À quoi pense-t-on lorsqu'on évoque les microsystèmes ? À de tout petits dispositifs, à peine visibles à l'œil nu, intégrés dans nos objets du quotidien, capables de relever une température, une pression, une accélération, de détecter un gaz, et capables de transmettre ou de réagir à une information ? À la Wii, aux téléphones portables et leurs appareils photos, aux capteurs de pression intégrés dans les pneus des nouvelles voitures ? Pourtant, ces exemples ne sont en fait que l'arbre qui cache la forêt. Le monde des microsystèmes est si vaste, si foisonnant, qu'aucune classification ne l'appréhende en entier, et que plusieurs clés d'entrée s'avèrent nécessaires.
SOMMAIRE
– Tradition, savoir-faire technologiques et volonté politique mettent la Franche-Comté en bonne place
– Dans le foisonnement des possibles, les besoins guident les choix
– Un marché qui atteint sa maturité ?
– À la recherche des produits de rupture
On peut d'abord envisager les microsystèmes d'après leur mode de fabrication : un détournement des technologies utilisées pour l'industrie microélectronique, se déployant sur silicium et qui ajoute des parties « mobiles », et des couches actives ou non. On se rapproche alors de la définition généralement admise des MEMS et des MOEMS, qui représentent un sous-groupe de microsystèmes et littéralement signifient «des microsystèmes électromécaniques ou optoélectro-mécaniques ». Mais ce serait oublier tous ceux qui sont développés sur d'autres substrats, comme le niobate de lithium, les céramiques et tous les composants fabriqués en plastique ou en polymère — et qui ne se produisent pas nécessairement en salle blanche.
On peut ensuite tenter une approche par les dispositifs eux-mêmes : des systèmes — donc alliant plusieurs fonctionnalités, utilisant plusieurs phénomènes physiques —, dont les composants seraient de taille inférieure à 1 millimètre. Mais ce serait oublier l'aspect collectif de la fabrication des microsystèmes dont la production se base sur une répétition de cycles photolithographie / gravure / dépôt dont le nombre est défini par le nombre de masques à réaliser.
Essayons alors de les appréhender en considérant les disciplines invoquées dans les microsystèmes. Électronique et informatique, bien sûr, mécanique, mais aussi optique, chimie, fluidique, et de plus en plus, biologie…
Non, les microsystèmes ne se laissent pas cerner si facilement, sans doute parce qu'il s'agit d'un champ technologique encore en plein développement qui n'a pas encore établi ses propres frontières. Sans doute aussi parce que l'imagination et l'ingéniosité font encore feu de tout bois dans ce domaine et que toutes les pistes ne sont pas encore explorées.
Disons que nous parlons de petits objets complexes qui peuvent être intégrés dans des systèmes plus grands et qui ont ceci de différent avec les puces électroniques qu'ils interagissent avec le monde physique, réel : ils déclenchent un airbag, diffusent une image, captent de la lumière, font tourner un engrenage, analysent une cellule biologique…
L'histoire de la technologie et de la science bisontine a placé la ville de Besançon dans une position stratégique pour le développement des microsystèmes en général et des MEMS en particulier. Car si les forces régionales ne sont certainement pas dans la microélectronique, de solides compétences existent en mécanique (et en micromécanique), en micro-usinage silicium et dans la plupart des disciplines afférentes aux MEMS et MOEMS : fabrication de transducteurs et actionneurs piézoélectriques, mise en œuvre du quartz et du niobate de lithium dans des systèmes optiques et acoustiques…
Des investissements publics conséquents ces vingt dernières années, qui ont notamment permis la construction de la plate-forme technologique MIMENTO, l'une des six plates-formes technologiques académiques françaises, l'émergence d'un pôle de compétitivité Microtechniques, des liens tissés avec le monde industriel, notamment via l'Institut Pierre Vernier et son département Développements technologiques maîtrisant les technologies de microfabrication et les intégrant dans des applications industrielles pour lever les verrous rencontrés, ont fait le reste pour positionner le pôle bisontin comme l'un des acteurs importants de microsystèmes, pariant sur des spécificités propres.
« Une grande partie de ce qui se fait dans le monde en matière de microsystèmes peut être fait à Besançon, pas nécessairement de la même manière, mais répondant aux mêmes fonctionnalités » estime Franck Chollet, professeur à FEMTO-ST et spécialiste de l'alliance de la fluidique et de l'optique au sein de microsystèmes.
Ainsi, plusieurs équipes de FEMTO-ST, quelle que soit leur discipline, développent une ou plusieurs activité(s) « microsystèmes », que ce soit en les concevant et en les fabriquant, en simulant et modélisant leur fonctionnement ou en les caractérisant. Des capteurs « acoustiques » à onde de surface (SAW), des capteurs de pression, des biopuces, des laboratoires sur puce pour l'analyse médicale… Ce sont plutôt les besoins dans des champs d'activité particuliers qui deviennent prescripteurs de solutions type « microsystèmes ». La médecine est en ce sens exemplaire, qui cherche à pouvoir disposer d'outils d'analyse plus légers, moins gourmands en prélèvements, rapides, qui puissent être utilisés au lit du patient plutôt que dans le laboratoire d'analyse. Il faut alors des plates-formes de taille micrométrique ou millimétrique, sur lesquelles les cellules, le sang circulent de façon contrainte pour s'arrêter devant des « stations d'analyse » qui peuvent utiliser l'optique (fluorescence) ou des réactions biochimiques. Mais FEMTO-ST s'est également doté d'un département Micro nano sciences et systèmes (MN2S), consacré aux recherches sur ces microsystèmes, de la physique fondamentale aux développements de technologies de microfabrication.
Si en termes de recherche et de développement les pistes sont prometteuses et s'ouvrent devant des besoins exprimés, le marché des microsystèmes, aussi difficile à définir que les microsystèmes eux-mêmes, suit, lui, une progression inconstante depuis l'apparition des premiers produits dans les années 1985. Trois marchés de masse ont dominé jusqu'au début des années 2000, concentrant 80 % du chiffre d'affaires : les capteurs d'accélération dans l'automobile (airbag), les têtes d'imprimantes à jet d'encre et les matrices de micromiroirs de vidéoprojecteurs initialement développés par TEXAS INSTRUMENT. Depuis, une multitude de produits ont vu le jour, qui cumulent 50 % du marché en 2009. Les capteurs de pression, par exemple, équipent maintenant réglementairement tous les pneus des véhicules aux États-Unis. La maturité semble sur le point d'être atteinte.
Néanmoins, Patrice Minotti, PDG de SILMACH, une entreprise bisontine de R&D et conseil sur les MEMS, s'étonne de ce paradoxe et souligne un nouveau paradigme : « Nous disposons, avec les MEMS à base de silicium, d'une capacité de production massivement collective, et pourtant les principaux acteurs des MEMS se maintiennent sur des marchés de niche. Un opérateur salle blanche est potentiellement capable de produire 1 500 moteurs miniatures en une heure sur une plaque de silicium, mais la plupart de nos clients ciblent des volumes de quelques centaines à quelques dizaines de milliers de pièces par an. Les capacités de production industrielle sont donc, au moins à moyen terme, totalement décorrélées des volumes de production attendus par les marchés. Dans ce contexte, l'enjeu fondamental est de définir une stratégie industrielle et un businessmodèle crédible, permettant de faire naître une véritable industrie des MEMS, dans un contexte de mutualisation des ressources, avec probablement un grand nombre d'acteurs divers (TPE, PME, grands groupes, laboratoires académiques…) ayant des intérêts stratégiques divergents ».
Ces difficultés sont vraisemblablement dues à la complexité intrinsèque des microsystèmes qui demandent à chaque fois un temps long de développement, mais aussi à la lourdeur des infrastructures industrielles mises en œuvre dans les processus de fabrication. Les produits les plus courants sont d'ailleurs les capteurs, par définition plus simples. Pour autant, des efforts dans la standardisation des process commencent à porter leurs fruits. Ainsi, le marché des MEMS est estimé à 10 milliards de dollars en 2012 (rapport de Boucher-Lensch Associates, mars 2009), mais ce qui ne représente après tout que 5 % du revenu total des semi-conducteurs.
La nouvelle salle blanche de l'Institut FEMTO-ST, située à Temis innovation – Maison des microtechniques à Besançon, vient de se doter d'un nouvel équipement qui prolonge sa réorganisation par ressources technologiques. Une partie de la salle initialement en classe 10 000 (concentration maximum de 10 000 particules présentes par pied-cube d'air), est devenue classe 100 pour accueillir la ligne pilote Quartz-Tech.
Cette ligne pilote de microfabrication est principalement dédiée au travail des matériaux piézoélectriques comme le quartz, et en particulier à la réalisation en série de capteurs à onde de surface (SAW) particulièrement prometteurs parce qu'ils ne nécessitent pas d'énergie embarquée pour fonctionner. Mais la particularité de la ligne consiste dans son ouverture à la fois aux personnels de recherche et aux industriels. Ainsi, tout ou partie des équipements installés peuvent être mis à disposition avec un personnel spécialisé : lithographie standard (Perkin Elmer 740), lithographie précise (Stepper Nikkon résolution 0,35 µm), enduction et développement automatique de résine photosensible (Pistes SVG), dépôts de couche métallique par évaporation (Balzers BAK 740) ou par pulvérisation (clusterde dépôt à 3 chambres, Sigma Trikon), nettoyage des plaques (Scrubber) et procédés lift off (wet bench).
Après l'aménagement des locaux et l'installation des équipements de la ligne pilote, une année est encore nécessaire pour réaliser la mise au point des procédés en vue d'assurer la fiabilité et la répétabilité des opérations. Unique en France et d'envergure internationale, cette ligne pilote qui sera opérationnelle d'ici fin 2010 devrait permettre, à terme, de développer une véritable activité sur les capteurs à quartz en Franche-Comté.
Le stepper, pour des photolithographies très précises. Il y en a deux en France, dont un à Besançon (crédit : FEMTO-ST)
Contact : Grégory Haye
Institut FEMTO-ST
Université de Franche-Comté / UTBM / ENSMM / CNRS
Tél. (0033/0) 3 81 85 39 29
Sept à dix ans de « time to market », c'est l'horizon programmé en 2003 par Patrice Minotti pour mettre sur le marché des produits de rupture conçus et développés par SILMACH. Pour autofinancer le développement de ses technologies stratégiques sur de telles échéances, SILMACH a donc mis en œuvre un modèle économique centré sur la vente de services R&D amont. C'est dans ce contexte que sont nés nombre de projets de recherche exploratoire et notamment le programme « Libellule » qui a pour objet de créer des insectes artificiels autonomes à un horizon de 15 ans. Dans l'esprit des managers de SILMACH, « Libellule » est en premier lieu une plate-forme d'intégration technologique avancée. Cette plate-forme est le prétexte au développement d'un ensemble de briques technologiques convergentes qui permettront de faire émerger des produits innovants sur le moyen terme.
Le nanodrone« Libellule » de SILMACH (crédit : SILMACH)
Les équipes du département Développements technologiques de l'IPV sont historiquement liées au développement et au déploiement des technologies MEMS au niveau régional, de par la collaboration étroite avec FEMTO-ST, et particulièrement la construction et le développement progressif de la centrale MIMENTO.
Ces technologies sont aujourd'hui évidemment mises en œuvre pour développer des MEMS, dans le cadre de projets académiques ou de projets industriels, et l'IPV s'est d'ailleurs doté, il y a quelques mois, d'outils de simulation numériques pour renforcer ses compétences et son activité au niveau de la conception de MEMS.
Une autre approche de ce centre de transfert a été, compte tenu de sa double compétence technologies salle blanche / micromécanique et du tissu industriel régional, de diffuser ces technologies de microfabrication à la micromécanique conventionnelle, pour lever des verrous technologiques ou proposer des solutions plus simples et plus efficaces.
Membranes silicium (15 μm), (face dessus à gauche, face dessous à droite)
À titre d'exemple, cette matrice d'actionneurs électrostatiques MEMS destinée à remplacer une pompe dans le cadre d'une application biologique. Le recours à la technologie MEMS a permis dans ce cas la réalisation d'un démonstrateur compatible, en termes de maîtrise des débits, avec les exigences imposées par l'application.
En complément de l'activité de conception et réalisation de microsystèmes, l'intégration et le packaging peuvent être envisagés dans le cadre du projet CEMIASS (Cellule MIcro ASSemblage), un projet commun entre le département Processus industriels de l'IPV et le département AS2M de FEMTO-ST, aujourd'hui matérialisé par un démonstrateur permettant positionnement et assemblage dans de très bonnes conditions de précision.
Ainsi, en marge du système de propulsion à ailes battantes, les ingénieurs de SILMACH travaillent à l'intégration de l'énergie à bord de l'insecte. Les contraintes d'intégration sont telles que SILMACH et le CEA-LITEN (Grenoble) ont dû développer un procédé « fusionnant » les actuateurs MEMS et les batteries à électrolyte solide sur un substrat de silicium monolithique. Cette solution devra permettre le développement d'un drone de 120 milligrammes ayant une autonomie de vol de quelques minutes. On conçoit aisément que l'aboutissement d'un tel projet permettra de décliner de très nombreuses applications dans le domaine des microsystèmes MEMS nomades.
Ces recherches, menées en interne ou avec des laboratoires externes, sont capitalisées sous forme de dépôt de brevets et / ou sont réinvesties dans d'autres projets. Depuis deux ans et de plus en plus, SILMACH voit apparaître des PME dans la liste de ses clients pour l'achat de services, signe pour son président que les produits commencent à être reconnus pour leurs performances et que le marché devient mature.
L'autre champ prometteur en termes de recherche et sur lequel la Franche-Comté a son mot à dire, regroupe les applications biomédicales. Dans ce domaine, le département MN2S s'est lancé dans un projet ambitieux : « Nous souhaitons miniaturiser un microscope optique classique, confocal, pour le rendre portable, et, pourquoi pas, fixé au bout d'un endoscope équipé d'une fibre optique. On disposerait alors d'une méthode non invasive, réalisant une topographie optique des tissus et cellules pour pouvoir, par exemple, détecter des cancers » explique Christophe Gorecki, directeur de recherches CNRS dans ce département.
Ce projet est emblématique en ce qu'il réunit l'optique, la micromécanique, l'électronique et la microfluidique (pour amener les échantillons) afin de réaliser un microscope en version massivement parallèle. Le développement de ce microscope confocal nécessite l'assemblage de trois strates. La première est composée de la source lumineuse, une diode laser. La lumière traverse un système composé de deux microactionneurs électrostatiques, chacun d'eux équipé d'une microlentille. Ceci pour permettre le balayage 3D (le premier actionneur perpendiculaire à l'échantillon selon l'axe en z et l'autre dans le plan selon les axes x et y) de l'échantillon, situé sur une plate-forme de microfluidique ou non.
Vue du scanner x-y (comb-drive)
Architecture du microscope confocal MEMS
Le microactionneur en z focalise le rayon dans le plan de l'échantillon, avec une course maximale de 50 μm et une précision de positionnement de 0,5 μm. La microlentille elle-même est intégrée à une membrane silicium de 15 μm d'épaisseur.
Il n'est pas question, à ces dimensions, de penser usiner le verre ou le silicium pour fabriquer ces lentilles. Le laboratoire a donc conçu une méthode originale pour fabriquer des préformes en silicium, ensuite utilisées comme moule. Elle imbrique deux techniques : la double gravure anisotrope et la gravure isotrope du silicium. La combinaison des deux permet une diversité des formes, sphériques et / ou cylindriques. Ces moules sont ensuite soit répliqués par matriçage à chaud ou micro-injection pour réaliser des microlentilles en polymère ou en plastique, soit remplis de verre (soudage anodique et moulage verre en haute température).
Matrice de microlentilles en verre
Il est difficile de dissocier les MEMS (ou microsystèmes) des technologies qui les produisent. Les possibilités de miniaturisation, de précision et de complexification découlent presque toujours de la maîtrise des technologies. Une partie des recherches du département MN2S, en particulier sur les microsystèmes, tourne autour de l'amélioration des technologies en se spécialisant sur les matériaux plastiques.
Chantal Khan Malek, responsable de ces recherches, précise que « le verre et le silicium restent des matériaux de luxe, comparés aux polymères et plastiques. Et les procédés de production, l'injection plastique par exemple, ont un rendement nettement supérieur ». Par contre, les technologies de réplication, telles que le matriçage à chaud, la nano-impression, les techniques de coulage ou de micromoulage par injection, nécessitent la création préalable de moules qui, aux échelles très petites (micrométriques ou submicrométriques), peuvent utiliser le silicium et profiter des technologies salle blanche.
Circuit microfluidique fabriqué par hot embossing dans un substrat de polyméthylméthacrylate (PMMA)
En haut : le circuit complet ;
en bas, détail du circuit (largeur des canaux : 100 µm, hauteur : 50 µm)
Puce microfluidique pour la cristallisation de protéines,
fabriquée par moulage par injection dans un substrat de polypropylène (PP).
En haut, photo du circuit complet ;
en bas, détail d’un canal et de ses repères, observé par microscopie électronique à balayage (largeur d’un canal : 50 µm)
Chantal Khan Malek s'attache donc à regrouper équipements et savoir-faire au sein d'une plate-forme polymère pour microsystèmes, pariant sur leur avenir, notamment grâce à leur capacité de production de masse à bas coûts qui peut être mise à profit en particulier pour les microsystèmes fluidiques, notamment jetables, se positionnant ainsi sur une niche scientifique très peu exploitée en France.
Contact : Chantal Khan Malek
Institut FEMTO-ST
Université de Franche-Comté / UTBM / ENSMM / CNRS
Tél. (0033/0) 3 81 85 39 35
Ainsi, l'appellation de MEMS, si elle répondait à une acception précise il y a quinze ans, recouvre maintenant tous les systèmes micrométriques capables de résoudre de nombreuses tâches, de la mesure de grandeurs physiques à la micro-usine intégrée sur puce. Le marché a l'air mûr pour voir ces applications progressivement gagner du terrain, probablement encore en partie dans des marchés de niche, mais aussi pour des marchés de masse, tirés par les défis du XXIesiècle, le nomadisme et le problème environnemental.
Contact : Christophe Gorecki – Franck Chollet
Département MN2S — Micro nano sciences et systèmes
Institut FEMTO-ST
Université de Franche-Comté / UTBM / ENSMM / CNRS
Tél. (0033/0) 3 81 66 66 07 / 64 92
SILMACH
Tél. (0033/0) 3 81 25 53 58