Université de Franche-Comté

Les maux du discours politique

Le discours, reflet d’un malaise sociopolitique

L’évolution du discours témoigne partout d’un réel bouleversement de la donne politique et sociale. L’élection de Trump, le Brexit, la montée des extrêmes en Europe, l’incertitude des résultats électoraux sont autant de faits à inscrire au passif de la crise de 2008. Mathieu Petithomme est enseignant en sciences politiques et chercheur au Centre de recherches juridiques de Franche-Comté. « Toutes ces situations politiques sont à relativiser, elles viennent en réaction à cette lame de fond économique et sociale qu’a été la crise. Si nous vivons clairement une transition, on ne sait cependant pas sur quelle configuration elle va déboucher ». Mathieu Petithomme parle du recul des « consensus sociopolitiques » qui prévalaient depuis les années 1990, avec par exemple l’idée d’une Europe intouchable et d’une mondialisation « bénéfique et glorieuse ».

« La période actuelle est marquée par le déclin de l’idée européenne et un désenchantement vis-à-vis de la mondialisation : le discours européen doit se réinventer pour que l’Union perdure ; le discours altermondialiste, autrefois marginal, est devenu central ». Ces questions existentielles entraînent une réorganisation des clivages politiques : à la traditionnelle opposition droite / gauche désormais un peu dépassée dans les pays européens, se substitue une lutte entre partis gouvernementaux et protestataires. De nouvelles formations apparaissent, comme PODEMOS en 2014 en Espagne1, qui veut « convertir l’indignation en changement politique », ou encore SYRIZA en Grèce, et l’arrivée au pouvoir en 2015 de ce parti d’extrême gauche, jusque-là minoritaire.

Manifestation du parti politique espagnol PODEMOS, place de la Puerta del Sol de Madrid, janvier 2015

En France et dans certains pays d’Europe centrale, où le spectre du communisme empêche la progression de l’extrême gauche comme dans le sud, c’est l’extrême droite qui gagne du terrain, là aussi favorisée par l’affaiblissement des consensus sociopolitiques d’avant 2008, et l’absence de discours porteurs et traduits en actes qui pourraient prendre le relais.

Mais de nouvelles voix se font entendre aussi, comme celle d’Emmanuel Macron, dont la candidature bénéficie d’un ensemble de conjonctures favorables, comme le souligne Mathieu Petithomme : « un changement générationnel, un affranchissement vis-à-vis de la politique traditionnelle, et un discours attrape-tout. La candidature d’Emmanuel Macron s’affirme en réaction à la vacuité des mots, à l’incohérence entre discours et action, et à une éthique politique mise à mal. Ne pas avoir d’histoire politique le sert, mais peut le desservir très vite aussi, si son discours face aux autres candidats n’affiche pas suffisamment de conviction. »

C’est ce que le chercheur appelle « l’effet soufflet ». En France, comme ailleurs en Europe, le déclin des consensus et le besoin de voir gérer des situations sociales conflictuelles poussent les citoyens vers la nouveauté politique, qu’il s’agisse d’un parti, d’une entreprise ou d’un homme. C’est ainsi qu’une bulle de popularité peut rapidement se gonfler autour d’une personnalité, mais se dégonfler tout aussi vite si le discours ne passe pas l’épreuve de la concrétisation, et s’avère décevant. « L’incertitude sociopolitique d’un côté et une bonne distance critique chez les citoyens de l’autre forgent un comportement changeant chez les électeurs, qui en grand nombre papillonnent d’un homme politique à l’autre. » Et les sondages, les mois passés l’ont prouvé, perdent toute valeur prophétique.

1 Fernandez Garcia A., Petithomme M., Contester en Espagne, crise démocratique et mouvements sociaux, Demopolis, 2016

 

Article extrait du dossier « Les maux du discours politique », en direct n° 269, mars-avril 2017

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