De saveurs attendues en surprises gustatives, de bouteilles prestigieuses en pichets sans prétention, de récoltes mécanisées en vinifications biodynamiques, le vin suscite passion… et dégustation. Objet de toutes les attentions, le vin est aussi un objet d’étude pour Florent Schepens, directeur adjoint du LASA, le Laboratoire de sociologie de d’anthropologie de l’université de Franche-Comté. In vino veritas ? Il n’y a pas qu’une vérité dans le vin, loin s’en faut, mais certaines tendances se dégagent des carafes…
Le vin à la profonde robe rouge n’est pas sans évoquer le sang, une image largement cultivée par la religion chrétienne, le calice consacrant le vin en sang du Christ. Procurant force et vitalité, le vin est longtemps considéré comme un aliment, une évidence en France où il est encore servi dans les cantines scolaires jusque dans les années 1950. Le message est radicalement opposé 30 ans plus tard : le vin est étiqueté dangereux, on conseille la prudence aux femmes enceintes, une position qui se durcit au fil du temps jusqu’à la prohibition générale de l’alcool auprès de ce public, et la modération pour tous les autres. Pour rester actif et efficace au bureau ou sur un chantier, mieux vaut s’abstenir de boire du vin à table à midi : de nourriture quotidienne au même titre que le pain, le vin est désormais réservé à la fin de semaine. L’apéritif du vendredi soir marque le début d’une parenthèse festive et récréative de deux jours, en opposition à la semaine de travail ; les cadres, avec ce rituel, s’accordent une pause ancrée dans le présent, eux qui sont toujours occupés à planifier et à gérer à l’avance.
Cependant la consommation du vin est une pratique collective, quel que soit l’âge des consommateurs. S’il est concevable de boire une bière ou un whisky seul dans la semaine, l’usage regarde d’un mauvais œil celui qui siffle un verre de vin dans son coin. Le vin est un symbole de partage, il fait le lien entre les convives autour d’une table, et cette symbolique est largement encouragée par la gent féminine. « Le vin marque un passage d’âge. L’adolescent devenant jeune adulte entre dans la vie de couple ou l’enseignement supérieur, il adopte de nouveaux comportements et d’autres façons de fabriquer du lien social, selon un modèle et des valeurs plutôt portés par les jeunes femmes », explique Florent Schepens.
Le vin est l’alcool préféré des Français, de plus en plus à mesure qu’on avance en âge. Et pour la majorité, vin signifie avant tout vin rouge. La couleur fonde d’ailleurs des associations culinaires pas toujours motivées. Le rouge s’accorde à la viande, rouge elle aussi ; la transparence du blanc, rappelant l’élément eau, convient au poisson. « Les accords mets et vins sont construits de façon normée, sur des bases très culturelles », estime le sociologue. Le vin en tout cas possède une légitimité presque exclusive. Évoluant de la jeunesse à la maturité, parfois jusqu’à la mort gustative, le vin est vivant, changeant, une analogie avec son propre cycle de vie qui n’est pas pour déplaire à l’être humain. Issu de fruits, considéré comme plus naturel que les alcools chauffés ou distillés, il paraît aussi moins dangereux pour la santé. Une croyance renforcée par la convivialité, voire les vertus antidépressives des pratiques de consommation du vin. Une vérité cependant : blanc, rouge, rosé, qu’importent la couleur et le flacon, l’alcool reste l’alcool…