Elle ouvre la porte à des créations qu’on croyait réservées à la science-fiction : l’impression 4D rend possible la conception d’objets capables de se métamorphoser ou d’évoluer par eux-mêmes, sans intervention humaine. Enseignant-chercheur en mécanique à l’ICB /UTBM, Frédéric Demoly est l’un de ceux qui transforment la fiction en réalité, et portent l’impression 4D au plus haut niveau scientifique.
Imaginez une cuiller pour bébé qui vire au rouge lorsque les aliments sont trop chauds. Ou une veste de sport étanche qui laisse passer l’air quand l’averse est finie. Ou, plus difficilement concevable, votre break qui se réduit aux dimensions d’une mini lorsque, les enfants une fois déposés à l’école, vous vous garez en ville. Ou encore, un médicament qui libère ses substances actives à retardement, par exemple dans l’intestin qu’il est chargé de soigner plutôt que dans l’estomac… Les exemples peuvent se décliner à l’infini, dans tous les domaines. S’ils sont pour la plupart encore des projections d’avenir, ils n’appartiennent déjà plus au domaine du rêve ou de la fantaisie : l’impression 4D saura bientôt créer ceux dont la société a besoin.
Née voilà tout juste dix ans, l’impression 4D est une technologie encore émergente, mais elle gagne rapidement du terrain. La récente nomination de Frédéric Demoly, enseignant-chercheur en mécanique à l’ICB /UTBM, à une chaire Innovation de l’Institut universitaire de France (IUF), en apporte la confirmation. « Cette distinction montre que l’impression 4D mérite d’être investiguée, qu’elle est un domaine scientifique d’avenir. C’est une reconnaissance des risques que nous prenons en recherche depuis plusieurs années, et une marque de confiance sur ce que nous voulons faire pour la science et pour la société. »
Impression 3D + matériaux intelligents + énergie = impression 4D. L’équation ainsi posée est une façon simple d’énoncer une problématique qui l’est, on s’en doute, beaucoup moins. Mais c’est bien la mise en forme de matériaux par impression 3D qui donne naissance à des objets susceptibles d’évoluer dans leur forme ou dans leurs propriétés, par eux-mêmes. La condition ? Qu’ils soient soumis à une énergie, que cette énergie leur soit interne ou qu’elle provienne de l’extérieur. Ici pas de capteurs ni d’actionneurs, ni d’intervention humaine : l’objet réagit par lui-même à une stimulation énergétique, grâce aux matériaux réactifs dont il est composé. C’est ainsi que la veste de sport change de propriété selon l’humidité ambiante, que le véhicule se replie à la manière d’une canne à pêche télescopique quand il est délesté du poids de plusieurs occupants, ou que la délivrance du médicament est contrôlée dans le temps.
De tels matériaux sont connus, ce sont des polymères/alliages à mémoire de forme susceptibles de retrouver leur état initial après déformation, des hydrogels capables de s’étendre ou de se contracter au contact de l’eau, des élastomères à cristaux liquides aux comportements réversibles… « Le concept de la 4D s’apparente au biomimétisme. La nature est évolutive et adaptative : l’idée est d’exploiter, comme elle, les changements d’énergie induits par la lumière, l’humidité, la chaleur… », explique Frédéric Demoly. Pour être intelligents, ces matériaux n’en sont pas moins imparfaits ; ils affichent des limites en termes de propriétés mécaniques, qui restent l’apanage des matériaux classiques. La stratégie de recherche adoptée par l’équipe de l’ICB est de combiner différents types de matériaux pour déboucher sur des compromis intéressants, entre capacités de transformation et robustesse mécanique.
L’impression 4D est au carrefour de nombreuses disciplines, physique, chimie, génie des procédés, ingénierie, robotique, science des matériaux… Frédéric Demoly et son équipe s’emploient à considérer la technologie qu’ils développent selon le point de vue du concepteur, qui a besoin d’en avoir une vision globale. « Nous sommes aujourd’hui à un moment charnière. Il nous faut monter en maturité pour atteindre la phase industrielle et assurer la pérennité des procédés explorés. » Plusieurs briques technologiques comprenant machine d’assemblage des matériaux, logiciels de programmation et instruments de simulation sont d’ores et déjà au point, et deux demandes de brevets nationaux ont récemment été déposées : des avancées prometteuses, issues de recherches financées par l’État au titre du Programme investissement d’avenir (PIA3), des Programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR) et par le CNRS.
La mise au point de nouveaux matériaux et procédés ne va pas sans questionnements associés. Les chercheurs s’attachent à évaluer les risques éventuels liés au processus de fabrication à chacune de ses étapes, privilégiant le cas échéant les solutions les plus sûres et garantissant la protection des opérateurs. D’un point de vue environnemental, la technologie intègre à son cahier des charges des exigences fortes pour le désassemblage, la réutilisation et le recyclage des matériaux imprimés.
L’impression 4D a été inventée aux États-Unis en 2013, par des équipes du MIT et de l’université du Colorado à Boulder, dont le chercheur Jerry Qi est le plus éminent représentant. L’impression 3D est, elle, née trente ans plus tôt à l’université de Lorraine, en 1984 exactement ; le directeur de recherche Jean-Claude André est l’un de ses co-inventeurs. Depuis des années en lien avec ses deux confrères et leurs équipes, Frédéric Demoly est le troisième sommet d’un triangle basé sur une association solide et fructueuse. La collaboration s’étend aujourd’hui sous forme d’actions structurantes avec des départements de recherche voisins à l’ICB, avec d’autres laboratoires tels que l’Institut FEMTO-ST et avec des groupes de recherche dont des réseaux commencent à se constituer à l’international. Dans ce contexte, la nomination de Frédéric Demoly à l’IUF est un label qui porte le chercheur au rang de porte-parole du domaine de l’impression 4D en France.