Université de Franche-Comté

Les langues contrôlées pour une plus grande sécurité, la gestion des messages pour une meilleure communication

Tout apprenant en a fait l’expérience, les langues sont truffées de pièges. "Jean aime sa femme et moi aussi" : cette unique phrase peut être interprétée de trois façons. Ce n’est pas un cas rare, quelle que soit la langue. Aussi ce genre de piège doit-il être évité quand la mauvaise interprétation d’un message peut engager la vie de plusieurs dizaines ou centaines de personnes. Dans le cockpit d’un avion, par exemple, le pilote et le co-pilote travaillent de concert. Ils sont de nationalité quelconque et peuvent avoir des langues maternelles d’origines diverses… mais tous deux parlent l’anglais. Différents messages leur parviennent par différents canaux de communication et sous différentes formes ― schéma, signal sonore, lumineux ou encore écrit. Ceux-ci doivent être interprétés sans aucune ambiguïté par leur destinataire.

•  L’étude s’attache ici plus particulièrement au message écrit. Ces pilotes vont recevoir en cas d’urgence un signal d’alarme codé dans un langage dérivé de l’anglais américain. Plusieurs problèmes pourraient se poser, par exemple celui des interférences entre langues (l’anglais américain et la langue maternelle du pilote), interférences d’ordre lexical mais aussi d’ordre syntaxique. Un autre problème est celui des messages codés mal développés. Ainsi, s’il est signalé au pilote qu’il doit perdre de l’altitude, il est préférable qu’il ne comprenne pas l’inverse, c’est-à-dire prendre de l’altitude (les deux formes perdre et prendre étant très voisines pour un non-francophone, tout comme le sont dessous et dessus). Les langages contrôlés ont donc comme objectif d’éviter tous ces pièges qui pourraient induire la mauvaise interprétation d’un message.

•  En vue d’augmenter la sûreté et la sécurité dans certains domaines, le Centre Tesnière de l’université de Franche-Comté mène des recherches sur les langues contrôlées depuis plusieurs années déjà, avec Airbus comme principal partenaire. Ces recherches ont fait l’objet en juin 2002 d’un dépôt de brevet pour une méthodologie qui permet de générer le lexique de la langue contrôlée utilisée dans les messages d’urgence dans les postes de pilotage. 

• Le premier objectif ― industriel ― a consisté à améliorer la compréhension des messages à bord des Airbus (Aà CCOM, entre autres) en créant une méthodologie pour l’élaboration d’une langue contrôlée basée sur l’anglais américain, pour une utilisation en milieu multilingue et respectant des normes. Il s’agissait aussi de définir des procédés et des normes et de les évaluer avec une communauté européenne multilingue et avec des pays tiers pour les autres langues. Un second objectif pour le Centre Tesnière était d’établir une méthodologie transférable à d’autres contextes : – soit, en restant dans l’aéronautique et dans l’espace, pour construire des messages destinés à l’ensemble du personnel de bord des avions – soit, étant donnée la première application qui se situe dans un environnement demandant sûreté et sécurité, pour créer les messages d’environnements tout aussi critiques. Ainsi, la méthodologie sera mise en oeuvre dans les salles de contrôle des centrales d’énergie atomique en partenariat avec le CEA ― Commissariat à l’énergie atomique.

•  La synergie intrinsèque entre la production (génération) d’une langue contrôlée et une assurance-qualité réelle et active représente un fait nouveau en ingénierie linguistique pour les industries de la langue. Cette méthodologie est exportable à d’autres applications en ingénierie linguistique qui demandent grande qualité, sûreté et sécurité, comme par exemple la traduction automatique de langages spécialisés et/ou contrôlés. Elle est fondée sur un modèle systémique original, développé au Centre Tesnière, pour l’analyse et la génération de langues écrites. Ce modèle est applicable à toutes sortes de langues de différentes origines et a été implémenté pour des applications variées. De par sa nature même, la méthodologie se marie directement avec le modèle de qualité systémique et permet validation et traçabilité, toutes deux essentielles pour des applications de sécurité critique. De nombreux domaines, comme les téléphonies mobiles, l’industrie automobile ou la signalisation routière pourraient tirer parti de ces recherches.

 

Sylviane CardeyCentre de Recherche en linguistique et traitement automatique des languesLucien Tesnière (EA 2283)Université de Franche-ComtéTél. 03 81 66 53 94sylviane.cardey@univ-fcomte.frtesniere.univ-fcomte.fr

 

 

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