2,5 millions de personnes1 sont concernées par l’illettrisme en France. Dérangeante, cette réalité suscite la réflexion et invite à l’action. En Franche-Comté, deux initiatives apportent leur pierre à l’édifice et montrent deux façons de considérer le problème. Pour des solutions complémentaires ?
Tout le monde sait bien que Charlemagne n’a pas inventé l’école. Celle que nous connaissons aujourd’hui avec ses différents cycles d’enseignement nous viendrait de l’Antiquité grecque. Le modèle aurait traversé les siècles avec, entre autres points communs, l’apprentissage par cœur d’un corpus de textes, de l’Iliade de la première heure aux plus grands auteurs du XXe siècle. La fin des années 1960 marque l’abandon de cette règle d’enseignement. Les années 1970 voient apparaître l’illettrisme, au sens où les mots se déchiffrent, mais sont incompris. Coïncidence ?
Enseignant en français et chercheur au Centre Lucien Tesnière de l’université de Franche-Comté, Yves Bordet croit en tout cas aux vertus de la littérature. Il explique que la langue française, développée au Moyen Âge et fixée dans ses règles par l’Académie en 1635, transmet au fil des siècles un langage pérenne, qu’il a identifié à travers l’étude d’un corpus de textes : 1 500 mots pour comprendre l’essentiel du français, et que l’on retrouve en proportion la plus forte dans la littérature, entre tout autre écrit. D’où l’idée de recréer un corpus de textes « idéal », comme base et soutien à l’apprentissage du français.
L’application Doxilog est en cours de développement, et pour une partie aujourd’hui active sur internet. Elle permet d’évaluer la difficulté d’un texte et de l’associer à un niveau d’apprentissage en français langue maternelle ou langue étrangère. « L’application donnera accès au corpus littéraire et aux biographies des auteurs, par écrit et sous forme vidéo en plusieurs langues : reste à réunir les fonds nécessaires… », explique Daniel Dubray, président de l’association Doxilog, en charge du développement du produit. « Internet est un outil formidable pour le rendre accessible facilement, gratuitement, et partout », commente Yves Bordet.
C’est justement la révolution engendrée par les TIC qui amène le sociologue Christian Guinchard à considérer l’illettrisme selon un autre point de vue. « Lire, écrire, compter ne sont plus les seuls paramètres pour parler d’illettrisme, qui aujourd’hui renvoie à d’autres compétences. Les pratiques professionnelles ont changé, et il est de plus en plus nécessaire de recourir à internet pour les démarches du quotidien. Les TIC ajoutent au désarroi de toute une génération qui n’a pas grandi avec, et se retrouve démunie et seule devant un écran. » À l’inverse elles jouent en faveur des plus jeunes, qui en connaissent la logique et le fonctionnement sur le bout des doigts.
Le serious game Imagana se sert de ce contexte. Mis au point par la société bisontine FORMAGRAPH, il est un moyen ludique d’apprentissage du français, dans lequel le joueur associe lettres, syllabes et chiffres pour bâtir les éléments qui lui permettront de sauver les survivants d’un peuple imaginaire. Une enquête menée par les sociologues du LASA de l’université de Franche-Comté pour le lancement du jeu montre que les personnes éloignées de l’écriture et de la lecture sont cependant bien équipées en matériel numérique. L’ordinateur sert d’outil de recherche d’informations pratiques, le jeu restant du ressort de la console. Les chercheurs ont livré leurs recommandations pour favoriser la promotion d’Imagana. « Les panneaux publicitaires ou encore les prospectus, qui sont des médias « lisibles » même sans une bonne maîtrise de la langue, apparaissent de bons vecteurs de communication, la télévision également », expliquent Simon Calla et Lucie Cros, doctorants au LASA, qui ont réalisé l’enquête.
L’illettrisme au sens originel du terme ou considéré dans une dynamique technologique sans cesse changeante : les deux visions, au-delà des outils qu’elles déclinent, ont des atouts pour enrichir l’une et l’autre la réflexion et lutter contre ce problème de société.
1 Chiffres Agence nationale de lutte contre l’illettrisme.
Contact : Yves Bordet
Université de Franche-Comté
Tél. (0033/0) 3 81 66 53 00
Université de Franche-Comté
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