Université de Franche-Comté

Les femmes et la direction du sport : une étude révèle les réticences en jeu

L'équipe de recherche en sciences historiques et sociales du sport, rattachée au laboratoire de Sociologie et d'anthropologie de l'université de Franche-Comté, vient de rendre un rapport de recherche au Comité régional et sportif de Franche-Comté, intitulé Des femmes dans le mouvement sportif : les dirigeantes locales. Ce travail* s'est déroulé en plusieurs phases d'investigation : une enquête par questionnaires (641 réponses) début 2002, un colloque  Davantage de dirigeantes sportives ! Ÿ le 8 mars 2003 et une enquête par entretiens approfondis (16 femmes ont été rencontrées) de juin à septembre 2003. Les résultats font état de multiples freins à l'investissement féminin dans la direction du sport local, et notamment de la mise en oeuvre de logiques d'exclusion subtiles (subordination, plafonnement, stigmatisation, autolimitation, dépendance, isolement) dans l'arrangement quotidien des sexes dans les clubs, les comités et les ligues.

• La dirigeante type, plutôt issue du milieu rural, mariée, avec deux enfants, employée de niveau V (BEP, CAP ou équivalent) et ayant eu une pratique sportive de loisir, s'est le plus souvent investie après 36 ans. Elle est caractérisée par un capital associatif important et combine cette volonté d'engagement public avec les nécessités familiales en appartenant, en règle générale, à la même structure que le mari ou les enfants. Cependant, les femmes de l'échantillon occupent en majorité des postes subalternes et n'évoluent pas vers les niveaux les plus prestigieux du mouvement sportif local. Trois profils sont alors répertoriés : les militantes, les passionnées d'une discipline sportive et les dirigeantes de circonstance.

• Pour aller plus loin, il convient d'explorer les processus intériorisés, les habitudes de fonctionnement et les représentations ancrées qui limitent l'accès et l'évolution des femmes dans la direction administrative du sport. Le fonctionnement électoral, les modes de légitimité, l'autolimitation sont autant de freins organisationnels et culturels. En outre, le management approximatif des structures sportives associatives (répartition des tâches, conduite de réunion, modalités d'organisation) pénalisent davantage les femmes, prises dans un engrenage quotidien laissant peu de place aux incertitudes et aux temps perdus.

• Ce flou profite aux hommes établis, plus solidaires et mieux organisés. La dirigeante isolée subit alors davantage les incohérences du système ! Elle est victime parfois d'un processus insidieux de stigmatisation qui ne prend pas seulement les allures d'un machisme grossier, mais se manifeste également par une déférence excessive, des prévenances infantilisantes qui cantonnent la dirigeante dans une situation de subordonnée et d'exécutante. Enfin, l'analyse des transmissions sociales des savoirs et des compétences, des valeurs et des attitudes met en exergue l'omniprésence d'une éthique féminine dans le discours des dirigeantes. Cette manière d'être, fondée sur l'abnégation, le perfectionnisme et l'auto-dévalorisation par rapport au pôle technique et politique, apparaît comme un puissant outil de reproduction d'une réserve intériorisée. En outre, les modalités de formation des dirigeantes révèlent une circulation de savoirs et de compétences donnant la part belle à l'autodidaxie ou à la transmission par un mentor. S'érige ainsi un système informel de don et de contre-don complexe créant une dette symbolique des nouveaux venus vis-à-vis des personnes établies, des femmes vis-à-vis de leurs formateurs masculins. Une formation plus institutionnalisée paraît libérer la dirigeante de ce processus de contre-don pouvant mener parfois à la dépendance excessive. Par ailleurs, il est à noter que la transmission familiale d'un capital sportif ou associatif est perceptible chez certaines militantes.

• Ces processus sont inscrits dans les histoires collectives et individuelles : la société est encore marquée par un héritage culturel et religieux de domination masculine, l'institution sportive en est un miroir grossissant. Les hommes reproduisent consciemment et inconsciemment cette logique perverse, les femmes pérennisent également ce système insidieux, notamment en se cantonnant encore aujourd'hui à la sphère familiale et en développant une réserve intériorisée, un retrait accepté. Dès lors, les freins demeurent d'abord culturels avant d'être issus de processus électifs ou organisationnels.

 

Gilles Vieille-Marchiset
Laboratoire de Sociologie et d'anthropologie (EA 3189)
Université de Franche-Comté
Tél. 03 81 66 67 16
gilles.vieille-marchiset@univ-fcomte.fr

 

 

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