Université de Franche-Comté

Plantes et insectes, l’imagination au pouvoir

Même les plus inventifs des scénaristes peuvent se faire damer le pion par la nature : la créativité dont font preuve les plantes et les insectes pour développer les interactions qui leur permettent de vivre dépasse l’imagination. Démonstrations avec l’ouvrage Histoires surnaturelles, des récits que la caution scientifique autorise à croire…

 

Des textes courts, efficaces, maniant l’humour aussi bien que le contenu scientifique, des photos superbes et chargées de sens… La composition en mots et en images des Histoires surnaturelles racontées par Gregory Roeder et Stéphane Hette est magnifiée par une mise en page remarquable ; elle fait de cet ouvrage un bonheur de lecture pour qui se passionne pour la vie des plantes et des insectes, et même pour qui ne se sentirait que tièdement intéressé par le sujet.

Il faut dire que le propos est étonnant, il porte sur les interactions entre spécimens des mondes végétal et animal, comme l’indique le sous­-titre Alliances, ruses et stratagèmes entre plantes et insectes. Bienvenue dans une dimension occulte, entre processus naturels et scénarios de science-fiction…

Gregory Roeder est professeur de biologie à l’université de Neuchâtel, ce qui ne l’empêche pas d’être sportif accompli et alpiniste, des activités qui l’autorisent à pousser son goût de l’exploration et de l’observation de la nature jusqu’à l’extrême. Stéphane Hette est photographe, et ses clichés de fleurs au style épuré, rappelant l’art floral japonais, lui valent une renommée internationale. Leurs connaissances et compétences se combinent parfaitement dans ce livre destiné à un large public.

 

 

Interactions créatives

Vivre, survivre et se reproduire, voilà des motivations primaires qui engendrent des interactions cruciales entre les organismes, des comportements guidés par des composés chimiques que Gregory Roeder étudie au Laboratoire de recherches fondamentales et appliquées en écologie chimique de l’université. « L’être humain, grand amateur de catégorisation, a d’abord décrit les organismes à sa portée et selon certaines modalités discutables : les dangereux, les utiles, les beaux, les laids, les bizarres, les petits, les minuscules, probablement dans cet ordre. Il faut attendre des siècles, ou des millénaires c’est selon, pour que les organismes soient considérés dans un contexte fonctionnel, en lien avec leur environnement puis avec les autres espèces qui le peuplent. Cet angle d’observation est pourtant, et de loin, le plus excitant qui soit. » L’auteur rappelle l’impérieuse nécessité pour ces organismes de composer avec un environnement sans cesse mouvant.

Les vingt histoires surnaturelles proposées dans cet ouvrage donnent d’éclatantes illustrations de la diversité des moyens mis en œuvre par les espèces pour s’adapter et évoluer, selon une créativité sans limites. On est ainsi, comme ses proies, scotché par la façon dont la grassette commune, qui porte bien mal son qualificatif, attrape mouches et moucherons sur ses feuilles à la manière d’un ruban adhésif pour les ingérer, un comportement de plante carnivore sous des airs faussement sages… N’est pas moins impressionnante la façon dont le buis émet des odeurs particulières lorsqu’il est attaqué par la pyrale, afin d’appeler en renfort une minuscule guêpe parasite qui va pondre ses œufs sur ceux du ravageur : les premiers vont dévorer les seconds, ce qui permettra au buis de limiter les dégâts que réussit à causer la pyrale à ses feuilles en un temps record. Et comment ne pas être sidéré par les pouvoirs de l’araignée-crabe, ou thomise variable, capable de changer de couleur de façon tellement subtile et ingénieuse pour se fondre dans un décor végétal et tromper ses proies, que les facultés du caméléon font pâle figure en comparaison… De page en page, l’étonnement guette le lecteur qui se plonge dans ce livre dédié à la puissance créatrice de la nature et à son observation par la science.

 

« Blanche, verte, jaune, brune, la thomise n’a besoin que d’une rotation du globe terrestre sur lui-même pour trouver le temps à l’ajustement de son Pantone de coloris. Pour ce faire, elle joue sur le type, la quantité et le positionnement de pigments jaunâtres. Certains sont excrétés, d’autres synthétisés, plusieurs migrent entre les couches profondes ou superficielles des tissus de l’animal. Le camouflage thermo-optique qui fait vibrer les fans de films d’action futuristes existe bel et bien et la nature en détient le brevet. »

 

Roeder G., Hette S., Histoires surnaturelles. Alliances, ruses et stratagèmes entre plantes et insectes, éditions de la Salamandre, 2022
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