Université de Franche-Comté

Le vrai prix de la transmission agricole

 

Champlitte (70). Photo Le petit explorateur

La valeur d’une exploitation agricole ne se calcule pas seulement sur la base d’un nombre d’hectares ou de têtes de bétail. Aux considérations d’ordre économique s’ajoute une dimension immatérielle, proche de l’affectif, dès lors qu’il s’agit pour un agriculteur de confier son entreprise à d’autres mains. Sa volonté d’assurer la pérennité de l’exploitation s’inscrit pour lui en filigrane dans les clauses de la succession.

C’est pour mieux appréhender cet aspect symbolique de la transmission que le Laboratoire de sociologie et d’anthropologie de l’université de Franche-Comté (LASA) participe depuis 2017 au projet FARM VALUE, financé par l’ANR, en collaboration avec des économistes de l’université de Rennes et des sociologues de l’ENSA de Toulouse.

Professeure de sociologie, Dominique Jacques-Jouvenot est depuis longtemps impliquée par ses recherches dans les affaires de transmission d’exploitations. Avec son équipe du LASA, elle mène l’enquête sur le terrain pour FARM VALUE afin de déterminer ce qui fonde la part irrationnelle de la valeur d’un bien, dans le domaine de l’élevage.

« La valeur économique d’une exploitation en Franche-Comté varie du simple au double selon qu’elle se trouve en plaine ou sur les hauteurs du Jura, sur une terre à comté. Mais la problématique est la même partout : trouver un repreneur qui saura continuer à la faire vivre. Les exploitants sont animés par le sentiment d’être dépositaires d’un patrimoine, le temps d’une vie, et par une loyauté intergénérationnelle très significative. Et cet aspect des choses a une réelle influence sur le prix de vente d’une exploitation. »

 

Reproduction du schéma familial

En général, l’ensemble de la famille espère que la ferme va trouver repreneur dans ses rangs. Même si cette transmission est souvent source de discussions animées, voire de brouilles dans la famille, chacun souhaite que l’histoire se poursuive avec une nouvelle génération. Celui qui reprendra le flambeau paie cher son privilège : il subit à la fois la pression financière, avec un endettement souvent lourd, et la pression familiale, pour la dette qu’il contracte envers les autres. « Il est à la fois détenteur du droit d’hériter et obligé par le devoir de pérennité », remarque Dominique Jacques-Jouvenot.

Parce que la question est prioritaire pour lui, le cédant est prêt à négocier les prix à la baisse pour ne pas pénaliser son repreneur avec des montants souvent très élevés, au minimum 200 000 euros pour les exploitations dont il est question dans l’étude.

Cependant les successeurs sont pour la plupart des personnes étrangères à la famille, soit parce qu’il n’y a pas de fils pour continuer, soit parce qu’ils ne sont pas intéressés par le métier ou peu enclins à engager les sommes nécessaires; les filles sont par ailleurs très peu investies dans le domaine de l’élevage, en tant qu’exploitantes. Pour le nouveau venu, une transition d’un an ou deux est imposée, pendant laquelle il va faire ses armes, accompagné par le cédant sous une forme ou une autre de collaboration. Ce passage obligé prend souvent des allures de mise à l’épreuve, c’est une période d’essai au terme de laquelle le cédant sera conforté ou non dans son choix. Si la confiance est acquise, on observe que le schéma familial se reproduit. « Il se reconstruit une parenté là où il n’y en a pas. Il faut bien comprendre qu’une transmission réussie est un enjeu psychologiquement capital pour le cédant, pour qui il est très difficile d’assumer d’avoir à casser la lignée familiale. »

Le projet FARM VALUE atteste pour la première fois l’importance de cette dimension subjective dans l’établissement du prix des exploitations agricoles ; ces éléments de connaissance s’ajoutent aux estimations économiques pour donner un sens nouveau à leur évaluation.

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