Université de Franche-Comté

L’empire de l’imaginaire Collection "Réalités & Fictions"

Un dessin, des couleurs ou quelques mots choisis, un univers parallèle ou une projection dans le passé, et voilà l’esprit prêt à vagabonder : l’imagination l’emporte de jour comme le rêve s’en amuse la nuit ! La fiction est l’un des plus fabuleux outils au service de l’imaginaire, lui-même nourrissant le réel de mille façons. Le tout s’imbrique de telle manière qu’il est parfois difficile de démêler le vrai du faux…

 

  

 

          SOMMAIRE

                     Encart : Jeu vidéo : l'image en mode interactif

 

  

 

« Enchanter le monde » est un désir profondément humain. C’est lui qui crée des contes et des fables, et invente des personnages dont parfois on ne sait plus s’ils appartiennent à la légende ou à l’histoire, tant ils sont crédibles et tant on ne demande qu’à croire à leur réalité. Le roi  Arthur ou le comte Dracula ont ainsi traversé les siècles sans prendre une ride et en entretenant un mystère certain dans la mémoire collective.

Comme un clin d’œil à cette imagination dont la force ébranle parfois le réel, la construction d’un monde imaginaire vient nous rappeler en contrepoint que même le plus fantastique ou le plus fantaisiste d’entre eux ne sait se passer de réalité. « Ces mondes restent centrés sur l’homme et ses comportements », raconte Florent Montaclair, enseignant en littérature à l’université de Franche-Comté, spécialiste du fantastique, à qui vient d’être décernée la médaille d’or de philologie, la science qui étudie les dimensions historique, linguistique et critique de documents écrits (cf. en direct n° 262, janvier-février 2016).

Valerian et Laureline

Valerian et Laureline©Christin, Mézières – Dargaud, 2012

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Les mondes imaginaires rattrapés par le réel

« Pour être extraordinaires, les créations d’heroic fantasy se passent quand même dans des univers connus, des forêts, des déserts ou des villes. Si c’est dans ces dernières que l’imagination est la plus débridée, il n’en reste pas moins que les villes sont bâties selon un tracé de rues et des alignements d’habitations des plus concrets. »  Les personnages aussi présentent des analogies avec des figures connues : malgré ses oreilles coupées en pointe, on reconnait aisément la figure du gentleman écossais derrière le Hobbit du Seigneur des anneaux. Même les Grecs, qui ont été les plus habiles à sortir des champs du possible avec leurs créations hybrides, sont rattrapés par le réel : les cyclopes et autres sirènes comportent tous une part d’humain.

Enfin, adopter le langage adéquat, celui qui sera en phase avec l’époque et le statut social des personnages, est un exercice imposant une extrême vigilance. Au-delà des anachronismes fâcheux pour l’œuvre comme pour l’imaginaire, le langage témoigne de représentations du réel auxquelles il est difficile de se soustraire. « La langue traduit une perception du monde et influence la pensée. » Ne dit-on pas en anglais pork ou pig pour cochon, selon qu’on mange ou pas l’animal, là où la langue française ne fait pas de distinguo ? « Pour échapper au langage, les auteurs décrivent le plus souvent leurs monstres par ce qu’ils ne sont pas » souligne Florent Montaclair. « Ses oreilles n’étaient pas placées à un endroit conventionnel et ses yeux ?! Comment expliquer ses yeux, d’une couleur indéfinissable et d’une forme qui n’avait rien de connu dans le règne animal ». L’impossible et l’indicible sont alors laissés à l’imagination du lecteur, qui invente ses propres images.

vampire

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Manigances historico-littéraires

Certains personnages légendaires ont par ailleurs de vraies origines, parfois insoupçonnées. C’est le cas du vampire, originaire d’Europe centrale, dont Florent Montaclair dit qu’il personnifie l’envahisseur turc aux XVIe et XVIIe siècles et cristallise les incompréhensions du monde, une sorte de bouc émissaire comparable à nos sorcières. Le vampire gagne l’Occident au XVIIIe siècle, où son caractère mythique mis au jour et son côté ludique vont servir de base à la création de personnages de littérature. Dès lors, les auteurs s’ingénient à rendre crédibles ces créatures fantastiques à qui ils donnent un nom, un titre, un curriculum vitae et un château, et qu’ils font briller dans les salons. « Ce sont les écrivains qui maintiennent les mythes vivants… »

Ce sont eux aussi qui parfois s’appuient sur les stéréotypes et les préjugés pour que leurs récits trouvent un écho facilement favorable auprès des lecteurs. Dans un imaginaire collectif patiemment élaboré au fil des siècles, le Moyen Âge s’est vu à l’excès peuplé de foires, de tournois et de seaux de détritus jetés par les fenêtres. Il n’y a qu’à se servir dans cet arsenal de clichés pour qu’une histoire paraisse vraisemblable et remporte l’adhésion, quitte à entretenir bien vivace l’exagération de certaines images, comme celle de l’incroyable harnachement de métal qu’auraient soi-disant supporté les chevaliers lors d’un tournoi. Impensable !

« C’est que contrairement à l’historien, l’écrivain n’est pas soumis à une obligation de vérité » remarque Yvon Houssais, enseignant-chercheur en littérature française à l’université de Franche-Comté. L’écrivain fait ce qu’il veut, comme Stendhal qui brouille les cartes dans ses Chroniques italiennes, prétendument traduites de manuscrits anciens trouvés par l’écrivain dans les maisons de grandes familles romaines. « Ces manuscrits existent bel et bien, mais se sont révélés décevants pour Stendhal, qui en définitive a inventé une bonne partie des nouvelles publiées, raconte Yvon Houssais. L’auteur qui rêvait de fidélité historique a été pris au piège de sa fiction. A tel point qu’il est impossible de démêler le vrai du faux, de repérer la traduction historique et l’écriture d’invention, si on n’a pas les manuscrits sous les yeux pour comparaison ».

Johann et Pirlouit

Johan et Pirlouit est une série créée par Peyo, publiée en album pour la première fois chez Dupuis en 1954

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« Personne ne sait où est Alésia ! » (Agecanonix)

Et l’histoire, de son côté, n’a pas hésité à puiser dans la littérature pour se construire. Alors qu’elle n’était pas encore une discipline scientifique, au XIXe siècle paraît Notre-Dame de Paris. Les historiens de l’époque s’en sont visiblement servis comme source historique, et notre représentation du Moyen Âge devrait beaucoup aux pages de Victor Hugo pourtant pétries d’imaginaire, comme cette cour des Miracles passée à la postérité alors que l’écrivain prend beaucoup de libertés avec l’Histoire. Le discours historique ne serait-il pas plus vrai que la fiction ?

L’Affaire Attila de Jean-Pierre Tusseau vient corroborer ce doute dérangeant. Écrit au terme de plusieurs années de recherche, avec un retour aux textes de l’époque, cet ouvrage s’oppose à l’idée répandue d’un Attila sanguinaire et balourd, et décrit le célèbre roi des Huns comme un homme plutôt cultivé et fin stratège ; il prouve la fausseté de nos connaissances sur le personnage, véhiculées par les travaux d’historiens se reprenant en fait les uns les autres, entretenant une légende plutôt que témoignant de la réalité. La frontière est décidemment bien floue entre fiction et histoire, qui, selon Yvon Houssais, ne seraient finalement que « deux discours différents sur la réalité »…

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Bande dessinée et représentations du Moyen Âge

La bande dessinée entre ici en scène, brouillant les pistes un peu plus encore. Longtemps considérée comme un art mineur et méprisée par la littérature, la bande dessinée a gagné ses lettres et ses bulles de noblesse au fil du temps. Elle apporte elle aussi ses interprétations, qui parfois progressent à l’image de sa propre évolution. L’époque médiévale illustre là encore ce curieux parallèle. À l’université de Neuchâtel, Alain Corbellari est spécialiste en langue et littérature française du Moyen Âge. « On distingue trois grandes phases dans la bande dessinée médiévalisante francophone, qui sont révélatrices non seulement des différentes façons dont est perçue la période historique, mais aussi de l’évolution de la bande dessinée elle-même » explique le chercheur.

Des années 1940 à 1960, le Moyen Âge est très conventionnel et idéalisé dans une bande dessinée mal acceptée et contrainte au traditionalisme. Chevalier ardent de François Craenhals (1966) ou Johan et Pirlouit de Peyo (1952) illustrent chacun dans leur genre cette période. La bande dessinée des années 1970  à 1990 s’autorise, avec l’essor de la Nouvelle Histoire, de nouvelles visions du Moyen Âge. Mieux documentée, gagnant peu à peu ses galons d’art à part entière, la bande dessinée dépeint un Moyen Âge plus noir et moins complaisant, avec des séries comme Les Tours de bois Maury d’Hermann (1984) ou Les Aigles décapitées de Pellerin et Kraehn (1986). À partir des années 1990, le Moyen Âge mâtiné d’heroic fantasy devient méconnaissable, la bande dessinée fait éclater les codes habituels en affichant des créatures imaginaires sur fond historique. La Quête de l’oiseau du temps, une série créée dès les années 1980 par Régis Loisel, ou plus récemment Le Troisième testament, édité chez Glénat à partir de 1997, en sont des exemples très aboutis. « Le post-modernisme d’après les Trente Glorieuses se reconnaît bien dans le Moyen Âge, analyse Alain Corbellari. On ne croit plus autant au progrès technique et on vit une époque difficile à caractériser : la science-fiction laisse place à la magie et au fantastique. »

Se replaçant dans le contexte actuel, le chercheur va plus loin encore en estimant que « l’époque contemporaine renoue avec quelque chose de primitif et se montre nettement moins inféodée à l’écrit-roi qu’autrefois. » Stimulés par l’ère internet, d’autres types de narration progressent. « L’explosion de la bande dessinée dans les années 1960 et 1970 était un signe, elle amorçait ce changement de civilisation majeur. »

Manuscrit Harding

La Bible d'Étienne Harding est un manuscrit enluminé datant du début du XIIe siècle,

conservé à la Bibliothèque municipale de Dijon.

C'est le seul document du Moyen Âge présentant des similitudes

aussi troublantes avec la bande dessinée (cases, gaufrier à cinq bandes)

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Revanche en bulles et en cases

De là à donner sa légitimité à l’image comme document source, il n’y a qu’un pas, mais que certains chercheurs seulement n’hésitent pas à franchir. Christian Vivier et Sébastien Laffage-Cosnier sont historiens du sport et de l’éducation physique à l’université de Franche-Comté, et trouvent de nombreux enseignements dans les images qu’ils décortiquent patiemment depuis une dizaine d’années. Martine en est une jolie illustration : si le texte présente une demoiselle modèle, à l’existence bien rangée, l’image nuance largement le propos en montrant une jeune fille volontaire, intrépide, capable de surpasser les garçons et, en ce sens, plus moderne que ne le dit le texte.

Les deux coéquipiers travaillent sur les représentations du sport dans l’image. Avant les illustrés pour enfants et la bande dessinée, Christian Vivier s’est intéressé, avec son autre collègue Jean-François Loudcher, aux caricatures de Daumier, qui témoignent de l’évolution de la perception du sport par la bourgeoisie parisienne au cours du XIXe siècle. « On s’aperçoit très nettement que le sport, considéré comme dangereux vers 1825, évolue favorablement jusqu’à être associé à la santé vingt ans plus tard. »

Le chemin de l'Amérique

Dans la bande dessinée, le sport est une source d’inspiration qui ne tarit pas au fil des années. Bibi Fricotin, Astérix, les Pieds Nickelés et les Schtroumpfs ont tous fait les Jeux Olympiques. « Là aussi, les thématiques évoluent en même temps que la société. Dans les albums des Schtroumpfs datant des années 1980, il est fait référence à la violence envers les arbitres, ce qui n’existait pas quarante ans plus tôt » remarque Christian Vivier. Le problème du dopage est clairement évoqué, comme dans, entre autres aventures du plus célèbre des Gaulois, Astérix chez les Bretons, lors du savoureux épisode du match de rugby où l’un des équipiers enflamme le terrain sous l’effet de la potion magique. La bande dessinée est un reflet de la société souvent plus juste que ce que le politique veut donner à penser. Par exemple, la jeunesse est censée avoir été très sportive dans les années 1950 à 1970, dynamique à l’image de la croissance économique d’alors, et convaincue par les valeurs du sport.

Mais si on regarde la bande dessinée de l’époque, on s’aperçoit qu’elle tourne le sport en dérision, ridiculise ses athlètes et critique son argent. « Elle représente un témoignage plus modéré que les discours officiels et les poncifs qui prévalent encore aujourd’hui » estime Sébastien Laffage-Cosnier. Revanche de la bande dessinée sur la littérature, de l’image sur le texte, d’un art jugé mineur sur ses détracteurs ? L’histoire de la représentation du sport en tout cas se montre différente de l’histoire de la politique du sport. « Cela prouve que le sport n’est pas magique comme on veut parfois le faire croire, qu’il est certes un réseau de sociabilité, mais au même titre que d’autres, et que la « starification » dont il fait l’objet, à ne montrer que la performance et l’exploit, n’est qu’une de ses facettes » concluent les deux chercheurs.

Daumier

Les différentes poses gracieuses du trapèze, Daumier, 1865 

Illustration issue de la reproduction intégrale du catalogue Daumier

par Loys Delteil, Le peintre-graveur illustré (XIXe-XXe siècles),

Frazier Soye, Paris, 1925-1926

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Rencontres au sommet…de l’art

Finalement, tout est question de point de vue, et la fiction a le sien à apporter à l’histoire et au monde. Au monde académique aussi, comme le certifie Olivier Christin, directeur de l’Institut d’histoire à l’université de Neuchâtel, et qui a, de 2011 à 2015, animé un cycle totalement innovant intitulé « Bande dessinée à l’université ». Master classes, conférences et expositions ont pendant quatre ans permis avec bonheur les rencontres entre auteurs, chercheurs et étudiants, pour des échanges passionnants et de haut niveau. Où l’on questionne le sens d’une image et les représentations qu’elle véhicule, ou encore les particularités de l’écriture de fiction, différente de celle employée par les sciences, et qui renvoient la réflexion à un autre degré de lecture.

André Juillard et Yves Sente (Blake et Mortimer), Jean-Claude Mézières (Valérian et Laureline), Jean Dufaux et Philippe Delaby (Murena) et d’autres génies du 9e art encore se sont prêtés à un exercice aussi inédit pour eux que pour les historiens, philosophes, littéraires et étudiants également engagés dans l’aventure. L’expérience, placée dans un tout autre registre que la rencontre entre auteurs et fans de bande dessinée, a captivé tous les publics et  multiplié les points de jonction. En 2013, l’exposition Les fantômes des collections a reproduit au musée d’ethnographie de Neuchâtel les scènes du Serment des cinq Lords de Blake et Mortimer, dans une reconstitution plus vraie que nature, avec exposition d’objets archéologiques et vitrines brisées. « Le but était ici de regarder quels statuts la bande dessinée donne aux collections, souligne Olivier Christin. La bande dessinée est un outil d’enquête sur le matériel historique, elle pose à l’histoire de nouvelles questions, comme les habitudes de vie des gens au quotidien, leur nourriture… »

Blake et Mortimer

Affiche créée spécialement par André Juillard

pour l'exposition Les fantômes des collections

En 2015, Lip, des héros ordinaires a servi de support à une exposition à la Chaux-de-Fonds et à un cours d’histoire de l’horlogerie ; une conférence au Laténium à Neuchâtel a analysé la réception de l’Antiquité dans la fiction à partir de la série Murena ; une master class a réfléchi sur le traitement de la guerre de 1914 dans la bande dessinée après Tardi… Des expériences toujours menées en collaboration avec les auteurs. « Il est important que les étudiants rencontrent les créateurs contemporains. Les universités européennes n’ont pas cette culture, comme aux États-Unis où sont par exemple dispensés des cours de romans. Il me semble pourtant capital que les étudiants puissent échanger et réfléchir avec des poètes, des écrivains, des scénaristes, des dessinateurs, qui font la culture d’aujourd’hui, en parallèle à l’analyse littéraire classique. »

Master class

Cycle universitaire transfrontalier organisé en 2012-2013 par l'université de Neuchâtel – Extrait de l'affiche

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Voyage organisé en pays imaginaire

D’autant que sur les bancs de l’école, l’étude des œuvres de fiction ne laisse pas toujours de place à cette dimension précieuse qu’est l’imagination : quand il s’agit de disséquer un texte littéraire, difficile de se laisser porter par la narration et de s’approprier l’œuvre. Psychologue à l’université de Neuchâtel, Tania Zittoun explique que l’imagination est « le processus par lequel on quitte l’ici et le maintenant pour explorer d’autres réalités, avant de revenir à la sienne propre ». La fiction est un moyen, parmi d’autres, d’accéder à cette « boucle d’imagination », elle représente le guide que nous acceptons de suivre dans un voyage organisé en pays imaginaire.

Pour la psychologue, la fiction, en nourrissant l’imaginaire, permet d’enrichir le réel. Elle aide à se sentir mieux, a des implications immédiates sur une action ou la résolution de problèmes, et va jusqu’à influencer des choix de vie. En faisant écho à notre vécu, elle donne du sens à certaines situations difficiles, voire de rupture, ou à des transitions importantes de la vie. Devenir parent est par exemple une étape déterminante dont la fiction ne manque pas de se mêler. « Il n’y a qu’à voir à quel point le choix des prénoms emprunte au cinéma, aux romans et aux chansons pour saisir l’importance que revêt la fiction dans la vie des gens. »

Elle apporte du soulagement lors d’un travail de deuil, comme pour cet adolescent qui vient de perdre un grand-parent : les analogies qu’il établit à la lecture d’un texte ou l’écoute d’une chanson évoquant le même type de souffrance lui apporte du réconfort. Elle aide à vivre lorsque la vie est devenue insupportable. Des prisonniers politiques ayant connu une longue incarcération affirment avoir tenu bon grâce à leur capacité d’imagination. « Ce sont des situations extrêmes mais elles montrent bien la puissance de l’imaginaire sur les personnes. »

 

 

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Jeu vidéo : L’image en mode interactif

Sonic

L'univers de Sonic, jeu vidéo créé en 1991

Dessin, texte, image animée, musique…, le jeu vidéo est un concentré de variations artistiques autour d’une solide technologie, et qui possède le don d’interactivité. Voilà cinquante ans qu’il défraie la chronique, tiraillé entre adeptes passionnés et détracteurs l’accusant de mille maux.

Mathieu Triclot enseigne la philosophie à UTBM, et le jeu vidéo est l’un de ses domaines de recherche de prédilection. « Le jeu vidéo est entré à l’université, dans les bibliothèques, il fait l’objet d’expositions, autant de signes qui montrent qu’il gagne en légitimité. » Mathieu Triclot rappelle que la méfiance voire le mépris envers les nouvelles productions culturelles ne datent pas d’hier. « Quatre cents ans avant Jésus-Christ, Socrate plaidait pour la suppression de l’écriture et comparait les discours écrits à une drogue, et dans La République, Platon chasse les poètes de la cité idéale. » Plus proche de nous, le cinéma a dû attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale pour atteindre le statut de septième art ; dans les années 1960, la bande dessinée était accusée de détruire l’attention, de rendre ses adeptes incapables de lire un roman ; lequel roman était quelques décennies plus tôt accusé de corrompre les esprits avec ses fictions… Cinquante ans sont visiblement nécessaires pour passer dans les mœurs et se faire accepter par la société. « Ce qui fait peur, et de manière récurrente, c’est la position de retrait, de repli sur soi, qu’adoptent le lecteur, le spectateur ou le gamer. »

Le jeu vidéo se prête à de multiples manières de jouer, et d’en parler. Certains le pratiquent même sans le savoir. Aligner des bonbons dans Candy Crush n’a rien de comparable avec lancer une expédition punitive dans Batman ou à faire évoluer sa famille Sim’s. Pourtant on est bien aussi dans le domaine du jeu vidéo, abordé ici dans le même esprit qu’un sudoku ou un mot croisé : préserver un temps pour soi. La sociabilisation n’est pas en reste, avec l’explosion des jeux de rôles en ligne depuis les années 2000, et les échanges et discussions entre gamers dans les cours de récréation ou sur les forums internet, à propos de leur pratique. L’addiction est un spectre qui s’éloigne peu à peu, depuis que les académies de médecine et de sciences ont énoncé que l’excès, révélateur de la mise en place d’une stratégie de compensation par les personnes, n’est pas plus à craindre ici qu’ailleurs. Production culturelle parmi d’autres, le jeu vidéo enregistre de formidables succès comme de cuisants échecs, au même titre que la littérature ou le cinéma. S’il emprunte beaucoup à la bande dessinée et au cinéma d’animation au Japon, en France le lien est plus ténu.

Pacman

Pac-Man est né au Japon en 1980

La fiction incite aussi à l’action. Une incursion avec Tintin dans Le Temple du soleil peut inviter à se rendre dans un musée d’archéologie, et rêver devant Objectif Lune donner envie de devenir astronaute ! L’imagination nourrit de petites comme de grandes ambitions, et voit les rêves se transformer ou non en réalité. La plupart du temps, c’est à notre insu que l’imagination opère son travail d’influence. Tania Zittoun cite l’exemple d’une jeune femme qui illustre parfaitement l’effet boule de neige de la fiction sur un parcours de vie.

Pour se consoler du décès de sa grand-mère, Julia se met à écouter un groupe de rock qui jusque-là lui était indifférent. C’est parce que l’histoire du chanteur fait écho à son vécu douloureux qu’elle s’y intéresse. Elle découvre peu à peu les paroles des chansons qui l’orientent vers les sources d’inspiration littéraires du groupe ou les événements d’actualité auxquels ils font référence, et qui entrent en résonnance avec l’environnement social défavorisé de son enfance. C’est au fil de ce cheminement inspiré par la fiction que Julia va construire sa personnalité, changer son regard sur le monde et donner une connotation sociale très marquée à ses choix professionnels.

 

De multiples façons, interrogeant divers registres, la fiction pose son regard sur la réalité, en est le témoin autant qu’elle lui apporte rêve, mystère, frisson, la nourrit et la sublime. Il serait schtroumpfement dommage de s’en schtroumpfer…

 

Murena

Murena©Dufaux, Delaby-Dargaud 2012

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Pour en savoir plus…

Zittoun T., Gillepsie A., Imagination in human and cultural development, éd. Routledge, 2016

Corbellari A., Reusser-Elzingre A. (sous la direction de), Le Moyen Âge en bulles, éd. Infolio, 2014

 

  


Contacts :

Université de Franche-Comté

Florent Montaclair – UFR STGI / ESPE

Yvon Houssais – ELLIADD – Éditions, langages, littératures, informatique, arts, didactiques, discours

Christian VivierSébastien Laffage-Cosnier – Laboratoire C3S – Culture, sport, santé, société  Tél. +33 (0)3 81 66 67 86 / 67 85 

Université de Neuchâtel

Alain Corbellari – Institut de littérature française – Tél. +41 (0)32 718 18 96

Olivier Christin – Institut d’histoire – Tél. +41 (0)32 718 17 81

Tania Zittoun – Institut de psychologie et éducation – Tél. +41 (0)32 718 19 89

 

UTBM

Mathieu Triclot – IRTES RECITS – Tél. +33 (0)3 84 58 38 15

 

 

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