Sur lensemble de notre planète, le blé appartenant à lespèce Triticum aestivum représente lune des cultures les plus répandues (21 millions de tonnes produites par an sur une surface totale de 230 millions dhectares). Pour garantir des récoltes optimales, tout risque déchange de patrimoine génétique avec des espèces voisines doit être écarté ; en outre, pour préserver lintégrité de la flore spontanée, il est important destimer, dans le cas de cultures de plantes transgéniques, les risques de passage de gènes modifiés dune plante cultivée à ses parentes sauvages. Un groupe de chercheurs* emmenés par François Felber, directeur du Jardin botanique de luniversité et de la ville de Neuchâtel, démontre quune telle éventualité existe.
• De leurs travaux (publiés dans la revue Theoretical and Applied Genetics), il ressort que, non seulement le blé se croise avec une cousine sauvage, légilope cylindrique (Aegilops cylindrica), mais que ces croisements donnent naissance à des plantes hybrides dont certaines produisent des graines. De plus, lorsque les hybrides en question se recroisent avec des individus de lespèce sauvage, ils engendrent des plantes qui, tout en affichant la morphologie de légilope, gardent des traces du patrimoine génétique provenant du blé cultivé.
• Ces résultats prennent toute leur importance par rapport à la culture de plantes transgéniques : dans le cas de blé artificiellement doté dun gène qui le rend par exemple résistant aux herbicides, il y a un certain risque ― certes faible, mais il existe ― pour que ce gène se transmette de génération en génération à légilope cylindrique. Cette dernière, qui est en fait une "mauvaise herbe", pourrait à son tour devenir résistante à lherbicide, réduisant à néant la possibilité de léliminer.
• Les expériences se sont déroulées en Suisse dans des champs de la Station fédérale de recherches en production végétale de Changins, près de Nyon. Léquipe neuchâteloise a constaté avec étonnement que les croisements produisent un nombre dhybrides très variable selon lorigine géographique des égilopes : avec des semences prélevées dans la région de Sierre, il est compté 7 hybrides pour 100 graines formées et cette proportion tombe à 1 % pour des plantes originaires de Saillon ou de Brigue. "Ces différences montrent quil est important dévaluer très précisément les risques, même à un niveau régional, puisque dans cette étude, toutes les plantes sauvages proviennent du Valais", souligne François Felber.
• Sagissant de la Suisse, ces chiffres nalarment pas outre mesure les chercheurs, car les égilopes cylindriques ne se trouvent quen Valais, une région à production céréalière modérée. Mais ailleurs, en Europe, ainsi que dans le Moyen-Orient, le taux dhybridation pourrait significativement augmenter, si les égilopes cylindriques et dautres espèces cousines du blé se trouvent à proximité, voire à lintérieur, des champs cultivés. "Malgré la faible fertilité des hybrides, ces risques ne doivent pas être sous-estimés", avertissent les auteurs de létude suisse. Cette mise en garde vaut surtout pour les Etats-Unis où cette mauvaise herbe a déjà envahi léquivalent de 3 millions dhectares, causant des pertes significatives dans les récoltes de blé et diminuant sa qualité.
• Léquipe poursuit son travail au sein du Pôle de recherche national "Survie des plantes en milieux naturels et agricoles" piloté depuis luniversité de Neuchâtel. Elle recherche de quel chromosome proviennent les gènes qui sont passés de la céréale à la plante sauvage. Les chercheurs conduisent également des expériences pour mieux comprendre linfluence de la distance sur la dispersion des gènes et les effets écologiques éventuels dun transgène dans la plante sauvage.
François Felber
Jardin botanique et Institut de botanique
Université de Neuchâtel
Tél. 41 32 718 23 39 / 41 32 718 23 50
francois.felber@unine.ch