L’ordinateur quantique ? Bien du chemin reste à parcourir avant qu’il prenne place sur nos bureaux… Cependant, la physique théorique avance à grands pas sur le sujet. L’une de ses pistes les plus prometteuses concerne l’utilisation, comme supports d’information, d’éléments aimantés accrochés aux noyaux des atomes, les spins.
En informatique, performance et miniaturisation vont de pair : plus ses composants sont petits, plus un ordinateur est puissant. Mais en-dessous du seuil fatidique de 50 nm, auquel nous parvenons aujourd’hui, les lois de la physique quantique se substituent à celles de la physique classique, et ouvrent la porte à un autre monde, défiant l’imagination et les connaissances, où tout doit être réinventé. Les scientifiques travaillent à l’ordinateur du futur, pour lequel la technologie du silicium serait abandonnée au profit de composants à base d’atomes, de photons ou de spins, les trois voies les plus explorées dans la recherche de supports d’information pour l’ordinateur quantique.
À l’Institut UTINAM, David Viennot se concentre sur les spins, qu’il définit comme « les plus petits éléments d’aimantation existant dans la matière ». Fixé sur le noyau d’un atome, un spin agit comme une boussole : il indique une direction et son opposé, en fonction du champ magnétique auquel il est soumis. Cet état binaire le rapproche naturellement de la structure d’un bit, l’unité d’information des systèmes informatiques actuels, composé de deux valeurs, pour l’essentiel les chiffres 0 et 1. Également binaire, le qbit est l’homologue du bit pour les systèmes quantiques.
L’idée est de faire passer les spins d’un état à l’autre sous l’influence d’un champ magnétique, afin qu’ils réalisent les calculs complexes assurant le traitement de l’information. En modélisation comme en pratique, les spins sont faciles à manipuler, tout comme les matériaux ferromagnétiques qui les abritent. Leur nature binaire favorise la maîtrise de leur sensibilité à la « décohérence », qui regroupe les perturbations susceptibles de gêner le fonctionnement des systèmes quantiques et d’empêcher l’accès à l’information. Les principes posés, il s’agit désormais de faire réaliser aux spins une opération de calcul, puis une autre, jusqu’à ce que celles-ci forment un programme de traitement de l’information. Il faut pour cela trouver les « portes logiques » correspondant à chacune de ces opérations, c’est-à-dire déterminer des paramètres comme l’angle ou la force d’application du champ magnétique sur les spins afin qu’ils adoptent les comportements voulus.
Pour y voir un peu plus clair, David Viennot a élaboré un programme pour visualiser ces scénarios sous forme graphique. Pour la première fois, la préfiguration d’une porte logique se dessine sur écran, laissant apparaître à la fois la représentation de la décohérence et le comportement du spin selon les variations du champ magnétique. « Ces résultats montrent qu’il est possible de produire des outils graphiques et de rendre concrète une approche qui, il y a deux ans encore, n’était que théorie spéculative », raconte le chercheur.
« Géométrie de catégories », l’expression n’est que peu utilisée par les chercheurs, d’ailleurs peu nombreux de par le monde à s’intéresser à ce domaine émergent des mathématiques. Depuis une dizaine d’années, cette géométrie d’un nouveau genre s’intéresse davantage à définir les règles de construction d’un objet qu’à la construction même de cet objet. De telles règles d’assemblage sont en effet inédites, elles permettent par des biais détournés de s’affranchir du phénomène de décohérence, voire de l’utiliser pour mener à bien le traitement de l’information quantique (cf. en direct n° 243, juillet-août 2012). « Ma démarche se situe au croisement des besoins de la physique et des ressources des mathématiques », explique le chercheur, qui assure que « la physique de l’avenir a besoin de ce genre de géométrie ».