Sur le terrain, Anne-Nelly Perret-Clermont a pu constater que la recette fonctionne, même dans les situations les plus dramatiques et avec le peu de moyens qui les accompagnent. « Il existe des initiatives locales très intéressantes, qui un jour pourront se généraliser, des îlots de pratiques qui sont autant de réservoirs de compétences dans lesquels il sera possible de puiser. Mais pour l’instant, l’école n’est pas prête, elle se perd dans une survalorisation de l’abstraction au lieu de favoriser l’analyse de l’action. » Former les enseignants dans ce sens et garantir que l’école maintiendra son rôle de protection de l’enfance seront les deux conditions essentielles pour changer.

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La vidéosurveillance en question

Dire que l’information, celle qui vient de la société, fait l’objet de la plus grande attention, est un euphémisme en ces temps troubles. Les caméras de surveillance se multiplient, comme dans le « quartier rouge » de Genève, où elles sont elles-mêmes sous surveillance pour les besoins d’une étude menée par Francisco Klauser et Raoul Kaenzig, géographes à l’université de Neuchâtel. L’étude prévoit de mesurer l’impact du dispositif, qui fournit des images en continu, une première dans cette ville. Combinant méthodes qualitatives et quantitatives, elle s’intéresse non seulement à l’évolution de la criminalité dans ce quartier, mais aussi au ressenti des personnes concernées. Après le dépouillement de 1 200 réponses à un questionnaire largement diffusé et l’épluchage de statistiques policières, l’équipe de chercheurs a poussé ses investigations sur le terrain, effectuant des rondes avec les policiers, discutant avec les gens du quartier, passant des entretiens auprès des habitants, des dealers, des prostituées, des opérateurs contrôlant les caméras…

« À mi-parcours de l’étude, on peut dire que les résultats en termes d’efficacité préventive sont comparables à ceux donnés dans d’autres études : on observe une légère diminution de la criminalité préméditée, comme les cambriolages, mais pas d’effet sur les actes impulsifs comme les bagarres de rue, explique-t-il. Ce qui apparaît en revanche de façon très nette, c’est que les dealers, et avec eux le problème de la drogue, se déplacent vers le quartier voisin. La question est maintenant de savoir si cette situation va se confirmer sur le long terme. »

caméra de surveillance dans un quartier de Genève

Les enseignements de l’étude se limitent pour l’instant à cet aspect de prévention de la criminalité. La mesure de l’intérêt du dispositif de vidéosurveillance sur les volets plus opérationnels, visant à utiliser les images pour des interventions sur le terrain ou pour les besoins des enquêtes, nécessitera encore du temps. Quant au ressenti des gens et à la vie du quartier, « on observe une légère augmentation du sentiment de sécurité chez les habitants, surtout la nuit. Les habitudes du quartier et sa fréquentation n’ont pas fait l’objet de changements notables ». Au terme de deux ans d’investigations, les géographes remettront les conclusions d’une enquête sensible, sur un sujet polémique, au canton de Genève commanditaire du projet.

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L’information au risque de la technologie

Les nouvelles technologies, désormais complètement parties prenantes de la collecte et de la diffusion de l’information, suscitent l’engouement autant que la méfiance. Les producteurs d’information entendent ne pas subir les nouvelles technologies, mais souhaitent travailler de ma nière concertée et constructive avec ceux qui les créent, comme le soutient l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’université de Neuchâtel. Centre d’enseignement et de recherche unique en Suisse, L’AJM assure sa double mission de formation au journalisme et d’étude du journalisme en lien direct avec les principales entreprises de médias de Suisse romande.

L’Académie du journalisme et des médias, tout comme son confrère l’Institut du management de l’information, vient de rejoindre le réseau Global Alliance For Media Innovation (GAMI). Une initiative de l’Association mondiale des journaux et des éditeurs de médias d’information (WAN-IFRA), dont l’objectif est de s’affirmer quant à l’utilisation des nouvelles technologies par les médias. « Le projet va dans le sens de la concertation et veut mettre en lien les réflexions et les expériences isolées », explique Annik Dubied, directrice de l’AJM, qui poursuit : « Notre centre est en Suisse un interlocuteur privilégié entre les chercheurs, notamment ceux qui font l’innovation technologique, et les professionnels qui s’en servent et s’en accommodent au quotidien ». La compréhension des besoins des uns et des autres est indispensable pour assurer la bonne tenue des productions de contenus, et par là même défendre les intérêts de la société civile. Une optique de coopération en bonne intelligence, qui conditionne aussi la qualité et l’adéquation de la formation des futurs journalistes et cadres employés dans les médias.

L’AJM propose ainsi un Master of Arts en journalisme et communication, une formation de haut niveau en constante adaptation avec les évolutions des technologies et des médias, et dont l’interdisciplinarité dépasse les limites du domaine des sciences sociales. « Les journalistes se posent beaucoup de questions quant à leur mission par rapport à la société. L’information emprunte de nombreux canaux qui ne sont plus forcément journalistiques », rappelle Annik Dubied. Réunir les acteurs de l’information, des médias et des technologies autour de telles problématiques pourrait aider à répondre au mieux aux nouveaux enjeux de l’information dans la société.

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Pyramide des âges en reconstruction

L’OMS estime que la population âgée de plus de 60 ans a doublé dans le monde depuis 1980, et que cette population, comptant actuellement 65 millions de personnes, atteindra deux milliards en 2050. Un constat qui pose inévitablement la nécessité de reconsidérer la société sous un nouveau jour… et la vieillesse aussi.

Penser la vieillesse autrement

« Jeunes vieux », « vieux vieux » : la vieillesse se limite à une représentation souvent binaire dans nos sociétés occidentales. Il y a ceux qui « vieillissent bien », restent actifs, s’engagent dans des associations, cultivent un bronzage de bon ton, bref, qui sont en conformité avec les normes du jeunisme dominantes. Et puis il y a ceux qui connaissent des difficultés pour se mouvoir, sont atteints par la maladie, s’isolent d’une société qui préfère cacher leur fragilité. « Vieillir est valorisé dans d’autres pays, alors que notre société est très « adulto-centrée » et ne donne que peu de place à la vieillesse » témoigne Virginie Vinel, socioanthropologue à l’université de Franche-Comté.

Deux personnes âgées se promènent avec l'aide d'un déambulateur et d'une canne

Selon Tania Zittoun, psychologue socioculturelle à l’université de Neuchâtel, l’occident a l’idée fortement ancrée depuis le XVIe siècle que la vieillesse a pour seul synonyme le mot déclin. « L’être humain naît, grandit, puis atteint sa maturité. La suite n’est qu’un long déclin. Si ce schéma correspond à une certaine réalité, il oublie ce qu’apporte la vieillesse, comme l’expérience de vie et la mémoire du passé, des atouts sur lesquels il convient de s’appuyer pour voir la vieillesse autrement. » « Et ainsi lui donner la possibilité d’adopter d’autres manières de fonctionner », renchérit Magalie Bonnet, psychologue à l’université de Franche-Comté, qui souligne que « ces représentations ont force d’autorité sur le fonctionnement des personnes âgées elles-mêmes ».

Le modèle des années 1960 – 1970 donnait la retraite comme un marqueur fort de l’entrée dans la vieillesse. Ce modèle laisse place dans les années 1980 – 1990 à celui de la vieillesse triomphante, calquée au maximum sur les valeurs de la jeunesse et de la performance, et qui fait courir le marathon aux octogénaires. Un concept largement véhiculé par la publicité. « Il faut sortir de ce schéma piégeant, qui renforce la vulnérabilité des personnes âgées les plus fragiles », assènent les psychologues.

Être en continuité avec les autres et avec sa propre vie apparaît essentiel. Apprendre à utiliser les nouvelles technologies quand cela s’avère possible permet d’apprendre et de rester en phase avec le monde, de suivre les pas de ses petits-enfants, de communiquer avec eux.

Dans une étude tout juste démarrée au Centre de recherche en psychologie socioculturelle de l’université de Neuchâtel, Antonio Iannaccone s’intéresse justement à la relation des grands-parents avec les nouvelles technologies, et insiste sur la notion de développement tout au long de la vie. « L’évolution psychologique est continue, et il existe des potentialités chez les personnes âgées qui méritent d’être encouragées plutôt qu’ignorées. » Les préjugés nous disent que les personnes âgées ne sont pas capables de relever le défi du numérique. L’étude, elle, montre à l’inverse que beaucoup ont le désir d’apprendre et s’en donnent les moyens, grâce à la complicité des petits-enfants, du cercle d’amis ou de connaissances, voire au suivi de cours pratiques.

« Les nouvelles technologies sont souvent envisagées pour les personnes âgées comme un soutien, une compensation à ce qu’elles ne peuvent plus faire, c’est le cas de la domotique, souligne Antonio Iannaccone. Nous souhaitons que s’engagent de nouvelles réflexions à partir de nos conclusions ». L’étude qui vient de démarrer est menée en collaboration avec les associations des grands-parents de Lausanne et de Neuchâtel. Elle se propose de mettre en évidence les moyens de communication utilisés par les personnes âgées et dans quel cadre, et de voir comment une bonne utilisation de ces ressources peut améliorer leurs relations avec les jeunes générations. Elle vient d’obtenir l’un des cinq prix attribués cette année par la Fondation Leenaards à des projets de recherche questionnant la qualité de vie des plus de 65 ans.

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Coordonner les recherches et le terrain

La double casquette d’Isabelle Moesch lui permet d’être très au fait des questions de vieillissement. Enseignante-chercheuse en sociologie à l’université de Franche-Comté, Isabelle Moesch est également chargée de mission au Pôle de gérontologie interrégional (PGI). « L’Institut régional du vieillissement, créé en 2002 à Besançon, n’existe plus sous cette dénomination, mais sous le nom de PGI auquel il a été intégré en 2015. Il concerne désormais la grande région Bourgogne – Franche-Comté », précise-t-elle.

La sociologue se place à l’interface entre l’université et les institutions, et son travail se nourrit des enseignements de l’une et des autres. « Les manques observés sur le terrain et la demande des acteurs du champ de la gérontologie m’ont conduit à proposer la création d’une nouvelle formation à l’université », explique-t-elle à titre d’exemple. La licence professionnelle Administration et encadrement du service à la personne voit le jour à l’UFR SJEPG (Sciences juridiques, économiques, politiques et de gestion) à la rentrée 2012, animée par des universitaires et des professionnels. Les étudiants sont largement impliqués dans des études et des enquêtes de terrain, réalisées pour le compte ou avec le partenariat d’institutions comme l’Agence régionale de santé (ARS) ou la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV).

L’une des dernières en date, menée par le PGI et les CHRU de Besançon et de Dijon, est à l’origine de la création d’un outil prédictif de la fragilité des personnes âgées non dépendantes. Il s’agit d’évaluer, à l’aide de nombreux critères, leur risque de dépendance à court terme, afin de mieux l’anticiper. Ce dispositif fera l’objet d’une cohorte de suivi de quelque trois cents retraités sur trois ans, et devrait se généraliser au niveau national ; conjointement, un projet de création de formation dédiée à l’évaluation des besoins à domicile des retraités est en cours à l’UFR SJEPG.

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Continuer à apprendre

Les spécialistes s’accordent à donner une place essentielle à l’apprentissage, qui peut revêtir bien des formes. L’entrée dans une structure d’accueil pour personnes âgées fournit une occasion insoupçonnée d’apprendre. « De l’extérieur, nous percevons négativement une configuration qui impose un espace restreint et des règles de vie en communauté contraignantes. Mais une recherche récente montre que, une fois passé le premier temps d’adaptation, les personnes âgées font preuve de créativité pour s’approprier ce nouvel espace de vie et réinventer leur vie quotidienne, ce qui est vécu de façon souvent positive. Il est important de considérer les choses avec le regard de ces personnes et pas seulement le nôtre », souligne Tania Zittoun.

Une mamie et un enfant goûtent ensemble

Se remémorer des voyages ou des scènes de la vie passée, photos à l’appui, non pas pour cultiver la nostalgie, mais « pour relire son expérience avec un regard actuel », est aussi un enseignement. Apprendre à maintenir des liens apparaît fondamental. Et possible même pour des personnes atteintes d’Alzheimer, comme le montre une étude récente supervisée par Magalie Bonnet. « Des animations mettant en scène un chien ont été réalisées dans le cadre d’un atelier dans une institution spécialisée. L’expérience montre que, grâce à la présence de l’animal, les personnes entrent en contact, se parlent, alors qu’elles ne communiquent absolument pas lorsqu’elles sont habituellement en groupe.

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La silver mobilité en marche

Le concept émerge peu à peu en France et la filière de la silver économie se structure pour répondre par l’innovation aux besoins des plus 60 ans. La mobilité en est une des questions centrales, sous la dénomination logique de « silver mobilité ». Comment développer des moyens de déplacement adaptés à une population vieillissante, et dont les difficultés s’accroissent au fur et à mesure que s’allonge l’espérance de vie ?

Enseignante et chercheuse en économie à l’UTBM, Fabienne Picard fait partie d’un réseau de recherche réunissant quelque quarante économistes autour des innovations en faveur des plus âgés. « Certains s’intéressent, sous l’impulsion de la Chaire Transition Démographique, aux « géront’innovations », ainsi qu’ils les ont dénommées, et qui concernent des solutions d’innovation, non seulement technologiques, mais aussi organisationnelles et commerciales développées pour cette population. » La notion de mobilité sous-tend bien d’autres dimensions que le transport ou le déplacement au sens strict. Elle considère « l’individu dans son projet de déplacement » et non le seul déplacement, et à ce titre renvoie à des notions sociales et psychologiques à prendre en compte dans le développement de la silver mobilité.

Les seniors, hormis la marche à pied, voire le vélo, qu’ils pratiquent en associant ces modes de déplacement à la notion de santé, sont très attachés à leur voiture personnelle, synonyme de souplesse et de disponibilité, quand les transports en commun leur apparaissent contraignants et peu confortables. Outil de contact autant que de déplacement, la voiture est un vecteur de lien social. « Comprendre mieux ce que signifie et ce qu’implique la mobilité des seniors permet de mieux envisager les réponses des géront’technologies, explique Fabienne Picard. Celles-ci ne se limitent pas à mettre en oeuvre des dispositifs et des astuces techniques pour faciliter l’utilisation des outils de mobilité tels que la voiture. Elles se tournent aussi vers une amélioration des infrastructures et vers d’autres formes d’organisations sociales de la mobilité, plus adaptées aux personnes âgées. »

Pour en savoir plus : Géront’innovations : Trajectoires d’innovation dans une économie vieillissante, éditions Peter Lang, 2016.

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Vers un accompagnement personnalisé

Une infirmière discute avec une personne agée

photo Mutualité française Rhône-Alpes

Se garder de généraliser les situations et de systématiser les solutions constitue l’un des ressorts de l’action des sciences humaines et sociales. « Connaître les populations, comprendre les dispositifs d’aide, qui sont différents d’une région à une autre, d’une institution à une autre » est primordial dans le travail de Virginie Vinel.

L’intervention des chercheurs est fortement sollicitée par les acteurs de terrain. Les colloques, les journées organisées sur le vieillissement et sur le travail des aidants se multiplient, notamment en Bourgogne – Franche-Comté où l’existence du Pôle de gérontologie interrégional (PGI) donne une véritable longueur d’avance à la région. « Les proches, qui apportent leur soutien quotidien à une personne malade ou en perte d’autonomie, les soignants et les travailleurs sociaux connaissent des situations particulières, alors que les dispositifs sont pensés de manière globale. » Faire l’expertise des différents groupes d’aidants et de leurs situations est un préalable à la mise en place d’actions adaptées. L’analyse des pratiques dans les institutions permet d’avancer sur le terrain de l’échange entre les personnels et les proches, qui parfois ne se rencontrent qu’au moment du décès de la personne.

La « cohorte des aidants » est une étude de suivi de l’intervention de ces personnes impliquées au quotidien, et de leurs difficultés sur une durée de cinq ans. Démarrée en septembre dernier, portée par le PGI, elle est menée en collaboration avec différents laboratoires de recherche en sciences humaines et le CHRU de Besançon. Les collaborations deviennent d’ailleurs plus actives avec les services médicaux. « Un projet est en cours avec le service gérontologie du CHRU de Besançon, raconte Magalie Bonnet, il mettra nos compétences scientifiques en lien avec celles des métiers de la santé pour étudier le désir de mort chez les personnes âgées vivant dans une structure d’accueil, en France et en Suisse ».

Branches d'arbres

Aménagement du territoire, information et nouvelles technologies, vieillissement de la population représentent quelques-uns des champs d’investigation de nos chercheurs en sciences humaines et sociales. Bien d’autres exemples de leur engagement et de leur action vis-à-vis des enjeux de société sont à rechercher dans nos établissements… et dans les pages de en direct.

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Contacts :

Université de Franche-Comté

Magalie BonnetLaboratoire de psychologie – Tél. +33 (0)3 84 66 54 72

Frédéric MoulèneIUT Belfort-Montbéliard – Département Carrières sociales

Isabelle Moesch / Virginie Vinel – Laboratoire de Sociologie et d’Anthropologie – LASA

Université de technologie de Belfort-Montbéliard

Marina Gasnier / Fabienne PicardLaboratoire IRTES-RECITS – Tél. +33 (0)3 84 58 31 82 / 31 43

Université de Neuchâtel

Annik DubiedAcadémie du journalisme et des médias – Tél. +41 (0)32 718 14 74

Jérémie ForneyInstitut d’ethnologie – Tél. +41 (0)32 718 16 05

Antonio Iannaccone / Anne-Nelly Perret-Clermont / Tania Zittoun
Institut de psychologie et éducation
Tél. +41 (0)32 718 18 50 / 18 56 / 19 89

Raoul KaenzigInstitut de géographie – Tél. +41 (0)32 718 17 96

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