Université de Franche-Comté

Le fléau du choléra en Afrique n'est pas inéluctable


Un fatalisme sombre fige la lutte contre le choléra en Afrique. Il gangrène tant les médecins des ONG que les gouvernements ou la population, et peut s'exprimer en ces termes :  le choléra est inhérent à la pauvreté et tant que l'on n'aura pas réglé celle-ci, les populations continueront à s'infecter Ÿ. Dès lors, très peu d'études sont financées pour comprendre les mécanismes globaux de la propagation de la bactérie en Afrique, et les interventions se résument à des traitements d'urgence lors des flambées locales de la maladie.
• Pourtant, le choléra est connu depuis l'Antiquité dans son biotope naturel : le delta du golfe du Bengale. Là, les mécanismes de l'épidémie, le mode de transmission de la bactérie, son écologie sont parfaitement décryptés, grâce à des recherches fondamentales menées en partenariat avec de grandes universités anglaises et étasuniennes depuis les années 30.
La première pandémie de choléra a démarré en 1817 pour atteindre l'Europe et l'Asie. Au cours de flambées successives, la maladie se déplace pour finalement toucher la région subsaharienne de l'Afrique lors de la pandémie de 1970. Depuis lors, 90 % des cas répertoriés le sont dans ce territoire.
• Médecin travaillant pour le compte du ministère de la Santé de la république démocratique du Congo (RDC) et de l'ONG internationale Médecins Sans Frontières, Didier Bompangue a sillonné la RDC pour traiter en urgence les malades. Conscient que des mesures ponctuelles ne pourront jamais permettre d'enrayer la pandémie, il rejoint l'équipe du SERF — santé et environnement rural Franche- Comté — de l'université de Franche-Comté pour dégager les véritables n¶uds qui entravent la lutte contre la dissémination. Cette recherche fondamentale ne peut se faire sans l'analyse des données épidémiologiques collectées sur le terrain depuis les années 2000. Ces données couvrent un territoire grand comme la France (les provinces du Katanga et du Kasaï-oriental), qui concentre à lui seul 15 % des cas mondiaux et 31 % des décès (selon l'OMS — organisation mondiale de la santé). Elles sont d'ordre sanitaire, récupérées auprès des centres de traitement, et d'ordres démographique, climatique (température, pluviométrie…) et environnemental.

Particulièrement riche et complète, s'étendant sur un large territoire, pendant suffisamment longtemps, cette base de données peut venir alimenter les modèles développés au SERF et au LBE — laboratoire de biologie environnementale. En effet, ces laboratoires francs-comtois, forts de leurs expériences dans l'étude de l'échinococcose alvéolaire, par exemple, ont construit des modèles incluant la géographie pour expliquer les transmissions et les diffusions des maladies contagieuses.
• Après seulement un an d'exploitation des données, les chercheurs ont réussi à déterminer des lieux, points de départ de la maladie. Les lacs, en effet, semblent agir comme des sanctuaires à partir desquels se déclenchent les flambées épidémiques. Celles-ci se répandent ensuite selon des cycles et des temporalités différents pour chaque territoire.
Ce résultat, pour encourageant qu'il soit en terme de santé publique, paraît surprenant d'un point de vue scientifique. Le choléra est connu pour subsister sous forme latente dans les eaux saumâtres, les sels étant indispensables à son métabolisme. Comment résiste-t-il alors aux eaux douces du lac ? Il semblerait que ce que l'on pense être des sanctuaires est en fait dû à des interactions constantes entre l'homme et les eaux du lac. Celui-ci s'infecte, puis réintroduit la bactérie dans l'eau qui va infecter l'homme à nouveau… Si cette hypothèse se trouve vérifiée, il suffirait alors de construire une barrière entre l'homme et le lac pour éradiquer une grande partie de l'épidémie sur tout le territoire concerné. Ceci peut se faire par des changements de comportements de la population, et donc par une politique volontaire d'éducation à la santé, et par l'installation d'un réseau d'eau potable.
• Malheureusement, pour vérifier cette hypothèse, continuer l'exploitation des données, comprendre les interactions entre l'homme et son territoire, en un mot continuer ses recherches, l'équipe du SERF a besoin d'un financement… qui tarde à arriver.
Où est la fatalité ?

 

Didier Bompangue – Renaud Piarroux
SERF — Santé et environnement rural Franche-Comté
Université de Franche-Comté
Tél. 03 63 08 22 74
renaud.piarroux@univ-fcomte.fr

 

 

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