Université de Franche-Comté

L'angiogenèse tumorale : une nouvelle cible thérapeutique contre le cancer


Le cancer, fléau qui touche dans notre pays plus de 150 000 personnes par an, représente en France un problème sanitaire prioritaire. Les multiples facettes de la maladie posent des problèmes fondamentaux, mais les avancées de la recherche laissent entrevoir des succès significatifs dans le dépistage et la thérapie. Pour preuve, le nombre de cas de guérisons, voire de rémissions, est aujourd'hui en augmentation.
• Les travaux pionniers du groupe de Judah Folkman ont popularisé le concept selon lequel la plupart des tumeurs cancéreuses humaines persistent in situ pendant des mois, voire des années, en phase dormante, puis deviennent subitement vascularisées quand une sous-population de cellules tumorales induit une néo-angiogenèse*. Physiologiquement, les cellules des vaisseaux sanguins sont quiescentes, avec un temps nécessaire à leur renouvellement estimé à plus de 1 000 jours. Cette absence relative de prolifération est sous la dépendance d'un fin équilibre entre facteurs de croissance activateurs et inhibiteurs de l'angiogenèse. Lors de certaines situations physiologiques (cycle menstruel, grossesse, cicatrisation) ou pathologiques, la disparition d'un facteur inhibiteur de l'angiogenèse ou à l'inverse la sécrétion d'un facteur pro-angiogénique tel que le VEGF (Vascular Endothelial Growth Factor) va rompre cet équilibre. En cancérologie, la sécrétion de VEGF par une tumeur induit la prolifération, la migration et/ou la différenciation des cellules endothéliales déclenchant ainsi le processus angiogénique. La surexpression du VEGF est ainsi corrélée à la croissance de la tumeur, au développement de métastases à distance et à une diminution de la survie globale des patients. Mieux comprendre la régulation de l'expression du VEGF devrait permettre d'inhiber la vascularisation tumorale pour asphyxier en quelque sorte la tumeur et prévenir le processus métastatique. L'équipe Carcinogenèse épithéliale : marqueurs prédictifs et pronostiques de l'Institut fédératif de recherche IBCT − Ingénierie et biologie cellulaire et tissulaire − **, a choisi de développer cette problématique dans le cas du cancer de la vessie. Cet axe de recherche est le fruit d'une collaboration étroite entre chirurgiens urologues, médecins anatomo-pathologistes et scientifiques. Des prélèvements tumoraux et des échantillons sanguins de patients ont permis de mettre en place des études cliniques pour obtenir de meilleurs diagnostic et suivi de cette pathologie. Ainsi, une étude réalisée à partir de sérum de patients a montré qu'un dosage du VEGF d'une valeur supérieure à 400 pg/ml correspondait à des cancers vésicaux métastatiques. À présent, ce dosage est réalisé de manière systématique au CHU de Besançon.
• D'un point de vue plus fondamental, l'exploration de la régulation du gène vegf a été initiée dans deux lignées cellulaires humaines dérivées de cancer de vessie : l'une à potentiel non métastatique et représentative d'un cancer peu agressif et l'autre à potentiel métastatique et représentative d'une tumeur agressive. L'équipe s'intéresse plus particulièrement à une voie de signalisation impliquant les PPAR (Peroxisome Proliferator-Activated Receptor).

Ce sont des récepteurs nucléaires qui agissent en tant que facteurs de transcription pour réguler l'expression de gènes cibles. Il en existe trois isotypes, PPAR α, PPAR β et PPAR γ qui se distinguent principalement par leur localisation tissulaire et la nature de leurs ligands***. Ces récepteurs sont impliqués dans un certain nombre de désordres métaboliques tels que le diabète, les hyperlipidémies et l'athérosclérose, ou de pathologies comme le cancer. Certains agonistes de ces récepteurs sont des molécules à grand intérêt pharmacologique comme les fibrates (ligands de PPAR α) qui sont utilisés en tant qu'agents hypolipidémiants et les thiazolidinediones (ligands de PPAR γ) qui sont des molécules antidiabétiques. Mais bien que les trois isotypes soient exprimés dans l'urothélium normal, leur fonction reste inconnue.
Il a récemment été montré que les thiazolidinediones induisaient la mort de cellules cancéreuses de vessie ou inhibaient la croissance de cellules urothéliales néoplasiques. Les études de l'équipe menées in vitro dans des lignées urothéliales cancéreuses, ont prouvé pour la première fois que les trois isotypes des PPAR sont impliqués dans le processus angiogénique. Mais dans des cellules peu agressives à potentiel non métastatique, les trois isotypes augmentent l'expression du VEGF alors que dans des cellules agressives à potentiel métastatique, seul PPAR β a un effet. Tout se déroule comme si, pour acquérir la capacité de se disséminer, des cellules cancéreuses peu agressives au départ étaient plus sensibles à certaines molécules activatrices de l'angiogenèse que des cellules ayant déjà la potentialité intrinsèque de développer des métastases, et pour lesquelles une néo-angiogenèse ne serait plus vitale. Les études en cours tendent à élucider les mécanismes moléculaires permettant d'expliquer cette expression différentielle du VEGF. Et si l'on tient compte du fait que de nombreux malades utilisent des drogues antidiabétiques ou des agents hypolipidémiants, la compréhension du rôle des PPAR dans l'angiogenèse tumorale pourrait devenir un enjeu de santé publique.
• Élément stratégique dans la régulation de l'angiogenèse tumorale, le VEGF représente une cible thérapeutique majeure. Pour la première fois en 2003, des essais cliniques comparatifs ont démontré qu'un anticorps monoclonal anti-VEGF augmentait la survie chez des patients atteints de cancers colorectaux métastatiques, apportant ainsi la preuve du concept de thérapie anti-angiogénique. L'ambition finale des recherches de l'équipe est d'empêcher l'effet des récepteurs nucléaires PPAR sur l'expression du VEGF en identifiant des molécules qui ciblent ces récepteurs. Ainsi, une nouvelle ère thérapeutique s'ouvre et avec elle la promesse de nouveaux progrès dans le traitement des cancers.

* L'angiogenèse, ou formation de capillaires sanguins à partir de vaisseaux pré-existants, est indispensable pour la croissance tumorale et le développement des métastases. En effet, un apport suffisant en oxygène et en nutriments par les vaisseaux est crucial pour la survie des cellules tumorales.

** Sous la tutelle de l'université de Franche-Comté, de l'Établissement français du sang de Bourgogne – Franche-Comté, de l'INSERM et du CHU de Besançon.

*** Les ligands sont des molécules qui, en se liant aux récepteurs, les rendent actifs.

 

Isabelle Lascombe
Équipe Carcinogenèse épithéliale : marqueurs prédictifs et pronostiques (EA 3181)
Institut fédératif de recherche (IFR 133) – IBCT
Université de Franche-Comté /
INSERM / CHU / EFS
Tél. 03 63 08 22 28
isabelle.lascombe@voila.fr

 

 

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