Université de Franche-Comté

Le lac de Saint-Point recèle bien des secrets et devient un laboratoire naturel propice à des recherches environnementales multidisciplinaires


Retrouver des informations sur le climat et sur l'impact des activités humaines depuis 12 000 ans
À l'instar des glaciers polaires ou des sédiments océaniques, les sédiments de fond de lac gardent la mémoire de notre environnement. Des informations sur le climat et les activités humaines passés y sont entreposées, bien gardées sous quelques dizaines de mètres d'eau. Prélevées dans différents points du globe, ces données viennent alimenter la connaissance globale des paléoclimats. Par ailleurs, les séquences lacustres d'altitude et de latitude moyennes gardent également la trace de certaines activités humaines (déforestation, agriculture, urbanisation…). Jusqu'à présent,  le lac de Saint-Point n'avait pas été étudié dans ses profondeurs. Les laboratoires de Chronoécologie, de Géosciences et de Biologie environnementale de l'université de Franche-Comté mettent en commun leurs compétences pour y remédier.
• Le lac de Saint-Point est né il y a 18 000 ans avec le retrait des glaciers du Jura. Depuis, des sédiments se sont déposés, soit amenés du bassin versant par les affluents, soit produits par l'activité chimique et biologique du lac. Ce dépôt étant loin d'être homogène, le choix de l'emplacement du carottage nécessite une prospection préliminaire utilisant les ondes sismiques. Sur 45 km, des images acoustiques des sédiments ont été réalisées, grâce au support technique de l'université de Caen. Une onde sismique est envoyée vers le fond. À chaque changement de composition des strates, une partie est réfléchie et captée, alors que l'autre continue son chemin. Cette prospection réalisée depuis la surface permet donc de définir avec une précision satisfaisante l'épaisseur et la nature des sédiments pour un point donné. Après avoir sélectionné un site approprié, une carotte de 13 m a été extraite, avec l'aide de l'université de Savoie.
• Pour attester de la qualité de cet enregistreur, la trace d'événements majeurs connus va être recherchée. Par exemple, à 8 200 ans BP (before present) a eu lieu un refroidissement très rapide du climat à l'échelle du globe. Une fois ceci admis, la teneur et la composition des sédiments, dont la fraction minérale est analysée par le laboratoire de Géosciences et les marqueurs biologiques (pollens, macrorestes, traces d'incendies, capsules céphaliques de chironomes…) par le laboratoire de Chronoécologie, constituent un signal climatique. Les variations sédimentaires sont principalement associées aux variations des paramètres du climat. Ce signal est cependant perturbé par les activités humaines. Le peuplement progressif du bassin versant et la transition du Mésolithique (caractérisé par une activité de chasseurs-cueilleurs) au Néolithique, où l'homme commence à cultiver la terre (aux alentours de 7 200 BP), ont un impact complémentaire sur les sédiments. Une des hypothèses qui prévaut soutient que l'anthropisation (comme les déforestations dues aux pratiques agricoles puis à l'exploitation de minerai) pourrait avoir été largement sous-évaluée à l'Âge du Bronze (3 500 BP). Ainsi, dans ce jeu de piste pour remonter à l'histoire à partir de ses traces, le plus compliqué sera peut-être de discriminer l'impact anthropique de l'impact climatique. Pour cela, les chercheurs vont en quelque sorte soustraire des données du fond du lac, soumis aux impacts combinés, les informations collectées par le laboratoire de Chronoécologie dans les sédiments littoraux, presque exclusivement contrôlés par le climat. L'apport de cette étude réside donc tout autant dans la mise au point d'une méthodologie fiable que dans la collecte d'informations nouvelles.
• Actuellement, la carotte repose au laboratoire dans l'attente d'un équipement d'analyse nouveau, cofinancé par le conseil régional de Franche-Comté et le CNRS. À l'image de cette première collaboration, le lac de Saint-Point peut devenir un laboratoire naturel, ouvert à de nombreuses collaborations nationales et internationales.

* L'UMR CNRS Chronoécologie, l'équipe d'accueil Géosciences et l'unité sous contrat INRA Biologie environnementale participent à ce programme qui est soutenu financièrement par le BQR — bonus qualité recherche —de l'université de Franche-Comté et par le PPF — plan pluriformation — milieux naturels – milieux anthropisés.

contact
Michel Magny – Vincent Bichet
Laboratoire de Chronoécologie
Laboratoire de Géosciences
Université de Franche-Comté
Tél. 03 81 66 64 39 / 65 95
michel.magny@univ-fcomte.fr
vincent.bichet@univ-fcomte.fr

La faune et la flore du lac évoluent. Les contaminants sont-ils responsables ?
La préservation de la qualité des écosystèmes aquatiques est une préoccupation majeure des sociétés actuelles. Les enjeux concernent aussi bien la santé publique à travers la préservation des ressources en eaux que la sécurité alimentaire ou encore la conservation de la biodiversité. Cependant, de nombreuses questions restent insuffisamment documentées : les impacts de  cocktails Ÿ de substances toxiques sur les lacs et les cours d'eau demeurent largement inconnus.
• Jusqu'à une période récente, le lac de Saint-Point était considéré comme une référence nationale, en particulier d'un point de vue piscicole. En 2002, une chute de près de 70 % des biomasses de poissons a été constatée et la pollution du lac par des polluants métalliques (mercure, plomb…), des radionucléides issus de l'accident de Tchernobyl (césium 137) et des insecticides utilisés pour le traitement du bois est maintenant avérée. En étroite relation avec les recherches menées sur le fonctionnement ancien du lac (voir article précédent), le fonctionnement actuel, avec les modalités de transfert des contaminants et leurs conséquences directes et indirectes sur le lac, sa faune et sa flore, est étudié par une équipe de chercheurs des laboratoires de Biologie environnementale et de Géosciences.
• Le premier volet de cette étude vise à caractériser plus précisément la nature des contaminations actuelles et la distribution des polluants dans les différents compartiments physiques du lac, c'est-à-dire dans l'eau, les matières en suspension et les dépôts sédimentaires. Les polluants tels que des éléments traces métalliques, des pesticides organo-azotés utilisés pour le traitement du bois (pyréthrinoïde et propiconazole, dosés au SERAC) et des radionucléides, en particulier le césium 137, sont suivis. Afin d'avoir une connaissance précise de la distribution spatiale de la contamination et de sa variabilité temporelle, l'eau du lac est échantillonnée à chaque saison de l'année en plusieurs profils verticaux. Les analyses d'eau intègrent des paramètres physico-chimiques (température, potentiel d'oxydoréduction, pH, conductivité électrique) permettant, d'une part d'avoir accès à la dynamique interne du lac (stratification, retournement saisonnier), et d'autre part, une fois combinés à l'analyse de la composition chimique inorganique (cations et anions majeurs, métaux traces), d'approcher la spéciation, c'est-à-dire l'état chimique des contaminants, le long des profils verticaux. Celle-ci conditionne la biodisponibilité et le transfert des éléments traces métalliques dans les organismes. En parallèle, le sédiment superficiel est échantillonné selon un maillage bien précis en fond de lac et subit ensuite une caractérisation granulométrique, minéralogique et chimique, ainsi que des essais de lixiviation* qui permettent de déterminer quelle fraction de métaux traces toxiques est potentiellement mobilisable et donc aisément biodisponible. Cette étude  est ensuite remise en perspective avec l'étude des contaminants apportés depuis le bassin versant, et dont les flux sont quantifiés en particulier en période de crue et d'étiage. L'objectif est de réaliser des bilans élémentaires des flux de contaminants à différentes saisons et de calculer leur temps de résidence dans l'écosystème lacustre.
• Dans le deuxième volet, l'équipe caractérise les mécanismes de transfert des polluants dans les réseaux alimentaires du lac de Saint-Point. Différents compartiments biologiques ont été échantillonnés : invertébrés benthiques (vivant sur le fond du lac), plancton animal et végétal, végétaux supérieurs des ceintures littorales et poissons. Concernant les poissons, deux espèces sont retenues : le corégone, qui se nourrit principalement de plancton, et le brochet, grand prédateur de poissons. Une description des réseaux trophiques du lac à partir des rapports isotopiques** du carbone et de l'azote est envisagée. L'analyse des concentrations internes en arsenic, mercure et plomb (technique de spectrométrie d'absorption atomique) et des activités en césium 137 (spectrométrie gamma) permettra de quantifier les flux de contaminants dans les chaînes alimentaires du lac en fonction des caractéristiques physico-chimiques des substances toxiques et des caractéristiques physiologiques et écologiques des animaux et végétaux étudiés.
• Le troisième volet de recherche concerne les effets éventuels de ces polluants sur les communautés vivantes du lac de Saint-Point. Ces substances toxiques sont en effet potentiellement responsables d'une partie des dysfonctionnements actuels. Des marqueurs de santé individuelle seront mesurés chez les poissons capturés (indices de condition corporelle, pathologie, biomarqueurs…) et mis en relation avec les concentrations internes en toxiques. Au-delà des effets directs induits par les contaminants sur les poissons, on peut également supposer l'existence d'effets indirects. Par exemple, la présence de molécules insecticides issues des activités de production de bois provoquerait une diminution des biomasses d'arthropodes, donc une baisse des ressources alimentaires disponibles pour les poissons.

* Lixiviation : mise en contact d'une roche broyée ou non avec un milieu aqueux pour en extraire les éléments mobilisables. Différentes conditions physico-chimiques sont testées.

** En effet, tous les organismes d'une chaîne alimentaire donnée ont le même rapport isotopique pour le carbone, mais celui-ci varie d'une chaîne à l'autre. Par contre, l'azote léger (N14) est excrété plus facilement que l'azote lourd (N15). Plus on avance dans une chaîne alimentaire, plus la concentration en azote 15 dans l'organisme augmente.

contact
Sophie Denimal – Marc Steinmann
Laboratoire de Géosciences
Université de Franche-Comté
Tél. 03 81 66 61 71 / 65 46
sophie.denimal@univ-fcomte.fr
marc.steinmann@univ-fcomte.fr

Pierre-Marie Badot – Michaël C¶urdassier
Laboratoire de Biologie environnementale
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Tél. 03 81 66 57 08 / 57 41
pierre-marie.badot@univ-fcomte.fr
michael.coeurdassier@univ-fcomte.fr

 

 

 

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