Les lacs et les tourbières, le karst, les rivières, les forêts et les prairies forgent non seulement les paysages de l’Arc jurassien, mais aussi les socio-écosystèmes qui lui sont si particuliers. La Zone atelier de l’Arc jurassien (ZAAJ) est un vaste dispositif scientifique pour les étudier sur le long terme, et aider la prise de décision publique. Ses activités la projettent aujourd’hui dans une dimension européenne.
Labellisée voilà tout juste dix ans par le CNRS, la Zone atelier de l’Arc jurassien (ZAAJ) a pour objectif d’étudier les liens complexes entre les écosystèmes et les activités humaines à l’échelle de son territoire, à partir de données acquises en continu et à long terme. Elle est née de la volonté de chercheurs du laboratoire Chrono-environnement de formaliser et de favoriser, à l’intérieur d’un cadre scientifique et institutionnel, des travaux de recherche entrepris de longue date. Si elle bénéficie déjà de coopérations avec d’autres laboratoires de recherche et avec différentes structures publiques et associations, aujourd’hui la ZAAJ monte en puissance. Elle donne pleinement sens à sa vocation territoriale en intégrant la partie suisse du massif jurassien à son dispositif, et conforte sa mission avec des projets dont l’envergure la hisse à l’échelle européenne.
Comme d’autres territoires situés à moyenne altitude et en milieu semi-continental, le massif jurassien est particulièrement sensible aux changements climatiques en cours, une vulnérabilité que favorise sa nature géologique : le karst du Jura entraîne très rapidement l’eau des précipitations vers les profondeurs de la terre par les nombreuses failles qui le fracturent, et la faible épaisseur des sols par endroits renforce ce processus. La destruction des zones humides comme la rectification du tracé des petits cours d’eau n’aident pas davantage à garder l’eau en surface, et les vastes espaces ouverts favorisent l’évaporation de l’eau dans un contexte de réchauffement de l’air de plus en plus marqué en altitude. Conséquence : lorsque les pluies font défaut et que les températures grimpent, les incendies menacent les sols trop secs, trop exposés à la chaleur. « Cette configuration qui était, il y a vingt ans encore, spécifique au Sud de la France, est en passe de devenir celle du territoire jurassien », prévient Daniel Gilbert, écologue au laboratoire Chrono-environnement et directeur de la ZAAJ, qui fait également une mise au point à propos des réserves en eau du massif : « On a tendance à se fier au niveau d’eau des rivières, mais dans le fonctionnement d’un bassin versant, l’eau est d’abord présente dans les sols et dans les zones humides. Dans le massif du Jura, même lorsque les lits des rivières sont remplis, l’eau se perd trop vite à la surface des sols, qui se dessèchent trop vite ».
À l’exemple de ce fonctionnement à tiroirs entre système géologique, cycle de l’eau et impact de l’activité humaine, de très nombreuses interactions se produisent entre l’environnement et l’homme. Les considérer dans une approche globale fonde la démarche de la ZAAJ, qui recueille des données de terrain, les analyse et les sauvegarde, essentiellement au travers d’observatoires instaurés pour l’étude de quatre grands socio-écosystèmes interdépendants : les lacs et les tourbières ; les rivières et le karst ; les forêts et les prés-bois ; les prairies. En englobant dans son champ de compétences le versant suisse de l’Arc jurassien, la philosophie de la ZAAJ prend désormais tout son sens.
L’infrastructure de recherche française est en effet depuis janvier 2023 devenue transfrontalière ; c’est la seule Zone atelier qui, suivant une logique de massif, entre dans ce cas de figure en France métropolitaine. Directrice du laboratoire de biologie de la conservation à l’université de Neuchâtel, Delphine Clara Zemp assure désormais sa codirection côté suisse, avec Daniel Gilbert.
La ZAAJ est un outil de connaissance à long terme exploité par les scientifiques, dont les résultats de recherche sont mis à la disposition de la communauté pour aider la prise de décision publique. Ses différents observatoires sont dotés de nombreux instruments de mesure et d’analyse ; tour à flux, station météo et autres capteurs recueillent par exemple des dizaines de variables environnementales depuis 2007 sur la tourbière de Frasne, l’une des plus instrumentées au monde. Déjà membre du réseau national « SNO Tourbières », la station comtoise fait l’objet d’un projet de labellisation eLTER (European Long-Term Ecosystem Research Infrastructure), qui donnerait une audience européenne à ses activités. Comme l’indique le CNRS, « eLTER, à la fois réseau, infrastructure et programme, regroupe différents sites instrumentés au sein de pays européens, développant des observations à long terme sur les différents compartiments et composants physico-chimiques, biologiques et humains des écosystèmes au sens large ».
Deuxième étape du projet de la ZAAJ : l’identification d’une Plateforme de recherche socio-écologique à long terme (LTSER) « Haut-Doubs », qui lui offrirait l’opportunité de conforter sa place au sein de ce réseau européen opérationnel, motivé par la recherche de pratiques adaptées à la nouvelle donne climatique, et tourné vers l’action collective. Partages d’expériences, collaborations interdisciplinaires et échanges avec l’ensemble des acteurs concernés sont les principes qui sous-tendent ces démarches et justifient l’appartenance à de telles infrastructures.
Touchées au premier plan par la compréhension du fonctionnement des socio-écosystèmes de leurs territoires et des bouleversements qui les affectent, les collectivités locales s’impliquent dans la gestion et le financement de ces dispositifs de recherche, la Région Bourgogne – Franche-Comté en tête.
Au niveau communal, les élus s’engagent aussi. Frasne accueille depuis de nombreuses années les scientifiques qui travaillent sur sa tourbière, organisent des cours dans le cadre d’un master commun entre universités de Franche-Comté et de Neuchâtel, et programment des interventions sur le terrain. Dernière initiative en date, la Communauté de communes du plateau de Frasne et du val de Drugeon a récemment acquis un ancien complexe destiné au tourisme, pour l’adapter à l’accueil des chercheurs et à l’organisation de conférences ou de petits colloques.
Autre exemple de collaboration, en faveur cette fois de l’information citoyenne, la Saline royale d’Arc-et-Senans a inauguré en juin dernier le demi-cercle qui clôt, autour de ses bâtiments, le périmètre imaginé par Claude-Nicolas Ledoux. Cet espace végétal donne à voir une représentation des socio-écosystèmes du Jura : sur 1 500 m², le Jardin de l’Arc jurassien, conçu par Daniel Gilbert et dessiné par l’architecte Luc Schuiten, invite les visiteurs à déambuler dans un décor naturel où falaise, tourbière et autres aménagements paysagers typiques se prêtent à la pédagogie. Chacun peut profiter d’explications proposées par les chercheurs et les médiateurs scientifiques, via une application et des livrets numériques édités pour aider à comprendre les relations entre l’homme et son environnement, et les enjeux actuels. Cette réalisation est l’un des aboutissements du projet de recherche « LivingLab Arc jurassien – Homme et nature », financé par le programme européen Interreg France-Suisse entre 2014 et 2020.