Université de Franche-Comté

Les effets du vin captés par IRM

Soumis à des stimuli gustatifs et olfactifs générés lors d’une dégustation de vin, le cerveau réagit. Mais il travaille de façon bien différente selon que le sujet étudié est un expert ou un néophyte. C’est ce que montrent, sans équivoque, les premiers résultats de l’expérience menée par imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) au CHU de Besançon.

 

 

Comment réagit le cerveau lorsqu’il est soumis aux stimuli de goût et d’odorat produits par le vin ? Tout dépend du degré de connaissance et d’expertise de la personne en la matière. C’est ce que révèle l’imagerie du cerveau de sujets soumis à un test de dégustation de vins, les uns étant de grands spécialistes du divin breuvage, les autres non. Le traitement de l’information chez les experts est effectué à un niveau dit primaire, proche de l’automatisme, du réflexe, et concerne le cervelet ainsi que des zones frontales et temporales du cerveau. Chez les néophytes, le traitement demande de la réflexion et passe très vite à un niveau secondaire, dans les zones corticales du cerveau, faisant appel à un réseau beaucoup plus diffus, et donc moins spécifique.

 

Ces résultats sont les toutes premières conclusions de l’expérience menée au département d’imagerie fonctionnelle cérébrale du CHU de Besançon en IRMf. Pilotée par le laboratoire de Neurosciences, sous la coordination technique d’Alexandre Comte et Patrice Andrieu, tous deux ingénieurs de recherche dans l’équipe commune CHU – université de Franche-Comté, cette expérience a fait l’objet d’un protocole très précis autour de deux populations à comparer. Les experts les plus confirmés qui soient, des sommeliers de réputation internationale, et des néophytes, choisis en fonction de critères bien spécifiques. Faux jumeaux des spécialistes qu’ils accompagnent, ils sont du même sexe, sensiblement du même âge et ont vécu plusieurs années dans une région commune. Le binôme possède ainsi toutes les chances de présenter une culture du goût homogène, une précaution évitant d’introduire des biais dans l’analyse.

 

 

Effets du vin sur le cerveau chez les non experts         Effets du vin sur le cerveau chez les experts      Effets du vin sur le cerveau chez tout le monde

 Photo 1                                               Photo 2                                                    Photo 3

Photo 1 – Activation des aires visuelles associatives chez les non experts

Photo 2 – Activation bilatérales du gyrus parahippocampique (mémoire du goût) pour les experts

Photo 3 – Activations bilatérales de l'insula antérieure (zone de l'olfaction) pour tout le monde en phase d'after taste

 

 

L’eau et le vin, c’est du pareil au même  ?

Deux vins différents sont soumis à l’approbation : un blanc et un rouge, provenant d’une même région viticole et volontairement peu typés. Ils seront chacun administrés deux fois. L’eau fait aussi partie du test. Eau et vins ont scrupuleusement été choisis par Christophe Menozzi, maître sommelier de France, à l’origine du projet avec Thierry Moulin, chercheur au laboratoire de Neurosciences, et neurologue au CHU. Une quantité précise de liquide est administrée directement dans la bouche du sujet placé dans l’IRMf, des conditions de dégustation certes peu idéales, mais riches d’enseignements.

 

Qu’il s’agisse d’eau ou de vin, les sommeliers identifient le liquide immédiatement à un goût, dont ils possèdent la mémoire dans une sorte de bibliothèque riche de milliers de saveurs qu’ils ont enregistrées. Dans le cas du vin, chacun a sa méthode propre pour accéder à ses références, le tannin, le terroir, la région…, mais c’est toujours ce que l’on appelle la mémoire de travail et la mémoire à long terme qui sont sollicitées. Les néophytes, n’ayant pas cette capacité de reconnaissance, en appellent rapidement à leurs cellules grises. C’est là qu’entre en jeu la mémoire épisodique visuelle. Elle essaie d’associer le goût perçu à des souvenirs, des lieux, des personnes, de le replacer dans un contexte pour pouvoir l’identifier et lui conférer une certaine émotion. Toutes ces informations sont données par le cerveau dans les 7 secondes que dure la phase de taste, la dégustation proprement dite. Dans la phase d’after taste, lui laissant 13 secondes pour continuer son analyse après la dégustation, on constate que les néophytes fournissent beaucoup d’efforts, au demeurant souvent peu efficaces, pour traiter l’information : les zones corticales et sous corticales sont largement activées pour tenter de reconstituer le contexte dans lequel pourrait apparaître la sensation ressentie. De la même manière, l’absorption de l’eau est perçue comme un épisode temporel, un rinçage de la bouche succédant à la dégustation, également analysée par la mémoire visuelle épisodique. Chez les experts, on l’a vu, elle s’apparente, tout comme le vin, à un goût immédiatement reconnu par sa mémoire de travail dans sa bibliothèque de saveurs personnelle.

 

 

Se servir de la plasticité du cerveau

L’expérience est complétée par une dégustation « en ouvert », en dehors de l’IRMf, permettant d’établir des comparaisons et de vérifier la cohérence des informations recueillies dans des contextes bien différents. Un expert sur deux et seulement 10 % des néophytes reconnaissent durant cette phase « en ouvert » qu’ils ont reçu ces vins en bouche antérieurement, durant la phase dans l’IRMf. Lionel Pazart, médecin responsable du CIC-IT au CHU de Besançon et coordinateur de l’étude, apporte une explication : « En les privant de la vue, on perturbe le mode analytique de ces experts qui s’appuie en tout premier lieu sur la couleur. C’est elle qui leur permet d’emblée de savoir de quelle région provient le vin, puis de l’associer à un terroir… » Cette analyse rejoint les affirmations des anatomistes, selon lesquelles la couleur ne peut être associée à un autre organe que les yeux : anatomiquement parlant, il est impossible de reconnaître une couleur sans les yeux. Ce type d’informations enrichit de connaissances complémentaires le protocole établi à l’origine.

 

L’étude, unique en son genre, renforce les hypothèses déjà émises sur le travail de la mémoire et sur la liaison des sens entre eux. Au-delà de son objectif premier, elle contribue à avancer dans la connaissance du cerveau humain grâce à l’imagerie, dans l’optique de trouver des traitements adaptés à certaines pathologies. Le cerveau a déjà prouvé sa plasticité, et on sait qu’il est possible, en sollicitant des zones a priori destinées à d’autres fonctions, de suppléer au travail de régions détériorées après un AVC par exemple. Par ailleurs, on constate en psychiatrie que certaines difficultés d’adaptation à la société sont parfois liées à un manque de ressenti émotionnel chez le patient. Trouver le moyen d’activer les zones correspondant à de telles émotions constituerait une piste de recherche pour pallier ce déficit.

 

 

Contact : Alexandre ComtePatrice Andrieu

Département d’imagerie fonctionnelle cérébrale

CHU de Besançon

Laboratoire de neurosciences (EA 481) – IFR 133

Université de Franche-Comté

Tél. (0033/0) 3 81 66 89 48

 

 

Lionel Pazart

CIC-IT – Centre d’investigation clinique de Besançon – Innovation technologique

CHU de Besançon

Tél. (0033/0) 3 81 21 86 22

 

 

 

Rigueur technologique exigée…

 

Des systèmes spécifiques ont été mis au point pour assurer la diffusion de signaux à des moments précis et mesurables, auprès des sujets soumis aux tests. Une synchronisation temporelle favorable à une interprétation plus fine et plus rigoureuse des images nées des réponses du cerveau soumis à des stimuli.

 

 

Une vision, une odeur, un goût… chacune de ces stimulations, en activant nos sens, déclenche une réaction de notre cerveau. Une réponse lisible par l’IRM, qui précisément montre quelle zone est activée en fonction du ressenti. L’imagerie médicale soumet l’organisme à des champs magnétiques importants, capables de faire bouger les atomes d’hydrogène contenus dans le corps humain. Sous cette action, les atomes s’orientent tous dans une même direction. Puis, excités par des ondes radiofréquence, ils sont mis en résonance et à l’arrêt de la stimulation, retrouvent leur position originale et restituent l’énergie accumulée en produisant un signal, enregistré et traité sous forme d’image par un système informatique.

 

L’IRM dont dispose le CHU de Besançon a un champ magnétique de 3 teslas (soit environ 60 000 fois plus puissant que le champ magnétique terrestre !) pouvant offrir une résolution d’image inférieure au millimètre. Des « programmes » adaptés permettent de réaliser des IRM fonctionnelles, et ainsi voir les changements d’activités cérébrales lors de l’envoi de différents stimuli aux sujets, ou lorsque les sujets réalisent des tâches qui leur sont demandées. Besançon est l’un des rares CHU en France à bénéficier d’un programme de recherche en IRMf contractualisé avec l’université (plateforme d’imagerie de l’IFR 133).

 

 

Armoire

 

 

Synchroniser l’image et le temps

 

Pour améliorer l’interprétation des images restituées par l’appareil, l’équipe de Tijani Gharbi de l’Institut FEMTO-ST a mis au point différents systèmes pour transmettre au sujet étudié, à des moments précis et mesurables, des stimuli par ailleurs débarrassés de tout stress parasite pouvant induire des perturbations dans la lecture des réactions cérébrales. Une échelle de temps permet de savoir exactement quand s’allume telle zone du cerveau en fonction des sollicitations extérieures, et comment ces images évoluent. Les réactions liées à la vision, à l’odorat et au goût sont traitées de façon séparée ou à l’inverse se superposent pour multiplier les analyses. Les mesures sont reproductibles pour se prêter à toutes les comparaisons voulues. Pour la vision, les chercheurs ont créé une paire de jumelles spécialement adaptées à l’IRMf, afin que le sujet se focalise sur l’image proposée. Pour les autres sens, les signaux odorants ou liquides peuvent être transmis de façon isolée. Cependant, selon les résultats recherchés, ils sont susceptibles de s’accompagner par exemple d’indications sonores, dont on sait qu’elles ne troublent pas la réception des autres signaux. C’est ce cas de figure qui prévaut dans l’étude menée sur les sommeliers.

 

Les technologies mises en œuvre ont fait l’objet d’une grande miniaturisation, permettant l’adaptation facile des systèmes au fonctionnement de l’IRMf. Et c’est là un vrai tour de force au service de la compréhension de ce mystère que demeure le cerveau humain.

 

 

Contact : Tijani Gharbi

Institut FEMTO-ST (UMR 6174)

Université de Franche-Comté/ UTBM / ENSMM / CNRS

 

 

 

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